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Keisuke Matsushima, l’enfance de l’art

A 30 ans, Keisuke Matsushima a déjà laissé sa trace en Méditerranée à la manière de Christophe Colomb découvrant le Nouveau Monde. Mais, entre Tokyo et Nice, la nouvelle « étoile montante de la gastronomie française » a encore des rêves plein la tête…

« Dans ce pays, tout le monde part pour l’étranger ! » : le pays dont parle Keisuke Matsushima avec une sorte de candeur mêlée de maturité, c’est celui de son enfance. Une petite île au sud de l’archipel nippon où il fut élevé dans une famille de paysans. La cuisine ? Il avoue l’avoir appris aux cotés de sa mère pour pouvoir faire un jour le grand écart sur le Pacifique. C’est avec ce passeport qu’il prendra d’abord le bateau pour Tokyo où, après un apprentissage à l’école culinaire Tsuji spécialisée dans la cuisine française, il fera ses débuts au restaurant « Vincennes ».
Chronique d’un départ annoncé ? En effet, le petit Keisuke était déjà loin de son île, lorsque gamin il se plongeait dans la lecture de mangas relatant les aventures de Christophe Colomb….

Keisuke Matsushima dans son restaurant niçois de la Rue de France
©JChDusanter

Sur les traces de Colombus

A l’époque Robuchon part lui dans l’autre sens à la conquête du pays du Soleil Levant en ouvrant sa table à Tokyo puis en devenant une star de la TV nippone, que Keisuke admire en secret. C’est après sa rencontre avec Alain Passard, alors en représentation au Japon, qu’il se décide à s’offrir un billet pour l’hexagone. A vingt ans il entame son parcours initiatique. Un tour de France des grandes tables et des vignobles, de Vienne à Toulouse durant lequel l’apprenti s’imprègnera des terroirs, des cultures, des saveurs, et assimilera les techniques les plus novatrices auprès des chefs en devenir comme Régis Marcon, Michel Sarran ou les frères Pourcel à Montpellier. Alors qu’il effectue une séjour chez Jean-Marc Banzo au « Clos de la Violette » à Aix en Provence, il prend une autre décision importante : s’installer définitivement dans le Sud. « Dès mon arrivée en France, j’avais pris l’habitude d’effectuer, chaque année, un séjour dans la capitale azuréenne. J’y retrouvais un peu ma région d’origine avec la mer, la montagne et un climat agréable ». Ce petit coin de paradis, c’est aussi le début d’une histoire d’amour avec les produits méditerranéens…
Le 22 décembre 2002, le jour de son 25ème anniversaire, il accomplit enfin son rêve et ouvre son propre restaurant : « Kei’s Passion », pour 22 convives. Quatre ans plus tard il décroche sa première étoile au Michelin, dans le plus petit établissement de France : « Il vaut mieux être concentré pour créer que grand et dilué » commente-t-il avec un sourire qui en dit long sur sa détermination.

Des mangas gastronomiques, sinon rien !

Désormais c’est entre Nice et Tokyo, où il se rend tous les mois, que Keisuke Matsushima affine son talent : « Cela m’aide à prendre du recul sur tout ce que j’apprends ici. Vous connaissez l’anecdote de Colombus, qui après avoir demandé à ses convives comment faire tenir un œuf tout droit, le saisit et le tapant sur son extrémité le figea sur la table ? C’est ce que j’essaye de faire en cuisine. A un moment, il faut savoir se recentrer sur ses acquis, revenir à sa propre histoire ». Mais Keisuke ne se contente pas de belles paraboles, il donne régulièrement des cours de cuisine aux enfants de son pays où il est devenu une star, à Nice aussi, où une fois par mois, il reçoit les amateurs dans sa cuisine/atelier pour transmettre sa passion.

A un moment, il faut savoir se recentrer sur ses acquis, revenir ? sa propre histoire
©JChDusanter
Keisuke Matsushima jeune chef étoilé, étoile montante de la gastronomie !
©JChDusanter
« Dès mon arrivée en France, j’avais pris l’habitude d’effectuer, chaque année, un séjour dans la capitale azuréenne. J’y retrouvais un peu ma région d’origine avec la mer, la montagne et un climat agréable ».
©JChDusanter

Le plaisir de cuisiner, une mission pour laquelle il se sent investi : « je travaille sur le projet d’une école de sensibilité où j’enseignerai le goût, il y aura aussi de la musique et du dessin ». De là est née une autre idée qui a fait son chemin depuis que le chef a rencontré, au Hi Hôtel, Frédérique Frédérick Grasser Hermé. Une « écrivaine-cuisinière » iconoclaste qui compose, avec des produits simples, des recettes rapides et sophistiquées pour la collection « Serial colors ». L’ex-femme du pâtissier Pierre Hermé le convint de faire des livres. Oui mais pas n’importe lesquels ! Et Keisuke a déjà trouvé sa niche…
Il fera des mangas gastronomiques. Une bien étrange idée pour nous européens : « au Japon il y a beaucoup de mangas dont certains sont dédiés à la cuisine. C’est ainsi que j’ai moi-même pris mes premiers cours ! » avoue le jeune étoilé. Et puis cela ne fait aucun doute pour lui, le manga est l’outil le plus efficace pour réapprendre le goût à ces enfants « qui lorsqu’on leur parle de thon voient juste une boite en fer blanc ».

C’est aussi le moyen de séduire une génération qui ne lit plus et pour qui, les salons gastronomiques ou les éditions de luxe signées par les grands chefs appartiennent à un autre âge. Pour relever ce nouveau défi dont l’ambition n’est autre que d’introduire chez nous une nouvelle forme d’éducation des sens, Keisuke s’est accoquiné avec une spécialiste : « j’ai rencontré Mimei Sakamoto via un club d’artistes que je fréquente à Tokyo, c’est une vedette là-bas qui a commencé par dessiner des mangas érotiques …dans un journal sportif » ! Mais le projet n’en est qu’à ses prémices, et le chef, dont l’agenda est aussi noirci que celui d’un businessman, aimerait réussir à convaincre la dessinatrice de le rejoindre sur la Côte d’Azur.

©JChDusanter

Une carotte met plusieurs mois à pousser, c’est un travail de patience, le véritable artiste c’est le paysan !
« Moi, mon métier c’est traducteur, faire passer l’émotion à travers le produit ». Keisuke a dix ans lorsqu’il passe de longues heures à ramasser les légumes de son grand- père paysan sur l’île de Kyushu. Avec lui, il ne l’a jamais oublié, il a découvert les produits de la terre, leurs vrais goûts, est devenu gourmand puis gourmet. Aujourd’hui il semble que l’heure soit venue pour ce chef dans le feu des médias, de récolter les fruits de la passion et de pousser à son tour, pourquoi pas d’autres enfants à quitter leur île !

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