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La modernité de l’empreinte passée

Chaque été, le Grimaldi Forum Monaco produit une grande exposition thématique, consacrée à un mouvement artistique majeur, à un sujet de patrimoine ou de civilisation. Après « SuperWarhol », « New York, New York », le Grimaldi Forum nous plonge cette année dans l’Egypte ancienne, la plus brillante et mystérieuse des civilisations.

Si les expositions consacrées à ce thème sont abondantes, celle-ci est exceptionnelle à plus d’un titre : pour la première fois ce sont les personnages des « Reines d’Egypte » qui sont mis en lumière sur près de 4000m2 , la grande majorité des 250 chefs d’œuvres est présentée pour la première fois en France et les plus grands Musées du monde participent à cette exposition en prêtant des œuvres emblématiques.

Statue de Cléopatre Epoque ptolémaique 1er siècle avant JC
Musée de l’hermitage St Pétersbourg inv 3936 ©The state Hermitage Museum St Petersburg (Sveltania Suetova)

Pour goûter, en avant première, les joies de cette exposition d’une envergure peu commune, partons en promenade dans les allées ouatées avec son metteur en espace François Payet.

Alchimiste d’idées et d’images

Après avoir fait vivre avec talent les mythes et légendes de Saint Pétersbourg en 2004 au Grimaldi Forum, François Payet revient créer, avec un plaisir non dissimulé, dans ce lieu qu’il décrit comme « un des outil les plus performant qui puisse exister pour faire des expositions ». Entretien avec ce concepteur qui a chuchoté à l’oreille des Reines d’Egypte pour nous donner à ressentir leurs secrets enfouis !

Interview du scénographe François Payet

Créateur protéiforme, architecte, scénographe, muséographe, vous concevez des bâtiments, des aménagements muséaux et des scénographies d’exposition : comment articulez-vous ces trois activités ?
Il est très compliqué de répondre en quelques lignes à cette question : la partie « architecte pur » (c’est-à-dire « de bâtiment ») ne s’est pas déroulée en même temps dans ma carrière, et donc actuellement je n’en fais plus. Par contre la pratique de l’espace (composition spatiale) en tant qu’architecte reste un outil très important dans mon métier de scénographe, et encore plus ici dans la situation du Forum Grimaldi, puisque l’espace est un grand plateau libre et que toute l’architecture du lieu est à définir !

« Exposer » des statues et oeuvres inanimées, cela ne va pas de soi dans notre société où tout est perpétuel mouvement. Comment avez-vous résolu cette difficulté pour rendre perceptible ce qui ne l’est plus ? Quels ont été les principes et buts recherchés à travers votre scénographie ?

Image de synthèse d’une des salles d’exposition
©Tous droits réservés F.Payet

C’est une exposition qui nous fait vivre un voyage par l’esprit, c’est le voyage immobile et intérieur de notre regard plongé dans les fondements de notre culture. C’est une exposition conçue pour être approchée dans la lenteur, avec le temps qu’il faut pour que les objets nous imprègnent : elle laisse l’Histoire nous absorber. Les objets ne sont pas seulement exposés.

©Tous droits réservés F.Payet pour Reines D’Egypte

Ils sont là, émouvants par le temps qu’ils ont parcouru, par la mémoire qu’ils représentent. Ils façonnent par leur disposition et leur présence l’espace d’exposition. Ils donnent vie au parcours du visiteur et donnent sens à l’espace scénographique qui les entoure. Ils sont lumière, forme, matière, mais aussi le médium pour comprendre la réalité de l’Égypte ancienne. Ce ne sont pas que des mots : la lenteur se traduit en dispositif scénographique, c’est une forme de parcours, un parcours long, scandé, un peu sinueux qui fait perdre au visiteur ses repères dans l’espace.

"C’est une exposition qui nous fait vivre un voyage par l’esprit, c’est le voyage immobile et intérieur de notre regard plongé dans les fondements de notre culture."
©Tous droits réservés F.Payet

Comme une respiration, le parcours se construit dans la traversée de lieux alternés et complémentaires : les uns ouverts et dynamiques développant l’espace nécessaire aux œuvres (c’est le terrain où le regard du visiteur se focalise et s’imprègne), les autres intérieurs, où le corps et l’esprit se posent, le temps de comprendre, des espaces de pause et de consultation (mais pas seulement…). L’originalité de cette scénographie, c’est de permettre une relation toute en nuances de ces deux types d’espaces entre eux.

Catherine Ziegler, Commissaire de l’exposition, souhaite que le visiteur « après avoir pris beaucoup de plaisir, reparte plus instruit et plus curieux qu’il n’y était entré » : comment avez-vous répondu à cette volonté de concilier plaisirs visuels et informations pédagogiques ?
Il n’y a pas de dissociation à faire entre les deux, quand on part dans un projet comme celui-ci on ne se dit pas d’un coté on va se faire plaisir et de l’autre on va en donner un peu pour le public. Quand on conçoit « on est le public », on s’intéresse, on apprend : je me suis plongé dans de nombreux textes sur l’Égypte avant de tenir mes idées. C’est seulement après qu’on traduit cela en espace. Ma volonté n’a pas été de dire, « on fait un beau documentaire au début et on se débarrasse du problème du sens ». Le côté didactique est inclus dans le parcours, dans un va-et-vient régulier entre voir… comprendre… voir … comprendre… (Et on en revient à la lenteur.. !)

"Le côté didactique est inclus dans le parcours, dans un va-et-vient régulier entre voir… comprendre… voir … comprendre"
©Tous droits réservés F.Payet

Est-il difficile pour un scénographe de répondre au besoin de sensation caractéristique d’un large public pour lequel la question du contenu est peut-être moins importante que celle du contenant, pourvu qu’on le fasse rêver ?
Je crois que le contenu ne peut atteindre le visiteur dans une expo (ou dans toute chose de la vie) que s’il est justement inscrit dans la sensation : on apprend plus d’un poème que d’une notice technique de « réveil matin » !

Comment votre masculinité a-t-elle perçu cette exposition entièrement consacrée aux femmes ?
Je voulais traduire une forme d’érotisme dans le regard que je portais à la nature de la femme Egyptienne, le traduire de façon très littéraire. Pour cela je me suis beaucoup appuyé sur la force des textes d’Elie Faure, dont je vous cite un passage :
« Les femmes quand elles se parent,
ou mouillent leurs pinceaux fins pour farder leur maîtresses,
ont l’air de roseaux inclinés pour chercher la rosée dans l’herbe.
Le monde a le frisson silencieux des matins. »*(Elie Faure – L’Egypte)

Une œuvre de l’exposition vous a-t-elle touchée plus spécifiquement ?
J’ai toujours une relation particulière avec les œuvres puisque que je les relie toujours à l’espace que je crée autour. Je pense notamment à ces statuettes qui font plus africaines qu’égyptiennes, très primitives dans leurs factures, des petites sculptures de 20 à 25 cm, des petits bouts de femmes, très intenses … que je mettais en lumière dans les interstices d’immenses colonnes … sombres : la statuette de Dame Touty ou la statuette de Nebetia.

Statue de princesse abydienne ME XII dyn. règne d’Amenemhat III Provenance : Abydos, fouille de W. Petrie
The supreme Concil of Antiquities of the Arab Republic of Egypt JE 36559 ©Sandro Vannini

Rendez-vous cet été dès le 12 juillet, pour vivre une expérience mêlant esthétisme et poésie, et redécouvrir les empreintes étonnamment modernes laissées par ces femmes au destin hors du commun !

Autour de l’expo


Toutes les infos dans la rubrique Expositions du site : www.grimaldiforum.mc
Le catalogue de l’exposition (parution Juillet 2008)
368 pages couleurs et 550 illustrations – en version française ou anglaise
Visites nocturnes les jeudis et samedis jusqu’à 22h
Des visites commentées pour le jeune public et pour tout public

Autour de l’expo
Toutes les infos dans la rubrique Expositions du site : www.grimaldiforum.mc
Le catalogue de l’exposition (parution Juillet 2008)
368 pages couleurs et 550 illustrations – en version française ou anglaise
Visites nocturnes les jeudis et samedis jusqu’à 22h
Des visites commentées pour le jeune public et pour tout public

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