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PARIS : Dans l’intimité des frères Caillebotte

En pleine explosion du courant impressionniste et de la photographie, cette exposition évoque l’univers artistique et intime des frères Caillebotte. Grâce à des prêts exceptionnels de collections privés, les tableaux de Gustave sont confrontés pour la première fois aux photographies de Martial. Photographies et peintures témoignent ainsi du lien qui unissait les deux frères à travers des vues du Paris haussmannien, des jardins et des paysages des bords de Seine ou encore des portraits de la famille Caillebotte. Cette exposition événement permet de rentrer dans l’intimité d’une grande famille de mécènes et d’artistes de la fin du XIXe siècle. La mise en regard des toiles de Gustave et des photographies de Martial offre une lecture inédite des relations entre les deux frères.

La renommée de Gustave Caillebotte, connu pour son talent de peintre et son rôle de mécène auprès de ses amis impressionnistes, est établie. On sait également qu’une grande affection le liait à son frère Martial. Mais la personnalité de ce dernier, compositeur, pianiste et photographe, restait encore à découvrir.

Récemment étudié, le fonds photographique de Martial témoigne d’une grande sensibilité pour des thèmes représentés dans les toiles de Gustave : les vues de Paris, les voiliers, les jardins ou les bords de l’eau. Cette découverte offre au Musée Jacquemart-André l’opportunité de faire ce qu’aucun musée n’avait encore proposé : confronter directement les photographies de Martial aux œuvres de Gustave.

Grâce à des prêts exceptionnels de collections privées et publiques, l’exposition dévoile les affinités profondes qui unissaient les frères Caillebotte, en faisant dialoguer pour la première fois plus de 35 toiles et près de 150 tirages modernes. Ces tirages ont été réalisés à partir des originaux de Martial détenus par les descendants de la famille Caillebotte. Certains des tableaux, conservés dans des collections privées, n’ont jamais été présentés au public.

Gustave (1848-1894) et Martial (1853-1910) sont, avec leur frère René (1851-1876), les enfants de Martial Caillebotte et Céleste Daufresne. Né d’un précédent mariage, leur demi-frère Alfred Caillebotte (1834-1896) est ordonné prêtre en 1858. Entrepreneur du service des lits militaires, Martial Caillebotte père laisse à sa mort, en 1874, une importante fortune à ses fils. Gustave s’adonne dès lors à la peinture, tandis que Martial se consacre à la musique. Il compose ainsi de nombreuses pièces pour piano (Airs de ballets, 1887) et de la musique religieuse, avant de découvrir la photographie.

Gustave Caillebotte, "Un Balcon", 1880, huile sur toile, 69 x 62 cm, collection particulière - Courtesy Comité Caillebotte, Paris

Marqués par le décès de leur frère René en 1876 et celui de leur mère en 1878, Gustave et Martial resteront toujours très proches. Les deux frères habitent ensemble et fréquentent le même cercle d’artistes jusqu’au mariage de Martial en 1887. De ce mariage vont naître deux enfants, Jean en 1888 et Geneviève en 1889. Gustave, quant à lui, reste célibataire. Lorsque ce dernier meurt en 1894, c’est Martial qui, avec Renoir, prend les dispositions nécessaires pour que l’État accepte le legs des tableaux impressionnistes que possédait son frère.

Gustave et Martial Caillebotte partagent de nombreuses passions. Avec leur collection de timbres, ils deviennent des philatélistes de premier plan. Quand Gustave s’intéresse à l’horticulture, Martial le photographie à l’œuvre dans le jardin ou dans la serre. C’est ensemble qu’ils s’initient au yachting. Ils se distinguent dans chacun de ces domaines, remportant, par exemple, de très nombreuses régates sur les voiliers conçus par Gustave.

En peinture ou en photographie, ce sont ces centres d’intérêt communs que les frères Caillebotte représentent, restituant ainsi les multiples facettes de leur environnement. Par petites touches, ils évoquent la douceur de vivre qui caractérise leur quotidien foisonnant, entre le nouveau Paris haussmannien et les loisirs en famille.

Résidant dans les nouveaux quartiers conçus par le baron Haussmann, Gustave et Martial sont les témoins privilégiés des transformations urbaines que connaît Paris à cette époque. Ils sont fascinés par les symboles de la modernité que sont les ponts ou les chemins de fer et l’animation des rues parisiennes est un de leurs sujets de prédilection. Ils éprouvent également un vif intérêt pour les activités de plein air. Si l’art des jardins retient leur attention, ces passionnés de navigation se plaisent tout particulièrement à représenter voiliers, canotiers et baigneurs.

Mais ils portent aussi un regard tendre et parfois amusé sur leurs proches, dont ils représentent les tranquilles occupations familiales dans un cadre de vie intime. Déjeuners et parties de cartes, promenades et lectures rythment les journées et sont autant de thèmes que les deux frères affectionnent.

Le commissariat de l’exposition est assuré par Nicolas Sainte Fare Garnot et Serge Lemoine. La scénographie de l’exposition est réalisée par Hubert Le Gall.

Nicolas Sainte Fare Garnot, historien de l’art spécialiste de la peinture française, est le conservateur du Musée Jacquemart-André depuis 1993. Depuis sa nomination au Musée Jacquemart-André, il a réorganisé la distribution des collections selon le programme d’origine et a lancé des campagnes de restaurations et d’inventaires. Avec Culturespaces, il contribue à créer une nouvelle dynamique au sein du Musée en apportant son concours scientifique aux expositions temporaires organisées deux fois par an.

Serge Lemoine a enseigné successivement à la faculté des sciences humaines de Dijon, à l’Université Paris IV-Sorbonne et à l’École du Louvre, où il crée la chaire d’Art du XXe siècle. Nommé directeur du Musée de Grenoble en 1986, il est, de 2001 à 2008, président du Musée d’Orsay. Il a été commissaire d’expositions aussi prestigieuses que Aux origines de l’abstraction (1800-1914) (Musée d’Orsay, 2003), Le Néo-impressionnisme, de Seurat à Paul Klee (Musée d’Orsay, 2005), Vienne 1900 (Galeries nationales du Grand Palais, 2005) ou Maurice Denis (Musée d’Orsay, 2006).

Pour faire dialoguer les tableaux de Gustave et les photographies de Martial Caillebotte, Hubert Le Gall a conçu une scénographie originale et moderne. Hubert Le Gall est un designer français, créateur et sculpteur d’art contemporain, né en 1961. Son œuvre fait l’objet de nombreuses expositions à travers l’Europe. Depuis 2000, il réalise des scénographies originales pour des expositions.

Le parcours de l’exposition

Pour mieux s’imprégner de l’atmosphère dans laquelle évolue la famille Caillebotte à la fin du XIXe siècle, le visiteur est invité à découvrir, de salle en salle, le quotidien et les passions que partagent Gustave et Martial. L’exposition "Dans l’intimité des frères Caillebotte" permet également d’admirer pour la première fois les photographies de Martial. Il s’est initié à cette pratique en 1891, alors que son frère Gustave, mort en 1894, a déjà réalisé l’essentiel de sa carrière picturale.

Un regard sur le nouveau Paris

Gustave et Martial Caillebotte grandissent dans un Paris en pleine mutation, transformé par les interventions du baron Haussmann. Alors que les deux frères sont encore adolescents, leur père, riche entrepreneur, achète à la Ville de Paris un terrain à l’angle de la rue de Miromesnil et de la rue de Lisbonne. Il y fait construire un hôtel particulier avec tout le confort moderne dans lequel Gustave et Martial résident jusqu’à la mort de leur mère, en 1878. Ils déménagent alors au 31 boulevard Haussmann, toujours au coeur de ce nouveau quartier, dans un appartement situé à l’avant-dernier étage.

Depuis leur balcon qui fait l’angle du boulevard Haussmann et de la rue Gluck, Gustave Caillebotte observe la ville et croque les rues et les passants. Plus tard, Martial fera de même depuis le balcon de la rue Scribe où il habitera après son mariage en 1887. En peinture ou en photographie, les frères Caillebotte se plaisent à développer cette représentation de leur environnement urbain. Ils évoquent d’abord la posture de l’observateur dont le regard s’attarde sur les rues en contrebas (Jeune Homme au balcon, Moi au balcon) avant de restituer, en vues plongeantes, le spectacle qui s’offre à lui (Le Boulevard vu d’en haut, Vue prise du balcon de l’Opéra). Ils concentrent ensuite leur attention sur les rues de Paris en représentant des promeneurs (esquisse de Rue de Paris, temps de pluie) mais aussi les petits métiers (Les Peintres en bâtiment, La descente d’un réverbère) qui donnent aux artères de la capitale une animation si caractéristique.

Ce regard s’accompagne, chez Martial Caillebotte, d’une attention particulière portée aux monuments emblématiques de Paris, qu’il s’agisse des grands symboles architecturaux (Notre-Dame de Paris, le Louvre…) ou des emblèmes du nouveau visage de la ville (le Sacré-Coeur, la Tour Eiffel, l’Opéra Garnier, la passerelle des Arts, le Moulin rouge…).

La poésie du quotidien

Gustave et Martial sont très unis et les décès successifs, en 1876 et 1878, de leur frère René et de leur mère vont encore les rapprocher. Les deux artistes entretiennent également des liens très forts avec leur demi-frère Alfred, curé de la nouvelle église Saint-Georges-de-La-Villette, puis de Notre- Dame de Lorette. Les portraits réalisés successivement par Gustave (Portrait de Madame Martial Caillebotte) et Martial (Alfred et Geneviève sur la plage) témoignent de cette intimité familiale.

Après le mariage de Martial avec Marie Minoret le 7 juin 1887, les deux frères prennent des chemins différents : alors que Gustave poursuit sa création picturale d’avant-garde, Martial intègre une autre famille de la grande bourgeoisie et devient père de famille. Mais il restera toujours très proche de son aîné avec qui il continue à partager de nombreuses passions et un même intérêt pour la représentation du quotidien. Les deux frères aiment en effet reconstituer l’univers familier qui gravite autour d’eux. De la toilette au coucher des enfants, de la cuisine au salon, du déjeuner aux soirées en famille autour du piano, les activités quotidiennes de leurs proches sont fidèlement retranscrites dans les toiles de Gustave et les photographies de Martial.

Les frères Caillebotte se représentent eux-mêmes dans cet environnement familier parfois en tant que peintre (L’Autoportrait au chevalet) ou compositeur (Martial Caillebotte au piano chez lui). La pratique artistique tient, en effet, une place majeure dans la vie de Gustave et de Martial qui évoluent dans le cercle des impressionnistes. Gustave participe à plusieurs expositions impressionnistes et se fait le mécène de ses amis. Il est tout particulièrement lié à Auguste Renoir (1841-1919) (Portrait de Madame Renoir) qu’il désigne comme son exécuteur testamentaire. Quand Gustave meurt, en 1894, Renoir et Martial mènent bataille pour que l’État accepte son legs de tableaux impressionnistes. Trois ans après la mort de l’artiste, quarante oeuvres de Degas, Monet, Renoir ou Pissarro, encore peu appréciées du grand public et des administrations culturelles, seront finalement exposées au Musée du Luxembourg.

La vie au jardin ou le bonheur en famille

A Yerres, dans la propriété familiale que les frères Caillebotte revendent en 1879 puis au Petit Gennevilliers où ils achètent une autre propriété en 1881, ils goûtent aux joies de la vie en plein air. Sur la terrasse ou dans le parc, Gustave installe son chevalet pour jouer avec les ombres et les lumières (Le Jardin à Yerres) et rendre les contrastes entre les couleurs vives des fleurs et les teintes plus sourdes des robes des femmes (Portraits à la campagne).

Avec Claude Monet (1840-1926), dont le bureau était d’ailleurs orné d’une photographie de son ami en jardinier (Gustave Caillebotte dans sa serre), il se passionne également pour l’horticulture. En 1881, il s’abonne à la Revue horticole, journal d’horticulture pratique. Ce vif intérêt transparaît dans des toiles comme Le Jardin potager, Yerres ou Les Roses, jardin du Petit Gennevilliers ou encore dans la série de photographies représentant Gustave dans sa serre ou dans son jardin que réalise Martial en 1892.

Quant à Martial, après son mariage, il accompagne encore son frère au Petit Gennevilliers mais se rend aussi souvent à Montgeron où ses beaux-parents possèdent une grande propriété. Avec son beau-frère Maurice Minoret qui l’a initié à la photographie, il se fait le témoin de ces moments de loisirs passés en famille. Dans ses clichés, comme tout amateur éclairé, il porte une attention renouvelée à la sphère intime et familiale, en photographiant par exemple les jeux de ses deux enfants, Jean, né en 1888 et Geneviève en 1890 (Geneviève, Jean et Marie Caillebotte jouant à la corde à sauter dans le jardin de Montgeron).

Les nouveaux transports, symboles de la modernité

La révolution industrielle engagée depuis le début du XIXe siècle s’accompagne, à partir des années 1875, d’une importante modernisation des transports. Gustave et Martial Caillebotte, en accord avec leur époque, sont fascinés par les symboles de cette modernité : l’automobile, le chemin de fer, le pont...

Les deux frères observent ces avancées techniques au coeur et à proximité de Paris (esquisse et étude pour Le Pont de l’Europe, Vue prise du pont d’Argenteuil) mais aussi au cours de leurs voyages (Paysage à la voie de chemin de fer). Martial profite tout particulièrement de ses excursions en famille pour photographier ponts, locomotives et voies ferrées (Le pont de Chalandray).

Gagner la course !

À la fin des années 1870, les frères Caillebotte se lancent dans le yachting, passion qu’ils partageront jusqu’à la mort de Gustave en 1894. Vice-président du Cercle de la voile de Paris dès 1880, Gustave participe avec Martial aux régates d’Argenteuil. Sur des voiliers comme Inès ou Condor, ils s’illustrent en obtenant souvent les premiers prix (Régates à Argenteuil, Bateaux à Argenteuil). Leur propriété du Petit Gennevilliers, située en bord de Seine, devient par ailleurs le siège des activités du Cercle de la voile de Paris (La Berge du Petit Gennevilliers et la Seine).

Qualifié par le journal Le Yacht d’ « amateur d’Argenteuil de grande compétence » en 1881, Gustave Caillebotte commence à concevoir lui-même les plans de ses bateaux (Gustave Caillebotte travaillant à un plan de bateau). Le plus célèbre d’entre eux est le Roastbeef que Martial photographie en chantier (Le Roastbeef à sa sortie du chantier) avant ses brillants débuts sur le bassin d’Argenteuil en 1892. De la conception à la navigation, les frères Caillebotte suivent attentivement le parcours technique de leurs voiliers.

Au fil de l’eau Les canotiers (Canotier au chapeau haut de forme) et les périssoires, les baigneurs (Baigneurs, bords de l’Yerres) et les pêcheurs (Pêche à la ligne) que Gustave peint sur les bords de l’Yerres puis sur les bords de Seine sont autant de sujets que Martial se plait, lui aussi, à photographier (Maurice Minoret ramant). En développant cette thématique, les deux frères évoquent les loisirs nautiques qui sont alors ceux de la grande bourgeoisie parisienne.
Reflets de cette époque où voisinent douceur de vivre et progrès technique, les tableaux (Le Petit Bras de la Seine à Argenteuil. Effet de soleil) et les photographies des berges de la Seine qu’ils réalisent semblent inviter le spectateur à une agréable promenade. Avec les photographies de Martial, le voyage au fil de l’eau se poursuit jusqu’en bord de mer…

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