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LINDA VISTA à Anthea (de Tracy Letts – Mise en scène de Dominique Pitoiset)

Après avoir présenté, à Anthéa en 2015, les conflits familiaux d’« Un été à Osage Country », Dominique Pitoiset a choisi une nouvelle étape dans l’Amérique contemporaine avec « Linda Vista » également de Tracy Letts. Il adapte et met en scène sur un mode comique, cette pièce, qui se passe dans le sud de la Californie, près de la frontière mexicaine, et centrée, cette fois, sur un seul personnage de quinqua solitaire et dépressif.

C’est donc une véritable performance d’acteur pour Jan Hammenecker, présent sur scène tout au long de la pièce qui dure près de trois heures. Il est entouré de toute une troupe d’excellents comédiens belges, trop peu connus en France et c’est une bonne opportunité de les découvrir. Conduits par eux et par quelques figurants, d’astucieux décors circulent pour des tableaux rapides autour de ce personnage central désabusé.
Ayant peur d’un suicide de sa part, un couple d’amis bienveillants décident de l’aider à retrouver une vie sociale et amoureuse plus intense et lui présente une jolie femme.
D’où une désopilante scène de karaoké où elle cherche à s’approcher de lui, qui la fuit aussi séduisante soit-elle. Mais barricadé dans ses certitudes, c’est lui-même qu’il méprise. De n’avoir pas mené à bien un métier de photographe pour se contenter de réparer des appareils photos. « Ce n’est pas que j’aime mon boulot, mais il me correspond » dit-il, incapable de tenir compte de ses compétences artistiques. Et comme en écho à biens des vies gâchées...

Son passé envahit son présent. Pour ses goûts, il est resté fixé sur sa jeunesse avec la grande époque du cinéma italien : Rossellini, Fellini, Visconti, Antonioni et tutti quanti, auxquels il ajoute Bergman et Kubrick. Montrant « Barry Lyndon » aux deux femmes qui l’entourent, il s’étonne qu’elles se soient endormies durant ce film qu’il adore.

Bloqué sur sa jeunesse, il ne voit pas le monde bouger, ni les goûts et les modes évoluer.

Ne dit-il pas à son copain qui l’a aidé à déménager d’un garage où il poursuivait sa vie de raté : « On change en vieillissant et c’est vite fait de ne plus avoir rien en commun avec ses vieux amis »... Parfois à la limite du dérisoire dans ses résistances, il est totalement émouvant dans cette immobilité affective et la complexité de ses sentiments contradictoires. Ses amis ne sont pas dupes et leurs conseils s’épuisent à ne trouver aucun écho : il y rétorque par de la résistance passive.
Désabusé, il se voit déjà entraîné vers la pente fatale et, pour le décider à sortir de son isolement, il lui faudra quelques claques. Comme celle de perdre son lamentable boulot, ce qui lui permettra d’envisager de revenir à ses talents pour la photographie et de construire une vie commune avec une compagne.
Quoiqu’elle soit ouverte, la fin laisse percevoir l’espoir d’un futur plus excitant, tant sur le plan professionnel qu’affectif.
Dans cette comédie douce-amère, le public s’amuse bien souvent de dialogues percutants sur la société actuelle et il applaudit frénétiquement l’humour subtil de ce portrait ironique où chacun peut, plus ou moins, se reconnaître.

Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une DR Mirco Magliocca (Courtesy Anthea)

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