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TOULON : Giorgio Morandi, L’abstraction du réel

L’Hôtel des Arts de Toulon expose une quarantaine d’oeuvres de Giorgio Morandi.

Le peintre italien, qui a peint à l’infini et de façon si personnelle des multitudes de natures mortes magiques n’a pas peint que des bouteilles, boîtes et pots.

Il a aussi peint des paysages et des bouquets de fleurs. L’exposition pose un regard particulier sur ce dernier thème, un aspect de son oeuvre qui a été moins souvent étudié.

L’exposition

Né en 1890 à Bologne, où il a vécu toute sa vie, Giorgio Morandi est resté à l’écart de tous les grands mouvements artistiques du XXe siècle. Il n’est pourtant pas l’ermite qu’on imagine et a suivi de près les débats du monde artistique, flirtant même un temps avec le futurisme, sans jamais y adhérer.

Giorgio Morandi, Nature morte, 1941, collection privée (c) ADAGP, Paris 2010

S’il semble imperméable aux influences de son temps, on sait qu’il admirait Giotto, Piero della Francesca, Paolo Ucello, Masaccio. Il a aussi été profondément marqué par Cézanne.

S’il semble avoir mené une vie rangée, il n’a pas vécu à l’écart du monde. Après avoir étudié à l’Académie des Beaux-Arts, il y a enseigné la gravure jusqu’à sa retraite. Et il occupe une part importante dans la vie artistique, participant plusieurs fois à la Biennale de Venise, où il obtient le premier prix en 1948.

Il va aussi à la Biennale de Saõ Paulo, dès sa première édition en 1951 et s’y voit décerner le Premier prix en 1957. La première Documenta de Kassel, en 1955, lui réserve une salle où sont exposées onze natures mortes. La peinture de Giorgio Morandi apparaît même au cinéma, dans La Dolce Vita de Fellini et La Notte d’Antonioni.

Toute sa vie, Morandi a traité trois sujets seulement : les bouquets de fleurs, les paysages et les natures mortes composées de quelques objets récurrents, à l’aide d’une palette souvent limitée à des couleurs naturelles.

A partir des années 1950, ses natures mortes sont de plus en plus abstraites. Morandi aimait citer la phrase de Pascal selon laquelle "la géométrie explique presque tout".

Il déréalise les objets en supprimant les étiquettes, en les enduisant de peinture et en laissant la poussière s’y déposer. Ils sont agrégés en des blocs rectangulaires verticaux ou horizontaux, souvent posés presque au bord de la toile, eux-mêmes divisés en pavés de couleur aux tons assourdis dans les gammes des beiges et des ocres, avec un ou deux pans plus lumineux. Le tout sur un fond opaque.

Giorgio Morandi, Nature morte avec noix, 1963, Collection privée, Milan (c) ADAGP 2010

L’historien d’art Itzhak Goldberg parle de "mystère" quand il évoque l’oeuvre de Morandi. "Rarement une oeuvre n’a suscité un tel mutisme admiratif, une telle perplexité", écrit-il. Pour lui, dans cette oeuvre, le réel est "réduit à l’essentiel", et les scénographies du peintre "ne laissent échapper aucun bruit". "Ici, malgré l’importance ces ombres portées (qui disparaissent progressivement), les volumes paraissent sans poids", dit-il encore.

L’Hôtel des Arts de Toulon expose essentiellement des huiles, mais aussi quelques oeuvres graphiques, dessins et gravures occupant une place importante dans l’oeuvre de Giorgio Morandi. Une bonne moitié des oeuvres présentées sont des natures mortes, les fleurs y sont largement représentées et on peut voir aussi à Toulon quelques paysages de l’artiste italien.

Extraits des textes de Gilles ALTIERI et Itzhak GOLDBERG

On connaît le cri du cœur de Diderot face à l’énigme de la peinture de Chardin : « On n’entend rien à cette magie. Ce sont des couches épaisses de couleur appliquées les unes sur les autres et dont l’effet transpire de dessous en dessus ». Inimaginable, le critique le plus habile de son temps s’avoue vaincu et impuissant face à une production picturale qui ne manifeste aucune iconographie hardie. Rarement, en effet, une œuvre n’a suscité un tel mutisme admiratif, une telle perplexité.
Deux siècles plus tard, le mystère reste intact face à l’œuvre de Morandi. La « défaite » de Diderot perdure. […]
[…] L’œuvre du maître de Bologne est largement ouverte, offrant de multiples accès, soit par les thématiques qu’il a explorées - natures mortes et paysages - mais aussi par la forte charge émotionnelle et spirituelle que dégagent ses œuvres à l’instar de Rembrandt, Vermeer, Alberto Giacometti, Mondrian et Rothko. […]
[…] Le caractère monumental des natures mortes de Morandi - en dépit de la petite taille des tableaux - et la déréalisation qu’il obtient par la suppression de toute référence à l’identité initiale des objets qui les composent (Morandi supprimait les étiquettes et les noms de marques sur les objets composant son petit univers, avant de les enduire de peinture et laisser la poussière les recouvrir) rapprochent fortement celles-ci de ses paysages presque monochromes réduits à quelques éléments structurants.
La lumière mystérieuse et magique qui baigne les peintures de Morandi produit chez l’observateur un effet bienfaisant renforcé par la sensualité de sa pâte, car chez Morandi la simplicité des compositions et l’économie chromatique de sa palette ne se traduisent pas par une austérité sévère, mais par une spiritualité sensible. La chair chez lui se fait esprit. […]
[…] L’exposition de l’Hôtel des Arts s’attache à montrer l’unité profonde de son œuvre et le processus d’abstraction qu’il opère dans son appropriation du réel, à travers plus de quarante œuvres composées d’huiles, d’aquarelles, de gravures et de dessins. L’exposition pose un regard particulier sur le thème du bouquet de fleurs qui jusqu’à présent a été moins étudié que celui de la nature morte et du paysage. Il s’agit pourtant d’une partie considérable de l’œuvre de Morandi qu’il a travaillée à toutes les périodes de sa vie de peintre. Un thème, souvent mineur, même traité par les plus grands artistes, mais qui, sous la main de Morandi, acquiert la même dimension poétique et monumentale que le reste de l’œuvre.

Giorgio Morandi, L’abstraction du réel, Hôtel des Arts, 236 boulevard du Général Leclerc, Toulon, 04-94-91-69-18
Tous les jours sauf lundis et jours fériés, 10h-18h
Entrée libre
jusqu’au 26 septembre 2010

http://www.hdatoulon.fr

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