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Des archives et des hommes (suite)

France Delville et l’Ecole de Nice en 1997
Dans le Catalogue de l’exposition de 1997, France Delville avait aussi écrit une préface, après avoir fait ce film que nous avions projeté au MAMAC en mars précédent. En voici le début :

Capture d’image du film de Jean-Pierre Mirouze « 50 ans de l’Ecole de Nice » ©DR

Si l’on cessait de s’accrocher à l’idée que l’Ecole de Nice réclame de nous des certificats de garantie, ou de non garantie, on respirerait mieux, on vivrait avec elle en toute décontraction, en la laissant nous offrir encore et toujours ses surprises. Les surprises de ceux, ô surprise quelquefois, qui ont envie tout simplement, aujourd’hui, et demain, de se réclamer d’elle, c’est à dire d’une mère dont le geste princi¬pal est d’ouvrir la porte et de montrer l’horizon. C’est peut être un cas unique dans l’Histoire de l’Art, ce « champ non-unifié », cette « théorie du chaos », mais en art je plains les cas qui ne sont pas uniques.
Je dis « mère » parce que l’Ecole de Nice est du féminin, mais elle est aussi un « père », un mythe. C’est un mythe parce qu’on revient sans cesse, à juste titre, à la fondation de cet espace qu’elle représente. S’il y a mouvement, civilisation, histoire etc. quelle que soit l’appellation, c’est qu’il y a eu origine et impul¬sion première. Et, à juste titre encore, ici que voit-¬on ? C’est que depuis qu’est annoncé ce point final de 1997, l’envie est venue de fouiller dans les origines, de se demander comment ça a commencé pour comprendre un peu de quoi il retourne, se retourner vers le passé pour formuler mieux une espèce de projet, sous jacent. C’est comme ces rigoles, dans le désert, on ne sait même plus d’où ça vient, mais ça fait fleurir quelque chose, pousser un légume...

Capture d’image du film de Jean-Pierre Mirouze « 50 ans de l’Ecole de Nice » © DR

Certains sont perplexes, comme s’ils avaient sur les bras un bébé vieillard encore d’une telle virulence qu’ils ne savent comment le tenir. Pourtant, quand on relit les professions de foi des acteurs de cette feria, leurs commentaires jaillissants, qu’on décode leurs œuvres, qu’on assiste à leurs gestes d’aujourd’hui en se souvenant de ceux d’hier, qui reviennent comme des boomerangs parce qu’ils sont encore d’une telle actualité, politique, philoso¬phique (pour montrer le chemin de la créativité, du désir personnel, de l’inscription intime, pour construire société, regard, pour ne pas se laisser avoir par l’amorphe), il y a de la matière pour des années. Pour recevoir ce qu’ils ont émis (l’art est avant tout une histoire d’émetteur récepteur), accueillir ce qu’ils ont compris du phénomène Vie, de ce qui les a traversés, puisque c’est leur proposition...
Ce qui continue d’être beau, c’est que personne n’est d’accord avec personne. On pouvait craindre le consensus d’anciens combattants conjuguant leurs fantasmes pour radoter et dodeliner. Mais ils sont tous plus combattifs que jamais, convaincus, tendus, ne faisant pas plus de cadeau aujourd’hui qu’hier... Ils ont gardé leur mauvaise humeur d’ados, c’est un exploit : tout « milieu » édulcore, fait de la triche une seconde nature, avec le temps.
Mais si on a à cœur de ne pas avoir peur de la peur (ambiante dans tout milieu) on découvre vite qu’ils sont beaucoup plus humains que la moyenne, et plus que gentils, et tellement plus intelligents !
L’Histoire, bon juge dans l’après coup, ne les ramollira sans doute pas ceux qui, dans les Alpes-¬Maritimes si décriées, à partir des années 50, ont fait un bras d’honneur au Discours Dominant Mortifère, au pouvoir des images installées, pouvoir sourd et muet quoique bavard d’un monde qui ne les attendait pas, comme il n’attend jamais la jeunesse, il en a bien trop peur, eux sont arrivés en cassant la coquille, telle une troupe de furets avides de grand air, et puis chacun est allé flairer son coin de forêt. Ils sont partis en voyage et c’est normal, Ulysse n’est pas loin, la Méditerranée n’est pas grande, partis en vadrouille, tous ces enfants de la Fracture... Enfants qui, lorsqu’ils sont capables de mettre mots et formes sur leur histoire, donnent du poids à ce qui les précède. Cette histoire d’une histoire niçoise, il est peut être temps d’y prêter vraiment attention. Apprendre de l’histoire, c’est trouver chacun son fil dans l’embrouillamini des aigreurs, rumeurs, critiques.

Albert Chubac dans la série des 12 artistes de l’Ecole de Nice peints par Robert Erébo (1971-1972) ©DR

Il faut apprendre des critiques, souvent elles dési¬gnent le trésor de chacun. Trésor pas accepté, pas compris, pas lu, mais qu’importe, c’est tellement banal, ne sommes nous pas fils du malentendu ? Au delà des belles paroles, l’autre reste l’autre. L’Ecole de Nice a réussi à rester un joyeux malen¬tendu, et ce n’est pas donné à tout le monde. L’Histoire cherche des certitudes pour fonder son antisismique. Mais le culot de l’Ecole de Nice, même si elle n’est qu’un fantasme originaire, sur¬tout si elle n’est que cela, lui a acquis une réputation qui sent le soufre. Généralement on ne fréquente ceux qui dépassent du cadre toléré, les Van Gogh, Artaud, Vaché, Lautréamont etc. qu’après leur mort, dans les musées et dans les livres. Beaucoup plus tard, c’est tellement plus clean...

Mais, à seconde vue, on peut vérifier l’insistance secrète, discrète, de tous les fils (garçons et filles, mais aussi fils des tissages) en travail de l’Ecole de Nice au cours des années... Réseau des démarches, amour d’une forme choisie, et qui développe son récit, au fil du temps. Dans le secret des ateliers, une vraie, une réelle et forte réflexion sur l’espace, le temps, le mot, le geste, la société. Pudeur d’un côté, et de l’autre insolence de la garce. Mais comme l’Histoire de l’Art aime les provocateurs, c’est par ce bout là qu’elle s’est lais¬sée séduire avant d’être atteinte par le poids d’une correspondance sans fin, chargée de déclarations importantes pour l’époque... ? !... So, let’s wait.... (France Delville)

« Les 50 ans de l’Ecole de Nice » au Musée Rétif, Vence
Il n’y aurait pas d’exposition « Ecole de Nice » en 2007, les « Quarante ans » comptés à partir de mon exposition de 1967, mais il y eut un cinquantenaire au Musée Rétif, à l’invitation de Mireille et Philippe rétif, et sur une idée de Frédéric Altmann, compté à partir de mon installation à Vence (1960), année de la fondation du Nouveau Réalisme par Pierre Restany et ses affidés, à Paris, rue Campagne première, chez Yves Klein. Et c’est ainsi que Mireille et Philippe Rétif purent écrire dans le catalogue :

Œuvre d’Edmond Vernassa dans l’exposition du Musée Rétif « 50 ans de l’Ecole de Nice » © DR

« Le mot du Musée » par Mireille et Philippe Rétif
Le Musée Rétif est heureux de vous présenter une exposition exceptionnelle, née de la rencontre avec Alexandre de la Salle, qui nous offrit d’ajouter, dans nos murs, une déclinaison supplémentaire à ses expositions « Ecole de Nice » de 1967, 1977, 1987, 1997, égrainées dans sa galerie de Vence, Place Godeau, et ensuite dans sa galerie de Saint-Paul. L’exposition de 1967 « Ecole de Nice ? » étant celle qui, selon les termes d’Arman (dans le film de Pierre Marchou en 2000), fédéra des artistes animés du même esprit de rupture avec l’art du passé. Nous sommes heureux de nous inscrire ainsi de manière plus signifiante dans l’histoire de Vence, et avec une exposition de poids, puisque toutes les facettes de l’Ecole de Nice y seront représentées, Nouveau Réalisme, Fluxus, Support-Surface, Groupe 70, ainsi que les membres plus détachés de l’Ecole de Nice qu’Alexandre de la Salle, soucieux des générations, invita au cours des années à rejoindre la fine équipe. Commissaire de cette exposition, Alexandre de la Salle sut réunir les artistes, les œuvres, et tout un matériel, propres, d’abord à réjouir le visiteur, ensuite à lui enseigner, ou ré-enseigner, les composants passionnants de cette aventure qui se pétrit depuis cinquante ans. Aventure toujours aussi vivace, et qui va symboliquement, au Musée Rétif, prononcer sa fin, pour que l’Histoire en prenne note.

C’est cette puissance du symbolique qui fait que chacun se souvient de la fameuse dissolution du Nouveau Réalisme par Pierre Restany et les « siens » à Milan en 1970, et qu’en décembre de cette année, à la fin de notre exposition, Pierre Pinoncelli, venu exercer ses talents de « happeninger » dans la galerie d’Alexandre de la Salle Place Godeau en 1967, célèbrera de manière ludique la mise à mort de l’Ecole de Nice, pour que Vive l’Ecole de Nice ! La boucle est bouclée, mais dans une spirale sans fin, celle de la Création !

Œuvre de Bernard Taride dans l’exposition du Musée Rétif « 50 ans de l’Ecole de Nice » ©DR

Préface d’Alexandre de la Salle dans le catalogue de l’exposition « Les 50 ans de l’Ecole de Nice » au Musée Rétif , titrée : « Oui, comme le dit L’Ecole de Nice, la vie est plus belle que tout ! »
Cette exposition, sur l’invitation de Mireille et Philippe Rétif, ce dont je les remercie, n’est pas une manifestation qui viendrait s’ajouter aux cinq expositions de groupes intitulées « Ecole de Nice » que j’ai organisées en 1967, 1974, 1977, 1987, 1997, et à la cinquantaine d’expositions individuelles d’artistes de ladite Ecole de Nice. Cette dernière exposition doit être aussi importante que celle de mars 1967 par laquelle Arman déclara en 2000 que je « fédérai » l’Ecole de Nice. Elle doit être aussi importante, mais à l’inverse : tout ce qui naît doit mourir. Quand il s’agit de « Mouvements », ce n’est pas triste. C’est même indispensable. Car c’est au-delà d’un terme, d’une dissolution, d’une fermeture, que toute chose peut renaître à l’intemporel, à l’infini. Peut dépasser. Bien sûr les artistes qui un jour ont été inscrits ici ou là sous le label de Nice n’ont attendu ni la séance inaugurale ni la dernière séance, celle qui sera mise en scène par un happening de Pierre Pinoncelli, pour commencer leur œuvre, la poursuivre, la peaufiner. Leurs recherches, ils les ont certainement commencées dans l’enfance, sans le savoir (certains le savent), et en tous cas, dans notre région, en tant que ces adolescents ivres d’une certaine lumière, d’une certaine autorisation, invitation à vivre, et, à ce titre, contestataires des arts plastiques avant eux, de l’art de vivre tout court.

Photo Frédéric Altmann dans les années 70 : Nivèse, César, Frédéric Altmann ©DR

Et c’est ainsi que je les ai rencontrés alors que, poursuivant à Vence depuis 1960 l’œuvre de mon père Uudo Einsild, marchand à Paris de Modigliani, Soutine, Picasso, Wols, Atlan, Kikoïne, Yankel, majoritairement membres de l’Ecole de Paris, Robert Malaval fut celui qui tourna mon regard vers la nouvelle génération justement désireuse de rompre avec ce qui avait précédé, dont l’Ecole de Paris, malgré l’admiration de certains pour Nicolas de Staël, qui finit ses jours sur les remparts d’Antibes. Je commençai à exposer Malaval en 1965, son fameux « Aliment blanc », et allais le faire presque une dizaine de fois tout au long des années.

Nous sommes devenus amis, et c’est à travers une réflexion partagée avec lui que je m’intéressais aux tenants du Nouveau Réalisme, Fluxus, Support-Surface, certains déjà célèbres, certains qui très vite le deviendraient, tous habités par une problématique personnelle très forte, très excitante, et que j’allais suivre au fil des années, rajoutant d’autres strates, en particulier le Groupe 70, et des individualités rattachées de manière signifiante à un certain état d’esprit, à un rapport à l’objet, au signifiant, et surtout à un goût pour la liberté, pour le hors norme.

(A suivre)

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