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Terra Amata : 400.000 ans d’âge

Les « fouilles de sauvetage » effectuées en catastrophe avant que le site ne disparaisse, c’était une première en France. Un musée construit sur le site même de fouilles préhistoriques, au rez de chaussée d’un immeuble d’habitation, également. Le musée de Terra Amata sort de l’ordinaire, d’autant plus que les homo erectus qui vivaient là y inventèrent le feu. Retour dans le passé …

Intérieur du musée
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A l’aube de l’humanité, voici 400.000 ans, le mont Boron était une plage de galets accueillante, que les hommes utilisaient comme halte de chasse.
Ce n’était pas un habitat permanent car on n’a retrouvé aucun ossement humain - seulement la dent de lait d’un enfant - mais on sait par contre qu’ils sont venus 29 fois occuper les lieux, pour y chasser éléphants et rhinocéros, daims et cerfs, sangliers et aurochs qu’il faut imaginer présents en grand nombre dans la région.
Et c’est là, s’abritant sous des huttes de branchages, que les Homo erectus de Terra Amata domestiquèrent le feu … Du moins a-t-on pu retrouver des restes de foyer datant de cette époque sur ce site, qui a une histoire quelque peu rocambolesque.

Quand éléphants, rhinocéros, daims et aurochs gambadaient sur les pentes du mont Boron…

En 1860, lors de la construction de la route de la Basse Corniche - à l’emplacement de la station BP actuelle, sur le boulevard Carnot - on fait une étonnante découverte : des ossements … d’éléphants, puis tout retombe dans l’oubli.
Un siècle plus tard, la maitresse du roi de Yougoslavie, qui possède une superbe villa sur le mont Boron, décide de vendre son jardin à un promoteur. Ce dernier commence à tailler la colline puis s’arrête faute d’argent.

Bertrand ROUSSEL devant une œuvre réalisée par une étudiante de la Villa Arson, Melle Eun Yeoung LEE, 2008, pour l’exposition TAM FORTIS QUAMARDENS
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Des géologues passant par là remarquent bientôt une plage fossile – un amoncellement de galets visibles dans l’entaille faite dans la colline.
Une plage à 26 mètres d’altitude ?
Voila qui interpelle aussi les archéologues : rapidement, ils découvrent le premier « biface » (outil en pierre taillé sur les deux faces).
Un nouveau promoteur rachète le terrain et recommence des travaux de terrassement … Heureusement, le préhistorien Henry de Lumley, alors chargé de recherche au CNRS de Marseille, a eu le temps de faire une première prospection du chantier et de découvrir d’autres outils et des restes d’animaux qui éveillent son intérêt.
Nous sommes en 1966, aucune loi n’existe, c’est pourquoi, malgré les articles dans la presse et le soutien d’André Malraux, alors ministre de la culture, on ne donne à Henry de Lumley que six mois pour effectuer ce qui deviendra la première « grande fouille de sauvetage concernant la Préhistoire » en France.

Intérieur du Musée, grand moulage du sol DM, 380.000 ans
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De janvier à juillet 1966, pressée par le temps, son équipe travaille d’arrache-pied, tous les jours et bientôt 24 heures sur 24 : 28.800 pièces seront répertoriées et « coordonnées en x, y et z », selon la méthode classique des archéologues, qui consiste à faire des carrés avec des fils tendus.
Enfin, sera réalisé un gigantesque moulage du sol de 60 mètres carrés qui permet aujourd’hui de visualiser une des 29 couches, ou « occupations du sol ».

Intérieur du Musée, grand moulage du sol DM, 380.000 ans
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Quasiment une première mondiale … De même que ces fouilles de sauvetage serviront de modèle à la loi qui paraitra beaucoup plus tard.
Et qu’a donc découvert le professeur de Lumley ?
Rien de moins qu’un campement de chasseurs vieux de 400.000 ans et un des plus anciens foyers de l’histoire de l’humanité !
Avec ce scoop, il n’eut pas de mal de convaincre le maire de l’époque, Jacques Médecin, de faire construire un musée à cet emplacement - en fait, le rez de chaussée de l’immeuble qui sera finalement construit.
Inauguré en 1976, ce musée sera le premier « musée de site » consacré à la préhistoire en France. Il est aujourd’hui dirigé par Bertrand Roussel.

Bertrand Roussel, tout feu tout flamme

Bertrand Roussel
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Bertrand Roussel- 35 ans
- Directeur de collection du musée Terra Amata
- Aime voyager immobile

A l’image de l’entomologiste Jean-Henri Fabre, qui passa sa vie à observer de minuscules insectes, Bertrand Roussel aime voyager immobile, entouré de murs couverts jusqu’au plafond de centaines de tiroirs où sont classés des morceaux infimes de la vie aux temps préhistoriques - de l’os de mulot jusqu’au biface.
C’est dans cette salle hors du temps que se préparent les 4 volumes de la monographie complète du site de Terra Amata, dont le premier sortira bientôt, et qui permettra de reconstituer et comprendre le mode de vie en ces temps lointains.
Docteur en archéologie préhistorique, maitre de conférences, Bertrand Roussel est né à Marseille en 1974.
De parents originaires du Gard, ayant vécu à Arles et Montpellier, Bertrand se sent pourtant niçois : s’il n’est pas très fan des voyages lointains, il aime approfondir sa connaissance d’une région qu’il a fait sienne. Par exemple en participant à la conception du guide « rando malin », aux éditions Mémoires Millénaires, sur le thème « comment faire des randonnées intelligentes sur la Côte ».

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Depuis son arrivée au musée, il essaie de rendre vivante cette époque. Par exemple en prenant le timbre comme prétexte :
« L’idée de cette exposition était de raconter la préhistoire à partir de la collection de timbres de Pierre Cadenat. A chaque thème - les outils, l’art … - nous présentons les objets correspondant dans des vitrines : dent d’éléphant ou de mammouth, harpons ou pics… »
Eclectique, Bertrand aime aussi l’art contemporain. Cette année, dans le cadre de Mars aux musées, il a travaillé avec des étudiants de la Villa Arson.
Pédagogue et passionné, il a su les faire vibrer en leur expliquant la préhistoire. Après trois jours d’explications et d’installation avec les étudiants, le résultat est là : tag et faux tags, moulages de bombes de peinture, réflexion sur le réel-non réel, parpaing symbole de l’immeuble qui enserre le musée, reconstitution impossible d’un bloc ayant servi à tailler des bifaces … de quoi méditer sur l’origine de l’homme.
Surtout quand on sait que, si l’homme de Terra Amata a 400.000 ans, l’art n’a lui, « que » 40.000 ans !

Le Briquet Pneumatique
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Curieux de tout, Bertrand Roussel s’intéresse aussi à l’ethnologie ou à l’époque médiévale, aimant par dessus tout « croiser les disciplines ». Malgré son jeune âge, iI a déjà écrit plusieurs livres, dont « la grande aventure du feu » (chez Edisud, avec Paul Boutié) et même tout récemment « le briquet pneumatique ».
Autant dire qu’il est devenu un spécialiste du feu : on le réclame désormais pour des communications et autres conférences sur ce thème.
Le dernier livre en préparation promet d’être davantage coquin et décalé : surprise réservée pour la rentrée !

D’où vient-on ?

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Venant d’Afrique, l’homme arrive aux portes de l’Europe, il y a 1,8 million d’années. On le retrouve ainsi dans le Caucase en Géorgie. Puis, on suit sa trace en Espagne et en Italie du sud (vers 1,4 millions d’années), puis dans le sud de la France (un million). Ensuite, cet Homo erectus européen se « néandertalise ». L’homme de Neandertal disparait il y a 29.000 ans pour des raisons encore inexpliquées. Il est alors remplacé par l’homme moderne, ou Homo sapiens, également issu du berceau africain.

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