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La Grenouille avait raison, de James Thierrée au TNN

« La Grenouille avait raison » est la plus récente création, poétique et absurde, de James Thierrée qui a terminé sa longue tournée européenne par le TNN du 7 au 11 juin. Nous avons eu le plaisir d’assister à une représentation, on vous raconte !
Mime, cirque, danse, chant, musique se mêlent dans un fascinant univers, entre rêve et cauchemar, où il est inutile de chercher une quelconque cohérence. Rien de grave si le spectateur s’égare, bien que le spectacle soit une libre adaptation d’un conte des frères Grimm qui parle d’une fratrie déjantée où un prince est retenu par une étrange créature mi-homme mi-grenouille.

James Thierrée nous a ensorcellé à nouveau avec un conte sur l’enfance, fidèle à son univers onirique et baroque, servi par des interprètes magnifiques. Un enchantement.

Devant un immense et défraîchi rideau de velours rouge, apparaît une chanteuse, vêtue du même velours rouge, dont la voix envoûtante accompagne le spectacle. Elle ensorcelle le public avant de lui laisser découvrir un stupéfiant décor hétéroclite qui ressemble à une machinerie de fête foraine, sortie d’une imagination complexe. Le décrire relèverait de détails organiques et de l’obscurité de rêves sombres. Pourtant, on y distingue un vieux piano indiscipliné, un escalier en colimaçon à l’infini et des plateformes suspendues où se mue, tout en souplesse, la danseuse Thi Mai Nguyen.
Avec ses parents fondateurs du Cirque Invisible, James Thierrée a appris dès l’enfance l’art de l’acrobatie, le violon et la magie de l’illusion, avant de fonder lui-même la « Compagnie du Hanneton ».

Magicien, acrobate, acteur et clown, il est le petit-fils de Charlie Chaplin auquel il ressemble de plus en plus. Il imite à merveille les gags de son grand père, ceux de « La Ruée vers l’or » et du « Kid » et donne l’impression que Charlot est revenu !

Dès le début, les objets sont en mouvement, tandis que, dans un coin, le corps désarticulé de James Thierrée tournoie dans l’escalier en colimaçon. S’enchaînent des instants surréalistes et gentiment comiques, tel un dialogue avec le piano qui joue tout seul. Un personnage enlève la perruque d’une femme, puis le bras qu’il mord à distance tandis qu’elle pousse un cri de douleur. Ensuite, des assiettes métalliques circulent de l’un à l’autre comme par magie jusqu’à devenir un animal fantastique. Dans un bassin, une danseuse joue de son corps avec des hoquets repris par l’homme, tandis que la musique devient plus sensuelle et langoureuse durant ce jeu à deux. Les corps s’emmêlent. On voit des bras et des jambes à qui mieux mieux, sans pouvoir dire à qui ils appartiennent.

Devenu grisonnant avec le temps, James Thierrée reste cependant un lutin farceur au corps élastique et aux mains agiles.

Il n’aime pas que les histoires soient précisément énoncées d’où son goût pour la part énigmatique de toute création. Il n’a pas appris la discipline dans les règles de l’art et tisse une sorte de toile d’araignée pour son drame chorégraphique, spectacle d’un poète inventeur d’univers fantastiques et burlesques dans lesquels nos yeux se perdent avec régal. Sa poésie se déploie dans la gestuelle chorégraphique vertigineuse et inquiétante d’un rêveur fragile qui anime les objets de ses fantasmes. De la souple danseuse à l’auguste facétieux, tous ses compagnons de scène déjouent les lois de la pesanteur dans des moments enchanteurs de ballets aériens où l’imaginaire du spectateur est sollicité à passer par des rêves d’images insolites.

À l’étonnement de chaque spectateur, le décor évolue par l’illusion de changements d’éclairages dus à Alex Hardelet et à James Thierrée, décidément à tous les postes.

C’est la grenouille qui clôt le spectacle ! En quoi a-t-elle raison ? Le rideau de velours rouge remonte tout seul sur ce mystère, tandis que fusent les applaudissements à tout rompre d’un public enchanté de cette féerie aérienne, terrestre et aquatique.

Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une : (R.HAUGHTON)

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