Ce spectacle comporte des scènes à caractère sexuel susceptibles de heurter la sensibilité des plus jeunes.
”Deux histoires donc : un tueur dans une école supérieure de filles au Canada, et une femme qui a vu la vierge et passe le reste de sa vie à en témoigner.
D’une part, un homme qui refuse aux femmes la possibilité d’accéder aux savoirs et pour cela va en tuer plusieurs, dans une école d’ingénieurs, et d’autre part le récit obstiné et rigoureux d’une apparition. Nous nous servons de textes féministes, de témoignages à propos du fait divers, de comptes rendus.”
Robert Cantarella
”Écrivain, je ne peux oublier mon travail de cinéaste. Je ne peux oublier les efforts pour ne pas tant montrer des images qu’être capable pour les faire dialoguer entre elles. (...) Entretenir le dialogue entre les mots et les images, le texte et le plateau. Entre le groupe et l’intime. Le dialogue entre le ciel et la terre, les vivants et les morts. Le dialogue entre les femmes et les femmes... Vous l’aurez compris, avec Violentes femmes, je me fixe un objectif : être capable d’écrire une pièce du contrechamp.”
Christophe Honoré
NOTES D’INTENTION
- Violentes femmes 2 - © Amanda Sandlin - unsplashdotcom
”A propos de ma pièce…
Violentes femmes est un texte évoquant la tragédie de la tuerie de l’école Polytechnique de Montréal et le dernier récit d’une apparition de la Vierge en France dans les années d’après guerre. Un texte qui tente de contenir deux phrases insanes : « J’ai décidé d’envoyer Ad Patres les féministes qui m’ont toujours gâché la vie » et "Dites aux petits enfants de prier pour la France, car elle en a grand besoin »…
Malgré leur pouvoir saisissant, je ne me satisfais pas de ces deux phrases, et me suis lancé dans un travail de recherche autour de ces sujets. J’accorde un soin de
plus en plus têtu à la nature de mes textes, je m’efforce de leur conférer un statut de document. Je n’entends pas avec ce mot de « document » prétendre à une valeur
d’explication ou de preuve, mais disons, une valeur de description subjective. Violentes femmes, par exemple, vise à être un document organisant une représentation des idées qui persistent en moi face à l’événement Polytechnique et l’événement Apparition de la Vierge. J’ai besoin de temps pour cerner les idées persistantes. Pas tant dans une stratégie d’épuisement du sujet, que dans une volonté de disposer du plus d’éléments envisageables. Aujourd’hui, il m’est possible de partager avec vous qu’un choix restreint et allusif effectué dans ces éléments.
Ecrivain, je ne peux oublier mon travail de cinéaste. Je ne peux oublier les efforts pour ne pas tant montrer des images qu’être capable de les faire dialoguer entres elles. Je n’oublie pas la vieille distinction godardienne « fiction » versus « documentaire » : La fiction c’est la certitude, le documentaire c’est la réalité avec son incertitude. Le cinéma consiste à éclairer l’un avec l’autre. Et je me dis qu’au théâtre, on doit pouvoir aussi réussir cette « machinerie ». Entretenir le dialogue. Le dialogue entre la fiction et le documentaire. Entretenir le dialogue entre les mots et les images, le texte et le plateau. Entre le groupe et l’intime. Le dialogue entre le ciel et la terre, les vivants et les morts. Le dialogue entre les femmes et les femmes. Parce que l’enfer doit plutôt ressembler à la passion destructrice d’un homme livré à lui même, un homme non-réconcilié, en manque de pardon, privé de l’idéale intercession, plutôt oui qu’à une assemblée d’êtres mal accordés.
Vous l’aurez compris, avec Violentes femmes, je me fixe un objectif : être capable d’écrire une pièce du contrechamp.”
Christophe Honoré.
LA GENÈSE DU PROJET
”Nous avons fait connaissance il y a des années. il était venu me dire qu’il voulait faire du théâtre et du cinéma. J’aimais l’appétit, la déclaration de désir excessif. Christophe Honoré voulait tout à la fois, simplement, gentiment, ardemment. il y a trois ans, à la proposition d’écrire pour des élèves, il répond : bien entendu. il vient aux répétitions, écrit une pièce pour eux. Toujours exact. Nous jouons un jeune se tue au festival d’Avignon. Nous voulons continuer. il me demande si j’ai lu Les palmiers sauvages de Faulkner. il aime l’idée de ces deux histoires parallèles qui ne se rencontrent jamais.
Nous commençons comme cela, à partir de cette envie commune de deux histoires qui s’influencent, qui se réverbèrent, sans démonstration. Nous pensons que c’est une forme de tension irrésolue qui nous va bien. Que le plaisir sera d’avancer dans ces fictions sans connaître le centre de gravité car il bougera sans cesse, comme lorsque nous sommes « en train de vivre ». Deux histoires donc : un tueur dans une école supérieure de filles au Canada, et une femme qui a vu la vierge et passe le reste de sa vie à en témoigner. D’une part, un homme qui refuse aux femmes la possibilité d’accéder aux savoirs et pour cela va en tuer plusieurs, dans une école d’ingénieur, et d’autre part le récit obstiné et rigoureux d’une apparition. Nous nous servons de textes féministes, de témoignages à propos du fait divers, de comptes rendus. on fait des noeuds, des points. on est penché sur des tables dans des restaurants. Je lui dis que j’aimerais que les acteurs aient une part d’improvisation, qu’il faut penser à mettre du jeu dans le jeu. Je lui dis que la joie doit venir des embranchements et des connexions imprévisibles.
Le titre : Violentes femmes.
Est-ce que ça te va ?
oui, oui.
Le dyptique est une histoire sur la violence faite aux femmes et la violence faite par les femmes.”
Robert Cantarella
LE TEXTE DE CHRISTOPHE HONORÉ
”Violentes femmes, le texte de Christophe Honoré, est tourmenté par une question sous-jacente : il y a-t-il une foi qui nécessite le sacrifice d’une vie, ou de plusieurs.
D’abord un tueur canadien, à peine sorti de l’adolescence, Marc Lépine, décide au nom d’une cause, de tuer des étudiantes de l’école polytechnique de Montréal et de se suicider après la réalisation de son acte de purification. Au nom d’une raison folle, celle d’empêcher les femmes d’avoir accès au savoir, à l’intelligence, il fait l’acte de tuerie qui le « mérite ».
Puis sur l’île Bouchard, dans une France tout juste sortie de l’occupation par les Allemands, Jacqueline, une petite fille de 12 ans voit la vierge accompagnée d’un ange. Elle prévient les adultes, ils hésitent à croire à son apparition, et pourtant la vierge qui l’a désignée, lui dépose dans le coeur et l’âme une mission : « sauve la France ». Elle passe sa vie entière à faire le récit de son « moment ». Elle fait le sacrifice d’une autre existence au nom d’une vision, d’un appel.
Violentes femmes est une pièce curieusement joyeuse et impertinente sur un sujet grave, d’une actualité terrible. Quelle cause peut justifier un sacrifice ? on y voit des femmes qui veulent comprendre comment un acte de barbarie peut se légitimer, et comment se remémorer une violence pour comprendre et peut-être empêcher une suite, un recommencement. on y découvre une autre femme qui ressasse avec plaisir une histoire merveilleuse, fantastique, l’air de rien, aux frontières d’un conte.
Ces femmes ont décidé de se retrouver autour d’une statue en construction, sans doute celle d’un nouveau culte que l’on ne connaît pas encore, ou bien est-ce dans une foire aux vanités où chacune vient témoigner de ses douleurs et de ses illuminations.
Les échanges sont drôles, acerbes, crues, pudiques, ironiques et infiniment humains. Elles inventent la délibération ; elles, ses femmes, voudraient suspendre leur jugement pour comprendre. Sans illusion sur les désirs et les chemins tortueux qui permettent de les satisfaire « à tout prix », des femmes expérimentent entre elles, avec un public et enfin avec un homme pris au hasard dans le public, les conditions pour continuer de vivre ensemble : femmes, hommes, et images du ciel. Violentes femmes ne cherche pas montrer la violence du moment de l’extase, ou du meurtre en direct, non surtout pas ! C’est une affaire qui ne nous intéresse pas, qui n’est pas du registre du théâtre pour nous. Nous aimons les antichambres, les salons, les intervalles, les récits d’actes héroïques, comme chez Racine.
Le plaisir du jeu de la reconstitution, enfance de l’art, quand il faut se souvenir à plusieurs, que la parole et le geste servent à refaire autrement, avec d’autres outils, avec des bribes de mémoire, ce qui s’est passé pour de vrai. Car c’est avec le bonheur d’assister à des histoires en train d’être refaites, revécues, rejouées que le spectateur lui aussi comprend, s’émancipe des peurs, des volontés de puissance et des bêtises de l’actualité.”
Robert Cantarella