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Dossier Métier : Commissaire-Priseur

Jean-Pierre Besch : « Je suis un arbitre entre le vendeur et l’acheteur »

Installé à Cannes depuis 1989, Jean-Pierre Besch a fait de son cabinet de commissaire-priseur la deuxième société de ventes aux enchères de vins en France. Persuadé que la Côte d’Azur est un atout formidable dans l’exercice de son métier, il a choisi un mode de fonctionnement « à la parisienne ».

« C’est en fonction de ses goûts personnels, de la région et des circonstances que l’on se spécialise dans ce que l’on aime », pose Jean-Pierre Besch. Quand il était à Lyon, et au démarrage de son activité à Cannes, le commissaire-priseur fils d’antiquaires se définissait comme un « généraliste du mobilier du 18è siècle ». L’évolution de son activité l’a amené aujourd’hui à se consacrer presque exclusivement à la peinture et sculpture du 20è siècle, aux vins (avec une forte prédilection pour les Bourgogne), aux bijoux et montres. Si, quand il s’est lancé dans la vente aux enchères de vins, seulement une poignée de cabinets officiaient sur ce créneau, sa société y occupe aujourd’hui la deuxième place. « J’ai eu la chance de pouvoir me démarquer des autres en faisant ce qui me plaît le plus, se félicite Maître Besch. Les caves privées nous arrivent de partout en France pour être évaluées par notre expert Pascal Kuzniewski, le critère le plus important étant les conditions de conservation. 70 % des ventes de vins sont réalisées auprès d’acheteurs internationaux. » Mais le cabinet s’est également démarqué par son mode de fonctionnement. « J’ai souhaité sortir d’un système avec une salle des ventes (98 % de nos ventes ont lieu dans les salons de l’Hôtel Martinez) pour me rapprocher d’un fonctionnement plus parisien que provincial, indique le commissaire-priseur. Cannes, ce n’est pas la province ! Nous avons en fait la chance d’être à la fois en province et d’être un peu comme le 21ème arrondissement de Paris ! Cette ville est aujourd’hui un marché qui compte dans le secteur des enchères. »

Paris, le camembert et… Cannes !

Jean-Pierre Besch à son étude

Jean-Pierre Besch l’affirme : être à Cannes est une carte de visite importante pour se « frotter » à d’autres maisons, souvent plus grandes. Et ses visées sont nationales, voire internationales. « Notre force vis-à-vis de structures plus importantes et plus impersonnelles est d’avoir su garder notre identité et notre responsabilité locale. » Car le cabinet Besch conserve sa fonction de commissaire-priseur « de tous les jours » : le matin est réservé aux inventaires de successions, l’après-midi aux rendez-vous pour les ventes. « Notre vrai plaisir est de sortir des collections privées des objets qui ont une âme et auxquels se raccrochent de jolies anecdotes. » Et Maître Besch de citer ces 150 pièces de l’Ecole d’Amérique du Sud de 1950 à 1970, issues d’une collection privée, dont il avoue aisément ne pas du tout être spécialiste… « Nous avons dû trouver un expert, faire des recherches sur Internet, car ces pièces sont vendues essentiellement à l’étranger, explique-t-il. Nous avons mis deux ans avant d’être prêts à vendre cette collection, mais nous sommes les premiers à avoir affiché des résultats pour cette Ecole en France. Et cela, c’est la Côte d’Azur qui l’a permis : nos interlocuteurs, principalement américains, ont comme image de la France Paris, le camembert et… Cannes ! »
Si être présent sur la Côte d’Azur peut être un atout indéniable, c’est à condition d’avoir su faire ses preuves. « Beaucoup de collectionneurs privés installés récemment dans la région avaient gardé leurs références parisiennes. Il a donc fallu gagner leur confiance en leur démontrant notre professionnalisme. On ne peut pas se contenter d’être une étoile filante ! »

Un médecin généraliste entouré de spécialistes

Et pour ce faire, il a fallu s’ouvrir à d’autres domaines d’expertise, en faisant appel à des experts sur chacun des domaines. « Je suis comme un médecin généraliste qui s’adosse à des spécialistes pour affiner son diagnostic. » Car ce qui compte, pour le vendeur, est d’avoir la certitude de ne pas être passé à côte de quelque chose. « 

Couverture du catalogue de la vente anniversaire du cabinet Besch : 20 ans de ventes de prestige sur la Croisette

Et, pour l’acheteur, d’être assuré qu’on ne lui a pas menti sur la valeur annoncée. » Un point d’ailleurs couvert par une garantie décennale obligatoire. « Tout le monde sait vendre une fois que la vente est préparée, poursuit Maître Besch. Je suis donc un arbitre entre vendeurs et acheteurs, afin que les deux parties soient gagnantes. » S’il y a quinze ans, les commissaires-priseurs attendaient le produit pour faire la vente, aujourd’hui, le produit vient à eux. « A condition d’avoir une spécialisation et une certaine reconnaissance. » C’est une autre caractéristique de Maître Besch. Il a été l’un des premiers à établir un calendrier avec trois rendez-vous dans l’année qui, s’ils étaient plutôt inattendus au début, sont aujourd’hui attendus par tous : le 15 août, le 30 décembre et le dimanche de Pâques ! Les ventes respectent toujours le même ordre : d’abord les tableaux, puis les bijoux, et enfin les vins. « La préparation de la vente est le moment le plus décisif et le plus excitant, relate-t-il. On y rencontre des gens aussi divers que passionnants, et c’est là le vrai piment de ce métier : l’humain. »

Patrick Rannou-Cassegrain : « Au moment d’entrer en scène, je deviens quelqu’un d’autre »

Le 31 octobre dernier avait lieu la vente aux enchères de 230 œuvres de l’Ecole de Nice, orchestrée par Patrick Rannou-Cassegrain. En véritable amateur d’art contemporain et de design, ce commissaire-priseur officie à l’Hôtel des Ventes de Nice et vit son métier la passion chevillée au corps.

Il y en a un plexi, conçu spécialement pour sa première vente, un autre du 18è siècle avec le manche en bois et la tête en ivoire, un troisième sculpté dans une ombrelle du 19è siècle. « Selon mon humeur, je prends l’un ou l’autre. » Son outil de travail ? Le marteau. Sa manière de sceller une vente ? « Adjugé ! Dire « vendu », c’est pour le folklore ! » Avant d’entrer en scène, le trac l’envahit. Pourtant, le métier de commissaire-priseur est fait pour lui. « De nature timide, dès je monte sur l’estrade, je deviens quelqu’un d’autre et j’adjuge. » Et il le fait avec un sens certain de la cadence, un vrai talent pour garder le rythme.
Alors s’il considère que les ventes directes en ligne sont l’avenir du métier de commissaire-priseur, « nous en ferons bientôt », à 51 ans, Maître Rannou-Cassegrain regrette toutefois la perte inévitable de convivialité que cette évolution engendre. « C’est un peu triste de ne plus tout à fait pouvoir exercer mon métier d’acteur. » Avec six autres commissaires-priseurs, il est à l’origine de la création du site www.interencheres.com, qui annonce notamment toutes les ventes en France et présente les produits. Le succès de ce site est phénoménal, preuve que les ventes aux enchères sont mieux connues du grand public et moins craintes ! « La connotation négative datant du code civil napoléonien, « à vendre ! », a quelque peu disparu et les particuliers sont rassurés sur la qualité de nos prestations, notamment en raison de la garantie décennale. » Il y dix ans déjà, Maître Rannou-Cassegrin avait tenté l’aventure des ventes sur Internet. « Mais les moyens dont nous disposions n’étaient pas encore suffisants, se souvient-t-il. Les ventes étaient très longues et il y avait un décalage avec les personnes qui faisaient monter les enchères à partir de leur clavier d’ordinateur. » Une salle avec quinze lignes de téléphone et au moins autant d’ordinateurs connectés, on imagine assez bien le métier perdre un peu de son humanité. « Il faut donc trouver un équilibre avec un vrai public, car une vente doit vivre, il doit y avoir de l’émotion. »

Sa technique : accepter les petites montées

Patrick Rannou-Cassegrain officie à l’Hôtel des Ventes de Nice

Et niveau décharges d’adrénaline, Maître Rannou-Cassegrain en connaît un rayon ! « Dans mon métier, il faut savoir décrypter les signaux, souligne-t-il. Par exemple, une personne qui, durant toute la vente, aura son stylo appuyé sous le menton, puis le pose, veut me dire « j’arrête ». Parfois, un seul regard suffit. C’est une question d’habitude ! » C’est lui qui définit la fourchette de montée de enchères. Et sa technique : accepter les petites montées. « Sur un objet à 200 000 euros, on monte plus haut si c’est de 100 en 100 que de 1 000 en 1 000, car cela fait moins peur. La vente est plus longue, mais c’est le résultat qui compte ! » Avant la vente, les acheteurs ne se dévoilent jamais. « On se sait rien ! La seule chose que nous pouvons deviner, au vu du nombre de téléphones ou d’emails, c’est que ça va monter. Alors quand nous avons dix téléphones sur un même objet, c’est jouissif ! Et quand le marteau tombe sur un prix très haut, ça l’est encore davantage ! »
Et le 31 octobre dernier, Maître Rannou-Cassegrain s’est vraiment fait plaisir. Six mois de travail ont été nécessaires pour préparer la vente de 230 œuvres de l’Ecole de Nice (période 1960-1980). « Nous aurions pu l’organiser à Paris (ndlr : Hôtel des Ventes Nice Riviera y a un bureau et est la seule entité régionale à posséder des parts à Drouot), mais Arman et César, par exemple, n’y auraient pas atteint ces prix, indique-t-il. Les principaux acheteurs et souteneurs sont locaux. Nice est un marché formidable, avec une vraie clientèle et un potentiel énorme, même si les plus grosses pièces finissent par partir à l’étranger. » Pourtant, le commissaire-priseur reconnaît qu’être à Nice n’est pas toujours facile.

« On trouve des trésors, à Nice »

Il y est arrivé en 1984, en commençant sa carrière dans un cabinet d’expertise-comptable. « C’est un travail de longue haleine pour gagner la confiance des acteurs locaux. Les notaires font appel à nous pour les évaluations de patrimoines et, avec mon associé Yves Wetterwald, nous réalisons tous les jours 3 à 4 inventaires de succession ou de tutelle chacun, précise Maître Rannou-Cassegrain. Par ce biais, nous entrons dans les collections privées. » Et il y trouve des trésors, comme ce tableau du pré-Matisse ou ce cabinet florentin du 18è siècle, vendus fin novembre, l’un des deux grands rendez-vous du mois, réalisés en plus de la vente hebdomadaire. « Les périodes fastes sont les mois de mars, avril, mai et juin, puis octobre, novembre et décembre. » L’autre marotte du commissaire-priseur, c’est les bijoux. Et ses sélections personnelles sont très variées. « Je ne refuse presque rien, car c’est un domaine où la créativité se renouvelle sans cesse. »
Les ventes volontaires représentent 60 % de l’activité de l’Hôtel des ventes Nice Riviera. Le reste concerne le judiciaire. C’est aussi ça qui fait l’aspect humain du métier, quand il accompagne les familles dans des moments souvent douloureux. « Nous avons choisi de garder les deux casquettes du métier, mises en place par la réforme de 2002 : l’officier ministériel, nommé par le Garde des Sceaux, et la société de vente aux enchères volontaires, qui a donné un coup de pouce au marché. » Peu à peu, le système français tend vers le modèle anglo-saxon. « Je ne suis pas forcément pour de nouvelles réformes, qui autoriseraient notamment les ventes à l’amiable, indique Maître Rannou-Cassegrain. Or, ce n’est pas notre métier. » Un modèle dont les meilleurs exemples sont Sotheby’s et Christie’s, qui rachètent aujourd’hui des galeries. « Donner des cotes aux artistes, ce n’est pas non plus notre travail, estime le commissaire-priseur. C’est celui des galeristes. Pour que le système fonctionne, il faut pouvoir créer une alchimie entre l’ensemble des acteurs. »

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