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"La fuite" mis en scène par Macha Makeïeff : du très bon théâtre, du vrai !

Profondément satirique, « La Fuite » s’est jouée au TNN à Nice juste un siècle après la Révolution d’Octobre de 1917, lorsque ont fui en France les grands-parents de Macha Makeïeff, la metteuse en scène, directrice du Théâtre de la Criée à Marseille. C’est dire l’implication personnelle qu’elle a mise dans sa superbe mise en scène.

La sensibilité et les origines russes de Macha Makeïeff imprègnent le véritable canevas de mise en scène de ce texte lyrique et en font un spectacle passionnant.

Macha Makeïeff a aussi signé d’insolites costumes et de magnifiques décors : une gare, une maison en coupe à Constantinople... Et elle a réuni une troupe d’une douzaine de comédiens tous excellents et tenus de se repartir les trente rôles : un exploit exceptionnel qui les rend aussi KO que leurs personnages dans leur course folle. Cet univers tourmenté (comme la littérature russe de Dostoïevski à Tchekhov, en passant par Tolstoï) est allégé par quelques scènes de chants et de danses auxquelles Angelin Preljocaj a participé. Du très bon théâtre. Du vrai !

Dans « La Fuite », l’imaginaire de Boulgakov s’exprime avec une grande liberté afin de mêler tragique et bouffonnerie pour parler de façon métaphorique de la fuite des Blancs devant l’avancée victorieuse des Bolcheviks. Le rêve, le fantastique, l’irrationnel sont là pour dire l’indicible oppression du pouvoir totalitaire que seules peuvent conjurer certaines inventions dans l’écriture.

A la fois historique et satirique, la pièce est articulée non par huit tableaux, mais par huit « songes » très ironiques, on pourrait dire huit cauchemars. Boulgakov plonge ses héros dans le chaos et impose au spectateur un univers désaxé où tout est instable. On retrouvera des thèmes similaires et surtout une éthique identique dans « Le Maître et Marguerite », son chef-d’oeuvre publié plus tard.

« La Fuite » a un contenu habilement camouflé pour déjouer la censure qui étouffait la liberté de création à l’époque où elle a été écrite.

Soupçonnée de prendre la cause des Blancs, la pièce ne sera pas montée du vivant de Boulgakov, qui avait pourtant effectué des remaniements à son texte, interdit par la censure. Scrutant l’envers du miroir, l’auteur regarde la face nocturne du monde.

Ballottés dans la tourmente révolutionnaire, de la Crimée à Constantinople, puis à Paris, ses Blancs émigrés se prennent par instants à rêver d’un hypothétique retour dans leur patrie pour y revoir la neige. C’est aussi la tragédie d’officiers confrontés, une fois la partie jouée et perdue, à l’interrogation éthique que posent les crimes commis et le sang versé. Les retournements opposés abondent d’un songe à l’autre et l’action se développe dans une distorsion du réel dont le summum est atteint à la fin avec des images grotesques de courses truquées de cafards. Les jeux de hasard, à la fois sérieux et bouffons, accentuent un monde dépourvu de tout repère dans ce drame de la culpabilité et de l’expiation.

Dans son découpage en huit songes, le développement de l’intrigue, les rapports entre les personnages, les répliques se présentent comme une suite de huit rêves de l’auteur (non de ses personnages).

Ceux-ci se situent en des lieux (une gare, un palais dévasté à Sébastopol, un bureau du contre espionnage...) et des temps différents qui sont précisés en lettres lumineuses avant chaque songe. Le rêve est le lieu de la réalisation du désir. L’onirisme permet des transformations grotesques et affranchit la pièce de conventions de temps et d’espace, rendant possible le vécu immédiat. L’Histoire est ainsi intégrée dans sa dimension métaphysique, plutôt qu’une évocation de la vie des émigrés dans un monde privé de sens. Du grand théâtre !

Caroline Boudet-Lefort

Photo de une : DR LA CRIEE
À retrouver en tournée 2017 – 2018
21 novembre Théâtre Grand Paris Sud, Seine Essonne-Sénart
29 novembre > 17 décembre Théâtre Gérard Philipe - CDN de Saint-Denis
21 > 22 décembre Théâtre Liberté - Scène Nationale de Toulon
9 > 13 janvier Théâtre Les Célestins à Lyon
19 > 20 janvier Le Quai à Angers

DISTRIBUTION
De Mikhaïl Boulgakov (1891 – 1940)
Adaptation, mise en scène, décor, costumes Macha Makeïeff
Lumières Jean Bellorini
Complicité Angelin Preljocaj

Avec Pascal Reneric, Vanessa Fonte, Vincent Winterhalter, Thomas Morris, Geoffroy Rondeau, Alain Fromager, Pierre Hancisse, Sylvain Levitte, Samuel Glaumé, Karyll Elgrichi, Emilie Pictet... et une petite fille.

Conseillère à la langue russe Sophie Bénech Création sonore Sébastien Trouvé Coiffure et maquillage Cécile Kretschmar Assistante à la mise en scène Gaëlle Hermant Assistante aux costumes et Atelier Claudine Crauland Assistante à la scénographie et aux accessoires Margot Clavières Iconographe et vidéo Guillaume Cassar Assistant lumières Olivier Tisseyre Assistant son Jérémie Tison Assistant à la chorégraphie Guillaume Siard Chef de choeur Jérémie Poirier Quinot Professeur d’accordéon Maxime Perrin Régie générale André Neri Régisseur plateau Ruddy Denon, Chef machiniste Julien Parra Régie costumes Nadia Brouzet Fabrication d’accessoires Soux & Patrice Ynesta Construction du décor Ateliers du TNP Villeurbanne Intervenante en scénographie Clémence Bezat Stagiaires Pavillon Bosio (Monaco)

Production La Criée - Théâtre national de Marseille
Coproduction Théâtre Gérard Philipe - Centre dramatique national de Saint-Denis ; Le Printemps des Comédiens.

Artiste(s)