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Robert Malaval « Le Voyageur imprudent »

Robert Malaval a marqué si profondément et traversé de manière si fulgurante, telle une super nova, son époque qu’il semble que celle-ci n’ait pas eu vraiment le temps de l’apprécier à sa juste valeur. « Même pas mort ! » titrait en 2005 « Beaux Art Magazine » suite à la double exposition revival que lui consacraient le Palais de Tokyo et la Biennale de Lyon. Il semble en effet que, comme un strige Malaval qui a vampirisé son siècle et « contaminé » par la bande de la contre culture tant d’artistes, revienne hanter la scène contemporaine. Quatre ans après l’exposition « Kamikaze » qui témoignait du caractère insolite et avant-gardiste de l’œuvre Pop torturée de cet homme tout entier tourné vers l’art, c’est le Musée des Beaux arts d’Angers qui a mis ses cimaises au tempo de Robert Malaval du 13 juin au 25 octobre. A Vence où vit sa fille, la Fondation Emile Hugues dans le cadre d’un « tir croisé » avec la collection Chave présente, elle quelques œuvres clés de l’artiste niçois. Lorsque que l’on se penche sur le cas Malaval, on découvre au-delà d’une œuvre hybride, insondable, une trajectoire qui fait fi de tous codes. Malaval n’a pas brouillé les pistes, il n’en a suivi aucune ! Une trajectoire singulière qu’il a choisie d’interrompre d’une balle dans la bouche en pleine période post punk, trois mois après le suicide de Ian Curtis. Comme le chanteur de Joy Division et d’autres avant lui, du Comte de Lautréamont à Antonin Artaud, Robert Malaval, s’inscrit dans cette veine de créateurs qui inventèrent un langage, se vouèrent corps et âmes à la quête de l’absolu et finirent dans la toile qu’ils avaient eux-mêmes tissée. Et rien n’évoque mieux une toile d’araignée que « l’aliment blanc ». Un piège immaculé, tentaculaire digne des hallucinations pandémique d’un Cronenberg au cinéma, qu’il installa avant de visiter d’autres univers parallèles. Un voyage qui emmena l’artiste de la croûte terrestre pour finir par une embardée sous la voûte où les étoiles jouent en boucle leur petite musique de nuit.

Robert MALAVAL, "Période paillettes", 1974. Acrylique et paillettes sur toile, 100 x 81 cm

Un aliment pour vos nerfs

Car dans l’œuvre de ce plasticien pluridisciplinaire la musique a toujours tenu une place prépondérante confirme Mathilde, sa fille « Il était fasciné par le son, il enregistrait tout dans la maison et dans la nature avec un Revox. Vincent Epplay a compilé toutes ces bandes pour l’expo du Palais de Tokyo. Il voulait faire des peintures comme sonne un riff de guitare. En fait, il n’a jamais vraiment aimé la peinture. Il préférait ses amis musiciens, il aurait aimé être une rock star, il en avait le charisme mais il était né avec les odeurs de l’atelier de peintre de son grand-père dans la demeure familiale de Saint Sylvestre » Ainsi à l’âge de 16 ans, Malaval découvre Gene Vincent et Van Gogh, en même temps que les lambretta et les surréalistes. Il commence à peindre. Après un séjour « initiatique » à Paris en 1956, il décide de revenir à la terre et s’installe dans les Basses Alpes avec son épouse où ils élèvent des vers à soie. Est-ce sous l’influence de cette magnanerie ou de celle des Carnavaliers niçois (pour lesquels il dessinera quelques chars), mais dès 1961 Malaval s’attaque à des motifs en relief faits à base de papier mâché accouchant d’une série d’œuvres fantasmatiques, d’un alien avant l’heure, qu’un enfant qualifiera un jour « d’Aliment blanc » « C’est après ma naissance et celle de mon frère qu’il s’est mis a développer ce projet envahissant au sens propre comme au figuré. Il ne faisait pas de la récup, tous les objets qu’il métamorphosait, infectait, avaient une valeur personnelle : le violoncelle de ma mère, le fauteuil de la tante, le cadre de l’oncle. Faire proliférer cette mycose blanchâtre et fongicide sur des objets familiers, sur lui aussi, c’était aussi sa façon d’exorciser sa peur de l’enfermement. Farouchement indépendant, il refusait les étiquettes. Et s’il fréquentait Ben ou Arman il n’aimait pas le label Ecole de Nice ni l’attitude de certains envers le marché de l’art »

Sauvage et « Collector »

Malaval était intransigeant avec lui-même comme avec ses congénères plasticiens mais encore plus avec les galeristes, excepté Alexandre de la Salle, Antonio Sapone (dont le beau-père tailleur lui offrit son premier costume d’artiste) et qui avec la Galerie Chave soutinrent son travail « Il était entier, direct. Plus d’une fois il a failli en venir aux mains avec des marchands qui auraient préféré pour leur business que mon père ne change pas aussi souvent d’univers créatif. Les seules personnes qui trouvaient grâce à ses yeux étaient les rockers. Avec les Rolling Stones, il redevenait comme un enfant » Un fan qui séjournera en 1971 dans la villégiature azuréenne où le band sulfureux enregistrera l’album mythique « Exile on the main street ». De la villa Nelcote à Villefranche sur mer, il reviendra avec six lithographies réalisées à partir des clichés de Dominique Tarlé, un ami photographe à qui l’on doit les très rares images le montrant vivant au quotidien dans ce jardin d’Eden avec les quatre « sympathisants du diable ». Malaval s’attèlera aussi à un livre sur les Stones. Un livre volé et récemment récupéré par sa fille « l’œuvre de mon père a été dispersée, essaimée entre collectionneurs. Aucun catalogue raisonné n’existe à ce jour. C’est toute une aventure quand on veut regrouper son travail. Des fois je me dis que cela n’est pas plus mal comme ça ! ça lui ressemble » Malaval est collector comme les vinyles avec lesquels il se baladait. Il est d’ailleurs un des rares plasticiens à avoir intégré la culture rock dans son œuvre comme dans sa vie. Et à l’instar de Keith Richard, l’artiste avide de découvertes mettra dans les seventies son corps à l’épreuve des paradis artificiels. Comme Camping Gaz Flash, fut un clin d’œil à Jumping Jack Flash « Ziggy Stardust » ou « Aladdin Sane » de David Bowie influenceront ces dernières investigations. Ainsi, après avoir dessiné à l’encre de chine d’étranges paysages lunaires et organiques puis des « pastels vortex » qui renvoient à son autre passion, Philippe K Dick, Lovecraft et la SF, Robert Malaval prendra la direction des étoiles. En 1973, il s’entiche d’un nouveau matériau, les paillettes. De simples pigments, ils deviennent sujets de toiles sur fond de néant, de trous noirs, de sa fascination pour les arcanes du temps et le cosmos. Sa série « Poussière d’étoiles » comme un oracle clame alors l’éphémère. Ultime posture d’un Dandy qui vivait sa vie en nuit américaine ? « Mon père avait un physique d’acteur, on le voit dans un film sur l’école de Nice ou sur les portraits de Dominique Tarlé. Il aimait le cinéma, 2001 l’Odyssée de l’Espace, Soleil vert mais, ne pouvait pas tenir en place dans une salle obscure. En fait sa propre vie était un film »
À partir de 1977, Robert Malaval dont l’humeur s’obscurcit lorsqu’il n’invente pas des formes nouvelles, d’antidotes à l’ennui pour apaiser sa soif, s’intéresse à l’inconnu, trop, comme à son habitude. Installé à Carrières sur Seine avec des amis musiciens, à 43 ans, il réalise une œuvre en forme de testament « Carte postale du fantôme » et une dernière performance choc à Créteil "Peintures-Express" qui fait couler autant de peinture que d’encre. A ce stade comme dit des Esseintes, le héros huysmanien de « A rebours » « il ne lui restait plus que les pieds de la croix ou la bouche froide du canon ». Le 9 août 1980 alors que la scène punk épingle le « no future », quand l’étoile des Clash, brille sur le tee-shirt maculé de sueur de Joe Strummer, celle poudrée d’escarmouches scintillantes, a déjà emmené Malaval à mille lieues de là, le temps d’un riff, d’un éclat, le temps d’une comète… !

"C’était un être volcanique, un visionnaire…"

Germination d’un fauteuil Louis XV - 1963, Sculpture-objet 90 x 63 x 68 cm Fonds national d’art contemporain, en dépôt au Mamac, Nice

Les années qu’il a vécu, Malaval les a vécues de façon brûlante, atypique. C’était un écorché vif, un volcan d’idée et d’invention, un artiste aux milles facettes qui s’intéressait à beaucoup de choses et fut en avance de 30 ans sur ses contemporains. César, Arman l’estimaient beaucoup. Il vivait à cent à l’heure, travaillait jour et nuit sans règle de vie comme les autres, dans un petit local, fuyant les mondanités. Très ordonné pour son travail, il ne l’était pas pour le reste. On était très amis et dans ses moments difficiles il m’appelait, même parfois la nuit. On restait au téléphone longtemps. Quand il s’est suicidé, j’étais en Italie. Pendant longtemps j’ai pensé que j’aurais pu faire quelque chose. L’annonce de sa mort fut un choc, j’en ai souffert. Aujourd’hui encore Malaval me manque. A la galerie on avait présenté en 1974 sa période paillette. Je me souviens lorsqu’il est revenu à Nice avec cette toile qui s’appelait « Je suis une étincelle ». C’était très audacieux, à contre courant. Quand il est mort beaucoup sont venus pour acheter ses toiles mais je ne voulais pas les montrer. On aurait compris de son vivant le génie qu’il était, peut-être que les choses auraient pris un autre tour. Malaval avait une stature internationale, il aurait dû être au devant de la scène, son œuvre est plus que jamais d’actualité.

Antonio Sapone (galeriste, Collectionneur)

« Il y avait de la giclure blanche partout ! »

La première fois que j’ai vu Robert Malaval, c’était, en 1964, il arrivait à Vence avec sa femme et ses deux enfants dans un attelage tiré par un âne. Une vision incongrue, surréaliste. Il venait s’installer dans un appartement prêté par « le père Chave ». Très rapidement j’ai exposé ses dessins et quelques pièces de ce qui demeure pour moi sa grande œuvre : l’Aliment blanc. Il m’avait raconté l’origine de ce projet artistique. Juste avant de revenir sur la Côte, il élevait dans les Basses Alpes des vers à soie qu’il gavait de feuilles de murier. Un jour ouvrant l’une des claies, il avait découvert que les vers avaient littéralement explosés, « il y avait de la giclure blanche partout ! ». Cet incident l’avait profondément marqué. Robert Malaval était un garçon sensible, agréable, très intelligent, doué d’un humour caustique. Il n’était pas du tout piégé par le système. Nous avons eu une relation infiniment cordiale. Lorsque je l’ai revu plus tard à Paris malgré son état physique qui s ‘était dégradé à cause de tous ses excès, il avait conservé cette lucidité. Parfois il venait chez moi à Pont du loup. Il me parlait de sa passion pour la BD et la Science Fiction, de l’écrivain Jean Ray et de « Malpertuis » qu’il venait de lire. Je n’ai jamais aimé les armes mais ma sœur m’avait offert un superbe 22 long rifle en bois doré. Malaval en était tombé amoureux et me suppliait de le lui vendre. Un jour, il a posé sur la table une de ses gouaches et je n’ai pas pu faire autrement que de céder. Lorsque j’ai appris son suicide avec ce type d’arme j’ai été bouleversé mais aussi très troublé. S’il ne fallait ne retenir que 3 ou 4 artistes de l’école de Nice il en ferait partie. Mais il était le seul qui brûla sa vie avec autant de passion à la manière des « Montparnassiens ».

Alexandre de la Salle (Galeriste, collectionneur)

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