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Bernar Venet, Lignes de conduite

30 mètres de haut, 55 tonnes, un socle de 40 tonnes, telles sont les mensurations de l’impressionnante sculpture inaugurée début juin à Nice. Œuvre monumentale offerte par Bernar Venet, elle commémore le rattachement de Nice à la France, dont c’est le 150e anniversaire cette année, en symbolisant les neuf vallées qui forgent le comté de Nice. D’où son nom « Neuf lignes obliques ». Une œuvre qui a nécessité plus de deux mois de travail et plus d’un kilomètre de soudures, d’une valeur marchande de deux millions d’euros et réalisée par le cabinet Greisch, concepteur du viaduc de Millau… Ce qui en fait la plus grande d’Europe. Pourtant, Bernar Venet considère que c’est à lui que l’on fait un « magnifique cadeau », en lui permettant d’installer cette œuvre sur le toit du parking Sulzer, dans un environnement paysager de 1 500 m2 donnant sur la mer. L’artiste ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là. Outre l’arc du Jardin Albert Ier, il souhaite déplacer les Lignes indéterminées situées non loin de la galerie des Ponchettes dans le parc du MAMAC et les remplacer par une pièce plus imposante encore, avant de terminer le parcours par une autre pièce monumentale, celle-ci consacrée à l’angle. Droits, courbes, angles… Tout ou presque, dans l’œuvre de Bernar Venet, est histoire de lignes et de mesures. Ou d’absence de, dans le cas des lignes indéterminées.

Pourquoi la ligne ? « Parce que c’est un élément minimal, essentiel, simplifié au maximum ».

Un parcours non linéaire

Quand, en 1958, Bernar Venet arrive à Nice, à l’âge de dix-sept ans, il échoue au concours d’entrée de l’Ecole des arts décoratifs, « une chance ! », et intègre la Villa Thiole où, en un an, il fera le programme prévu en quatre ans. Engagé comme décorateur à l’Opéra de Nice, il part ensuite à l’armée pour 22 mois. « On me confie alors un atelier de 1 000 m2 et je commence à faire des choses… » A son retour à Nice, il développe ses peintures au goudron, « parce que le noir, c’est le rejet de la communication facile ». Il commence la série des reliefs en carton (peintures industrielles) et, surtout, réalise sa première sculpture, Tas de charbon, sans forme spécifique, posée à même le sol. « Il peut y avoir dix Tas de charbon en même temps, explique-t-il. L’œuvre d’origine n’existe pas. C’est le concept qui existe. » Un pièce historique, novatrice, une proposition radicale qui l’amène à développer l’art conceptuel, où plus rien n’a à voir avec le formalisme, la couleur ou la composition. « On est dans le langage. » Mais cela viendra plus tard car, à cette époque-là, personne ne s’intéressait à son travail.

« C’était une époque héroïque, où j’étais obligé de faire la fin des marchés ou d’aller à la soupe populaire pour pouvoir manger. » Jusqu’à sa rencontre avec Arman, en 1963, et d’autres représentants du Nouveau Réalisme, comme César, Hains ou Villeglé, qui lui proposent de partager des expositions avec eux. Et puis, en 1966, c’est le grand départ pour New York, sur un coup de tête. Depuis, l’artiste y habite, quand il n’est pas dans son moulin du Muy à agrandir son champ de sculptures ou à nourrir ses cygnes. C’est à New York qu’il commence à travailler sur des dessins industriels et des sculptures de tubes et à découvrir l’intérêt des plans. « C’est aussi en 1966 que j’ai commencé à utiliser les mathématiques dans mon travail, ce qui a constitué la base de tout ce qui allait suivre, en peinture comme en sculpture. »

Il réalise ainsi ses premières œuvres à caractère monosémique et est exposé chez Léo Castelli, Paula Cooper ou Virginia Dwan. « Jusqu’à Kandinsky, on était dans le figuratif, avec une interprétation polysémique. Depuis, l’abstrait offrait une lecture pansémique, avec toutes les interprétations possibles. Moi j’ai introduit la monosémie, qui apporte un seul niveau d’interprétation, sans aucune ambiguïté, une seule information à partir du moment où l’on sait la lire. » Les tableaux d’équations, voire les séries de Saturations, où plusieurs équations se superposent jusqu’à en brouiller totalement l’information, ne ressemblent pas à quelque chose d’abstrait. « Et pourtant, les mathématiques sont le plus haut degré d’abstraction qui existe au monde », déclare Bernar Venet. C’est aussi un champ de connaissances que l’artiste ne comprend pas. « Mais Cézanne n’était pas botaniste, Malévitch pas géomètre ni Courbet minéralogiste ! » Sa démarche a simplement été de prendre un champ de connaissances pour élargir le champ de l’art. Une démarche que personne, au départ, ne pouvait accepter comme étant œuvre d’art… « Or il s’agit d’un champ visuel colossal jamais exploré auparavant ! »

Entre ordre et désordre

Entre 1969 et 1975, Bernar Venet arrête sa production artistique pour des raisons théoriques, avant de revenir en force à son travail sur la ligne, sous toutes ses variantes et ses manifestations physiques. Il réalise à cette période les premières toiles de la série Angle et Arcs et des reliefs en bois : angles, arcs, diagonales, avant de concevoir, en 1983, les premières maquettes de ses lignes indéterminées. En acier, elles sont installées dans de nombreux espaces urbains et collections publiques, notamment à Nice, Paris, Berlin, Tokyo, Strasbourg, Pékin, Austin, San Francisco… « On se sent petit à côté des sculptures, mais si mon travail s’adapte bien à la monumentalité, il n’est pas conçu pour cela au départ. Je prends plus de plaisir à réaliser une sculpture de 20 centimètres de haut si elle est vraiment nouvelle. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de m’exprimer mais de faire quelque chose qui n’a jamais été pensé avant. » Les Accidents, ses performances sur des barres d’acier tombant les unes sur les autres, sont, pour lui, mille fois plus créatifs. « Qui a dit qu’on ne pouvait pas mélanger ordre et désordre ? Ils sont complémentaires. » En ce moment, Bernar Venet travaille beaucoup sur la peinture et notamment sur le doré, une couleur culturelle, en hommage à Giovanni Cimabue, peintre italien de la pré-Renaissance. Pourquoi ? « Parce que c’est à l’opposé de ce qu’on attend de moi ! »


Ses œuvres, Bernar Venet aime les concevoir, par ordinateur, et les voir une fois finies. Les faire, c’est un travail d’artisan dont il se passe bien. « De jeunes peintres qui ont besoin de travailler le font bien mieux que moi. »

Aujourd’hui, 25 sculptures monumentales sont installées à travers le monde. Le 10 juin, une de 38 mètres a été inaugurée à Séoul. Et l’artiste travaille à une sculpture de 90 mètres pour la ville de Salzbourg, qui devrait être inaugurée à la fin de l’année. En 2011, il exposera à Versailles.

Et après ? « J’étais déjà là pour le 100e anniversaire du rattachement de Nice à la France, je suis là pour le 150e, alors dans cinquante ans, je ne sais pas ce que je ferai ! »

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