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La Villa Noailles : Entre les murs !

A travers l’histoire de la Villa Noailles c’est tout un pan de l’art, du cubisme au surréalisme qui se lit en trame sépia sur ses murs aux lignes claires. Car Marie-Laure et Charles de Noailles, furent les derniers mohicans à pratiquer le mécénat particulier à grande échelle. Flash back…

C’est à Hyères, en 1887 que Stephen Liégeard inventa le terme « Côte d’Azur » louant le rivage pour « ses dons bénis au service de la maladie et de l’espérance. » Une telle aura hygiéniste eut tôt fait d’y attirer le gotha aristocratique en quête de remède aux maladies pulmonaires. Ainsi après leur mariage en 1923 à Grasse, Charles Vicomte de Noailles et Marie-Laure Bischoffsheim issue de l’aristocratie financière et descendante du Marquis de Sade, reçurent en cadeau un terrain sur la colline hyéroise afin d’y construire leur maison de vacances.

Un paquebot cubiste signé Mallet-Stevens

Commandité pour en faire une résidence d’hiver l’architecte Robert Mallet-Stevens, Le Corbusier livrera l’ouvrage 5 ans plus tard en 1928 au moment où la villégiatura en Riviera passera en mode estival. « Sur ce plan la Villa Noailles fut un bâtiment obsolète à sa naissance » ironise Stéphane Boudin-Lestienne, historien des lieux, avant de poursuivre : « C’est pourquoi toutes les pièces, même les salles de bain ouvrent plein sud comme des tiroirs pour aller chercher la lumière au lieu de s’en protéger » Qu’importe nos deux tourtereaux mécènes disposent désormais pour recevoir leurs amis artistes de 1800 m2 de bâti dont quinze chambres et quinze salles de bains « Des maison satellites se sont rajoutées, le parc floral et son parcours d’art s’est agrandi au rythme des artistes invités comme les frères Giacometti. La ferme avoisinante a été intégrée en 1933 pour faire des communs. « Conçu d’abord comme une maison familiale on s’est rapproché progressivement de l’idée d’un grand hôtel puis en rajoutant une piscine couverte, un squash et un gymnase privé on a fini par avoir une sorte de paquebot de croisière avec ses ponts de promenade » explique Stéphane.
Si la consigne originelle de Charles Noailles était l’économie et l’épure la construction du site comme sa décoration convoquèrent les artistes les plus en vue du moment : Mondrian, Eileen Gray, Francis Jourdain, ou encore Djo-Bourgeois, qui composa le mobilier avec les lignes minimalistes. Des horloges intégrées dans les murs sont toutes commandées par une centrale électrique, des baies vitrées s’escamotent dans le sol. La Villa Noailles marque le début de l’architecture moderne en France mais elle est également l’œuvre d’un artiste « C’est un parcours pensé de haut en bas. De tous les endroits, on a des points de vues différents sur l’ensemble. C’est comme un jeu cubiste. Le jardin triangulaire de Gabriel Guevrekian qui se terminait en figure de proue sur un bronze de Jacques Lipchitz renforce cette volonté. Tout y a été composé selon des rythmes rigoureux, c’est en cela que ce bâtiment reste fascinant 70 ans plus tard » La Villa Noailles serait-elle vivante ? En tous cas des années folles aux années Jazz elle bruissera de vie au fil de tous ses hôtes qui marquèrent l’histoire de l’art moderne.

©J-CH Dusanter

Le film d’une vie

Les Noailles cultivaient un appétit féroce pour tous les arts, leur collection personnelle en témoigne, mais il en est un qui leur sembla plus intéressant, parce qu’il était neuf et complet : le cinéma. Charles et Marie Laure qui disposent d’une salle de projection dans leur hôtel particulier parisien, pour se faire plaisir s’achètent un film. Pas un bouquet de fleurs ! Souhaitant faire partager à tous leurs amis ce qu’ils vivent à Hyères il commande en 1927 un court métrage à l’assistant de Marcel l’Herbier, Jacques Manuel « Monté comme un film de famille et de fiction, Biceps et bijoux alterne des séances de jeu à la piscine ou dans la salle de gymnastique et quelques courses poursuites à la Chaplin où les époux jouent le rôle de cambrioleurs » explique Stéphane. L’année suivante ils demandent à Man Ray qui a fait des portraits de Marie-Laure d’y réaliser cette fois un film d’art. Le Mystère du château de dé préfacera ainsi l’arrivée du surréaliste dans le monde rationnel cubiste. Quand les Noailles visionnent le film en public Man Ray a pris soin de programmer en 1ere partie « le chien andalou » l’œuvre d’un jeune réalisateur espagnol, Luis Buñuel et d’un peintre peu connu Salvador Dali. Un choc pour nos mécènes qui décident de soutenir Dali en lui versant une rente annuelle et de financer le deuxième métrage sulfureux de Buñuel. Avec L’âge d’or, ils font vraiment œuvre de producteurs, ils continueront avec le sang d’un poète de Cocteau. Lors les surréalistes jouent à domicile à Hyères. Une amitié forte se noue avec René Crevel et sur le parvis de la Villa défile Breton, Max Ernst, Gide, Aldous Huxley (qui habitait à tamaris) Francis Poulenc venu à l’occasion du festival de musique que les époux organisent « Les Noailles ont aidé les artistes émergeants. Ils furent les premiers à leur acheter des pièces, de Giacometti en 1928 à César dans les années 60 à qui Marie-Laure confia sa voiture pour en faire une compression »

Des œuvres d’art qui furent récupérées en 1970 par la famille après la mort de Marie-Laure. Une disparition qui signe un autre âge pour la Villa. Cédé par Charles, botaniste distingué, en 1973 à la municipalité sous la condition que le parc Saint Bernard soit ouvert au public, elle sera inscrite en 1975 et 1987 aux monuments historiques. Après une longue période d’abandon la Villa Noailles est restaurée pour devenir un centre d’art et d’architecture en 1996 sous l’impulsion de son actuel directeur Jean-Pierre Blanc soutenu par de grands noms de la mode comme Karl Lagerfeld. Depuis 2003, époque où la communauté d’agglomération de Toulon décide d’intégrer ce patrimoine aux grands lieux culturels qu’elle gère, l’association a pris un nouvel essor. Aujourd’hui, la Villa Noailles abrite chaque année le Festival international de la mode et de la photographie, Design Parade fédérant ainsi la nouvelle génération des créateurs autour de ses murs de légendes.

Informations pratiques :

http://www.villanoailles-hyeres.com

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