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Des archives et des hommes (suite)

Suite du texte de Pierre Restany dans le catalogue de l’exposition « Ecole de Nice. » (Les « Trente ans de l’Ecole de Nice » en 1997)
Chaque dix ans, c’est-à-dire à deux autres reprises successives, nous nous sommes penchés, Alexandre et moi, sur le destin du concept de l’Ecole de Nice. Ce concept, je l’avais affublé en 1967 d’un point d’interrogation, en 1977 d’un point d’exclamation, en 1987 de trois points de suspension : Ecole de Nice ? Ecole de Nice ! Ecole de Nice…

Verso de l’invitation de l’exposition « Ecole de Nice. » de 1997 à la Galerie Alexandre de la Salle (Saint-Paul) © DR

Les signes de ponctuation différents finirent par prendre une valeur purement quantitative. Ils figuraient le baromètre de l’inflation des participants à la grande kermesse méditerranéenne. Il était temps d’y mettre le holà, c’est-à-dire le point final.
Mettre un point final à l’Ecole de Nice : pour cette version 1997 l’ami Alexandre avait deux options : la première, qualitative, était de retourner à la case de départ, celle du concept initial riche de virtualités mythiques ou bien celle, quantitative, d’ouvrir la porte aux nouveaux arrivants, selon la vieille formule : « plus on est de fous plus on s’amuse ».
En se montrant ainsi un hôte généreux et convivial, Alexandre de la Salle a clos l’épisode de l’Ecole de Nice dans la pleine euphorie d’une manifestation de masse. Un salon des grands et jeunes d’aujourd’hui en quelque sorte, la célébration du microcosme culturel divers et bariolé comme peuvent s’en payer toutes les villes de plus de 100.000 habitants dans notre Occident industrialisé. Je pense par exemple à l’Italie du Nord, à la Catalogne, à la Galice ou aux Baléares, ou encore aux communes de la banlieue parisienne que l’on appelait autrefois la banlieue rouge, à l’époque du marxisme pur et dur : Saint-Denis, Châtillon, Aubervilliers. Et c’est dans cette atmosphère de feria ou de foire du Trône que vient déboucher l’orbite déclinante du concept niçois, ramené à la juste relativité de sa valeur. Voilà le constat du point final, mieux vaut en rire qu’en pleurer. Et après tout le passage du mythe à la rumeur vaut bien une fête, ne serait-ce que pour en oublier les abusifs fondements.
Pierre Restany. Paris, mai 1997

Max CARTIER « Le voyageur » (1996) © DR

Par rapport aux choix de 1967 :
(Alocco, Arman, Arnal, Ben, César, Chubac, Farhi, Gette, Gilli, Klein, Malaval, Annie Martin, Venet, Verdet, Viallat)
De 1977 :
Alocco/ Arman/ Ben/Chacallis/Charvolen, Chubac, Dolla/ Farhi/ Flexner/ Gilli/ Isnard/ Klein/ Maccaferri/ Malaval/ Miguel/ Pinoncelli/ Raysse/ Venet/ Verdet/ Viallat
De 1987 :
Alocco, Arman, Ben, Chubac, Fahri, Gilli, Klein, Malaval, Serge III, Raysse, Sosno, Venet, Verdet…

… dans « Ecole de Nice. » (1997), les nouveaux « inscrits » dans ma galerie furent Max Cartier, Jean Mas, Bruno Mendonça, Nivèse, Bernard Pagès, Guy Rottier…
… même si Jean Mas était déjà présent dans le catalogue de Ben « A propos de Nice » pour l’exposition au Centre Georges Pompidou en 1977, à la rubrique fabriquée pour lui tout seul « Mythologie individuelle/analyse » : « Mas 1973 La Cage à Mouches ». Bernard Tréal était inscrit, lui, dans la rubrique « Nouveau réalisme (objets/appropriation/focus sur la réalité) » : « Tréal 1970 Soudure de manomètres ».

Jean MAS « Grande cage à mouches » © DR

Jacques Lepage et l’Ecole de Nice en 1997
La préface de Claude Fournet au catalogue de l’exposition « Ecole de Nice. » (1997) est déjà présente dans ma chronique précédente, mais celle de Jacques Lepage :
Cher Alexandre de la Salle, l’Ecole de Nice est née avec un point d’interrogation. Cette décennie le point est final. Mais n’est-ce point un abus de langage ? Certes on peut écrire que l’Ecole de Paris a succombé au cours des années 60, celle de Seattle, reprise (ou dévorée) par celle de New-York dans les mêmes temps… oui, les centres créatifs meurent, et pourquoi pas alors ne pas poser un sceau sur celui de Nice ? Mais laissons ce soin aux fossoyeurs.
Certes il fut un temps fort - les années 60 - où le trio Klein, Arman, Raysse fournit des réponses nouvelles à la créativité, découvrant et faisant découvrir que le langage de l’art est toujours à reconsidérer. Avant eux Duchamp et Dada, et avant Dada, Cézanne fausseront, oserons nous dire, l’axe du destin, et nos Niçois rejetteront à l’académisme les suiveurs, qu’ils soient figuratifs ou abstraits, avec l’immense cheptel des individus qui peignent.
Ce n’est pas à moi de répéter ce que tout le monde bégaye. Mais, ayant été pour quelque peu l’artisan de cette aventure qu’est l’Ecole de Nice, je prends plaisir à aventurer quelques souvenirs. Dès les années 50, j’étais lié d’amitié avec ce monde microscopique qui deviendra le garant de l’Ecole de Nice. Animateur, en ce temps, d’un petit groupe de jeunes intellectuels (les), le seul à Nice, nous y regroupâmes, parmi d’autres, des peintres comme Arman, ou Ben, Raysse, Malaval, Venet, et c’est devant ce groupe qu’Arman, ou Ben, ou Eliane Radigue (la première femme d’Arman) diront leur première conférence. Parmi les littéraires qui ont survécu au laminage du temps on y trouvait Le Clézio, Biga, Bosco, et des filles comme Michelle Cotta, qui devait plus tard présider le C.S.A.
C’est de ce petit monde que surgit l’Ecole de Nice, ainsi dénommée par Martial Raysse. Le club mourut, mais les peintres persistèrent et, après l’ébranlement psychique qu’avaient été les années 40/-45 et leur suite, inventèrent une nouvelle Charte de l’art. Charte modifiée, mais, en quelque sorte confortée par l’arrivée de Viallat qui, avec une majorité de Niçois : Saytour, Dolla, Toni Grand, Cane, frayèrent une autre voie dans la modernité, reposant une nouvelle interrogation à l’acte pictural et plastique. Et il ne faut pas oublier la mouche de tous les coches qui fera venir à Nice Maciunas et dix autres pourfendeurs de la niaiserie artistique (ou dite telle), ainsi George Brecht, Dietman, et quelques Lettristes, tout en s’appuyant sur des Niçois comme Serge III ou Mas. Cette historicité ébauchée, interrogeons-nous sur le destin de l’Ecole de Nice, bête noire du parisianisme.

Bruno MENDONÇA « Tour de Bambel » (1994) © DR

« Un feu de paille », diront ses détracteurs. Mais il est utile ici d’évoquer ce qu’est l’art sur la Riviera : y est réuni le plus grand nombre de Musées de France. De Picasso à Chagall, de Matisse à Léger, une vingtaine d’établissements de première grandeur. Et notons que la Côte d’Azur est le seul lieu en France, hors Paris, où il y ait des Musées nationaux (deux rien que pour Picasso). Une vingtaine de musées internationaux consacrés à l’art moderne auxquels il faut ajouter la Fondation Maeght. L’art ici s’enracine dans un humus qui ne manque pas de ressources.
Aussi, depuis la mort de Klein, il ne cesse pas de se manifester des artistes, comme Vivien Isnard ou Chacallis, qui maintiennent et soutiennent l’emprise internationale de l’Ecole de Nice. De plus jeunes aussi : B.P., depuis deux ans à la galerie Louis Carré à paris, joue au plus juste dans l’implantation internationale. De la même génération on peut citer Alberte Garibbo, Sonia Guérin, et parmi les plus jeunes, Bataillard, qui anime avec quelques camarades un groupe qui tend à ressusciter l’esprit d’ouverture et la convivialité des années 60 que la convoitise de beaucoup d’artistes a détruite.
Concluons en disant qu’il me revient que les Niçois, avec ou sans Ecole, reçoivent bon accueil à travers le monde et pas seulement au Japon. (Jacques Lepage)

Nivèse « L’atelier de Nivèse, Sculptures métal peintes » © DR

Frédéric Altmann et l’Ecole de Nice en 1997
Et voici également la préface de Frédéric Altmann au catalogue « École de Nice 1997 », sous le titre « « Le territoire de jeu de l’École de Nice, c’est le monde ! »
L’Ecole de Nice, c’est l’histoire artistique d’une longévité exceptionnelle. En effet depuis le début des années 60, cette nébuleuse que nous nommons l’Ecole de Nice continue à alimenter les passions. Les grincheux, les mesquins continuent à nier son existence, mais viennent, comme des mouches, lorsqu’il est agréable de grignoter les miettes du gâteau...
Jacques Michel du « Monde », les appelait les « Insurgés de l’art » lors d’une première exposition officielle, organisée par Jacques Lepage en 1967 à Nice. Et puis le monde devint leur territoire de jeu, en s’appropriant différents concepts : le monochrome, la compression, l’accumulation, l’oblitération, l’écriture, la coulée, le néon, l’al¬gèbre, l’empreinte, la découpe, le verbe, le mou¬lage, l’enlacement, le happening, la Performas, la couleur pure, l’Aliment Blanc, le Patchwork, etc.

Guy Rottier « Pont Flûte » (1990) © DR

Ensuite les écoliers sont partis découvrir le monde, ils étaient devenus adultes. Nous les avons vus à New York, Los Angeles, Miami, Taiwan, Tokyo, Séoul, Pusan, Berlin, Genève, etc. Paris n’étant qu’une escale pour rebondir d’un aéroport à un autre ; la prosternation n’étant pas de mise pour ces thuriféraires de l’art !
L’Ecole de Nice n’a jamais eu besoin de paternité : ni censeur, « ni Dieu ni Maître », ni théorie oiseuse et stérile, car ils sont libres, ces galopins, d’agir au gré du vent, du ciel bleu. L’astre solaire est plus intense qu’ailleurs, car ici, il n’est pas artificiel. Et cette odeur sublime des pins parasols, et les vagues houleuses qui emportent au loin les indécis.
Que cette « école buissonnière » soit maintenant reconnue mondialement, ce n’est que justice, car elle apporte depuis des lustres ce qui est indispen¬sable à l’art contemporain, l’insolence et la liberté d’expression.
Depuis trois décennies, avec une belle constance, Alexandre de La Salle commémore son premier éblouissement de ces fugueurs de l’art. Mais attention, ce n’est pas une fin, car derrière, les gosses sont affamés, ils poussent la porte avec la plus grande fébrilité et seront bientôt prêts à venir grossir les rangs de leurs aînés. Et, ils voyageront à leur tour au Gröenland, à Vladivostok, en passant par la grande Muraille de Chine et l’île de Pâques, ils seront au rendez vous de l’an 2007, et, pour¬quoi pas, les veinards, sur la comète de Halley ? Frédéric Altmann, Nice, 1er juin 1997)

(A suivre)

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