| Retour

Cannes : Les Réminiscences d’Igor Tourov

« Peut-être de l’enfance ? »… Un français maladroit, une barbe de quelques jours, les cheveux longs de celui qui aime passer sa main dedans en rêvassant, Igor Tourov est grand, très grand. Ses photographies aussi, car son art touche le plus grand nombre. Voilà trois ans que l’artiste tente de réunir des souvenirs de son enfance, des instants de son passé, réminiscences fragiles, trésors enfouis mais qui, par ces clichés, ne plongent pas dans l’oubli. Igor joue avec nos mémoires comme avec la sienne, aiguise son objectif tout comme notre curiosité. La « madeleine » d’Igor Tourov est à découvrir jusqu’à la fin du mois, au Palais des Festivals de Cannes.

« Tu resteras là, à la station ‘l’Enfance’, dans ton monde heureux et insouciant. […] Je pars. Quelles que soient les stations qui m’attendent, ce n’est pas important. Ce qui importe, c’est que tout ce que j’ai de mieux en moi, je le tiens de toi ! Et je promets que je penserai à toi, te parlerai dans mes textes, tenterai de te ressembler… !!! Seulement je ne pourrai jamais devenir toi. Adieu le petit ! » Dans cette introduction à son travail, Igor Tourov s’adresse au petit garçon qu’il était, que plus jamais il ne pourra être, « nous ne serons plus jamais des enfants ».

Quand l’artiste s’auto-critique
DR

L’artiste a voulu faire revivre cette enfance : fouler les chemins qu’il dévalait jadis à vélo, contempler la plage sur laquelle il jouait, rendre hommage aux bancs sur lesquels il prenait le gouter après l’école… Un véritable périple, voyage dans le passé, dans son passé, le nôtre, tous les passés. Une quarantaine de photographies comme pour entamer sa propre introspection, pour finir les yeux rivés sur la dernière photo, ému ou hébété. Trois ans de travail et de recherche pour aboutir son projet. Certains disent de lui qu’il a le talent d’un Chagall ou d’un Kandinsky, un deuxième Strykowski à la fois professeur, metteur en scène et photographe, cet homme aux multiples talents, qui ne parle que le russe, s’est confié…

Entretien avec Igor Tourov

L’enfant à la plage
DR

Vous avez fabriqué vous-même votre lentille, un objectif particulier qui permet de ne rendre clair qu’un point précis de la photographie. Le reste semble flou, comme dans un rêve. C’était un projet difficile à concrétiser…
« Il m’a fallu sept ans pour trouver comment matérialiser les pensées d’un enfant par une personne d’âge mûr. Je suis également metteur en scène pour le théâtre. Il aurait été plus simple de trouver un petit garçon pour incarner mon propre rôle, reconstituer une sorte de film, tableau par tableau, mais ce n’est pas la vérité, ce ne sont que des personnages sur une scène. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à essayer plusieurs techniques, plusieurs appareils et objectifs, j’ai mis de côté ceux qui rendait l’image floue, ceux avec lesquels on croit avoir un strabisme ! J’ai travaillé avec des objectifs qui faussent mon travail, qui apportent des défauts à l’image de base. J’intègre des courbes, des cassures sur l’image pour ne me focaliser que sur un point, le reste s’envole. C’est ce flou qui rend l’image plus réelle. Elle retranscrit au mieux mes émotions, mes souvenirs, à travers le prisme du temps. Sachant que ce n’était peut-être même pas comme ça lorsque j’étais enfant, mais aujourd‘hui c’est la façon dont je me souviens de ces événements.

La série n’a jamais été exposée en entier…
Non, c’est la première fois. Seulement en Slovaquie pendant une exposition très fermée de photographes. L’an dernier nous étions à Beaulieu, un journaliste a parlé de « génie d’illusion », ce sont des compliments qui me vont toujours droit au cœur, que je n’arrive pas à gérer, surtout venant de la part de professionnels !

Pluie de Photographies
DR

Vous avez commencé par la mise en scène au théâtre, par donner des cours ou par la photographie ?
J’ai commencé par le théâtre, la mise en scène c’est le travail de toute une vie. Du moins, la mienne ! Mais la mise en scène, si on analyse, ce n’est que de la 3D, le transfert sur papier, pour une image figée était plus facile pour moi, avec cette formation de la scène, des instants. A côté de cela, je fais de la photographie depuis quinze ans.

Finalement, l’art de la photographie rejoint celui de la mise en scène ?
Les règles de composition sont les mêmes. La photographie c’est la seule activité que je peux pratiquer en dehors du théâtre. Le théâtre c’est ma vie.

Souvenirs d’enfance
DR

On revient un peu à l’exposition… Où ont été pris la majorité des clichés ?
Kremi, Russie, mais mon but est de ne pas donné le lieu exact. Tous ces endroits sont directement liés à moi, connectés à mon enfance. Kremi, c’est un petit peu la Nice russe.

Le résultat se veut sorti tout droit de l’imagination de chacun par cet aspect flou, mais il y un vrai fondement derrière, quelque chose de réel.
Oui, chacune d’entre elles représente réellement un instant de ma vie.

Il y en a dont vous êtes particulièrement fier ? Qui sont importantes pour vous par ce qu’elles rappellent et vous évoquent ?
Deux clichés qui représentent la route de la ville « Emeraude », comme dans le Magicien d’Oz… Celle d’un garçon à vélo : c’est peut-être moi sur cette bicyclette... Mais il y en a deux dont je suis particulièrement fier, ce sont les deux dernières de l’exposition. L’une représente l’entrée d’une bouche de métro. C’est une invitation à l’introspection : voir en soi-même, retourner dans ses souvenirs. Ces escaliers qui mènent vers quelque chose d’obscur, d’incertain, c’est la possibilité de voyager en soi-même, de s’enfoncer dans notre mémoire. La deuxième photo est très triste : c’est un paysage enneigé, tout y est figé, comme pour dire : « Excuse moi mon petit, je ne peux pas revenir dans mon enfance. J’ai essayé et c’est tout ce que je peux faire ».

Replonger en soi-même
DR

Ce sont des photos sans signature…
Peut-être qu’il faudrait, mais je ne veux pas m’approprier la photo. Je veux laisser le spectateur s’accaparer mon travail, le comprendre et l’interpréter à sa manière sans se dire que ces photographies m’appartiennent et me concernent. Ces photos sont les souvenirs de tout le monde. »

Propos recueillis par Aurélie Mignone
Un grand merci à Natalia Stotltz, membre de l’association RussAzur* qui a assuré la traduction de cette entrevue.

* RussAzur
Créée il y a tout juste un an, l’association a pour but de promouvoir la culture et les arts russes en France, particulièrement dans les Alpes-Maritimes puisque deux expositions ont été organisées à Beaulieu (2008) et à Cannes (2009). Organiser des rencontre entre les artistes et le public français.

Celui sur lequel nous nous sommes reposés, un jour
DR

Informations Pratiques

- Igor Tourov "Peut-être de l’enfance"
- Exposition Photos

- Palais des Festivals
- Office Du Tourisme
- 1 Bd de la Croisette
- 06400 CANNES
- Télephone : 04 92 99 84 22

pub