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Une Fondation moins utopique que prosaïque

Créer un « Quartier Latin aux champs », un « Florence du XXI ème siècle ». C’était l’idée lancée par Pierre Laffitte en août 1960 dans le journal Le Monde. Neuf ans plus tard, naissait Sophia Antipolis, dont le nom était « porteur d’une ambition, celle de construire dans une garrigue déserte une Cité Internationale de la Sagesse, des Sciences et des Techniques ».

« Le modèle sophipolitain, aujourd’hui, fonctionne. Porteur de dynamisme créatif, il continue à attirer des cerveaux du monde entier » même s’il reste à développer, entre autres, « une interaction forte avec le monde des arts, de la philosophie, de l’éthique ». Un euphémisme, cette « critique » de Pierre Laffitte concernant le rôle dévolu à la Fondation Sophia Antipolis. Du moins si l’on en croit Paul Rasse, universitaire qui a étudié la distance entre l’utopie du projet initial et la réalité actuelle. Petit rappel historique.

Une exposition en 2008
DR

De l’utopie à la réalité

Au commencement était une utopie, la « fertilisation croisée », ou rencontre entre savants, enseignants, industriels … Ce devait être le rôle assigné à la « zone R », place Sophie Laffitte, où se trouve toujours la Fondation.
Car si Pierre Laffitte est un scientifique, il est également un amateur d’art et de culture, d’où son initiative, en 1984, de créer la Fondation Sophia Antipolis, dont le rôle était « l’animation scientifique et culturelle de la technopôle ».
Tout avait bien débuté : les premiers équipements culturels voyaient le jour, une librairie spécialisée dans le management, un théâtre de plein air conçu par Yves Bayard où furent organisés, aux beaux jours, concerts et festivals. L’Association Sophia-Antipolis chargée de l’animation le fit avec enthousiasme, cherchant à « créer un nouvel état d’esprit, une nouvelle convivialité ». Plusieurs grandes expositions furent organisées, à commencer par une exposition Picasso (pour laquelle sa veuve Jacqueline prêta des oeuvres), une rétrospective Hans Hartung (1985), ou encore une exposition sur l’Ecole de Nice (1997).

Mais bientôt, le projet s’essouffle, ni le musée d’art moderne et ni le centre de culture scientifique ne virent le jour. Faute de relais, de moyens ?
Pierre Laffitte a-t-il « échoué au moment d’en faire battre le cœur », comme l’analyse Paul Rasse ?
Il est vrai que la librairie a depuis longtemps fermé ses portes, tandis que le théâtre de plein air est à l’abandon, la construction toute proche d’un hôtel y empêchant désormais la production de spectacles nocturnes.

Une utopie...
DR

Aujourd’hui, la Fondation privilégie la culture scientifique

Certes, la Fondation a sans doute réduit ses ambitions, mais, sous
la direction de Roselyne Koskas, elle accompagne aujourd’hui les cadres à la recherche d’emploi, accueille des délégations internationales, édite chaque mois les Nouvelles de Sophia : à son actif, ainsi, 80 manifestations par an, colloques, forums, ou petits déjeuners à thème.
Côté culture, c’est le versant « culture scientifique » qui est privilégié, avec l’ambition de « permettre aux actifs de la technopole de comprendre et de maîtriser les évolutions actuelles de la science ». D’où l’idée d’Annie Ovigny, Directrice du département culture et communication depuis trois ans, de conférences scientifiques accompagnées d’expositions sur le même thème. Exemple, on pouvait, en novembre dernier, assister à une conférence sur le thème « Changements climatiques et démographie » par un membre de l’Académie des Sciences, tout en visitant une exposition de photos de pingouins prises par les chercheurs du CNRS aux pôles.
De même, une conférence sur l’astronomie par Albert Bijaouï sera accompagnée de peintures de Gilbert Soulié, peintre de l’espace.
Sans oublier les nombreuses expositions montées en collaboration avec les entreprises ou institutions du site autour de thèmes comme l’architecture innovante, le design ou les retables des primitifs niçois.
De façon plus prosaïque, la Fondation propose également des cours de salsa, des conférences-débats du cercle de réflexion philosophique « Philo-Sophia » (tous les vendredis), des concerts classiques (chaque lundi, par le Sophia Ensemble ou autre quatuor vocal russe) ou encore un atelier de poésie ou d’improvisation théâtrale le lundi.
Le XXI ème siècle est arrivé, les sciences et les techniques prospèrent à Sophia Antipolis, et si la Renaissance n’a pas eu lieu comme le rêvait Pierre Laffitte, la Fondation fait son possible pour atteindre, si ce n’est la « Sagesse », du moins l’âge de raison.

Rencontre avec Pierre Laffite

L’innovation. C’est en un mot, la passion première de Pierre Laffitte. Tenace, intègre, il déteste « le mensonge, l’incompétence, la pesanteur de certaines structures et la résistance au changement ».

FONDATEUR S2NATEUR LAFFITTE

Né en 1925 à Saint-Paul de Vence, Pierre Laffitte fut d’abord conseiller municipal de sa ville natale. Il était encore, jusqu’en septembre 2008, sénateur des Alpes-Maritimes, membre du Parti radical valoisien et sénateur du groupe Rassemblement démocratique et social européen.
Formé à l’école de Célestin Freinet, à qui il doit sans doute sa liberté d’esprit, Pierre Laffitte est polytechnicien et ingénieur des Mines.
D’abord géologue, il fut directeur de l’école des mines de Paris jusqu’en 1984. Il a écrit plusieurs ouvrages, dont un sur « Les technopôles en France » pour l’Encyclopédia Universalis. En tant que parlementaire, il participa longtemps à l’évaluation « des choix scientifiques et technologiques ». Il a reçu de nombreux titres honorifiques comme Officier de la Légion d’Honneur et de l’Ordre National du Mérite en France mais aussi en Allemagne et Commandeur de l’Etoile Polaire (Suède). Aujourd’hui sénateur honoraire, le père fondateur de Sophia-Antipolis a bien voulu répondre à nos questions.

Vous avez fait une partie de votre scolarité à l’école Freinet : qu’en est-il resté ?

 Oui, en, effet, à l’école publique de Célestin Freinet, qu’il a fondée à Vence en 1935 et ensuite au Lycée Masséna de Nice. Freinet permet de développer curiosité et esprit d’entreprise. C’est très moderne !
Quelle était votre ambition en créant Sophia Antipolis ?
 En faire un quartier latin aux champs, une Florence du XXIe siècle, symbole de la Renaissance !

Pourquoi « aux champs » ?

 Parce que les mégapoles encombrées consomment l’essentiel du temps libre dans les transports, provoquent du stress, de la fatigue. Tout ceci handicape la capacité d’innovation.
C’est également vous qui êtes à l’origine de la création de la Fondation Sophia Antipolis : à quoi sert-elle, précisément ?
 La mission de la Fondation Sophia Antipolis est l’animation scientifique, entrepreneuriale et culturelle de la technopole. Et désormais le rapprochement des peuples par les réseaux de parcs, clusters, pôles de compétitivité notamment en Méditerranée, lieu d’origine de la culture occidentale.

De quoi êtes vous le plus fier dans votre vie ? En général, et/ou dans votre vie privée ?

 Dernièrement, en juin 2008, le diplôme des Justes remis à titre posthume à ma mère Lucie Laffitte-Fink et Emile Hugues qu’elle a épousé en deuxième noce. Auparavant, une autre fierté, le prix De Gaulle-Adenauer, en vue d’un rapprochement durable franco-allemand. Et puis Sophia Antipolis …

www.sophia-antipolis.org

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