Adolescente, Isabelle Fruchart est devenue malentendante, mais sourde à sa surdité, elle refuse de l’admettre. Quand, à 26 ans, elle consulte enfin des spécialistes, il est alors trop tard pour pallier à 70% d’audition déjà perdue, elle risquerait de détruire le peu de réceptivité qui lui reste. Elle s’installe dans son handicap – celui d’une dame de 80 balais – se contentant d’approximation dans un univers ouaté et prend l’habitude de lire les mots sur les lèvres. Isolée, frustrée, fatiguée par la trop grande concentration, elle se coupe d’une certaine réalité. Heureusement, évoluant dans une famille de musiciens, elle a particulièrement l’oreille musicale. Mais, en tant que comédienne, il est difficile de passer une « audition » quand on n’en a pas. Même en apprenant à écouter avec les yeux et en se recréant un monde au-delà de son déni de la réalité, il est aisé d’imaginer combien cette difficulté peut barrer la vie d’une comédienne.
A près de 40 ans, elle peut enfin être appareillée grâce aux progrès en la matière. C’est alors un miracle ! D’abord entendre sa propre voix, puis, celle des autres, et les sons, la musique, les bruits. Ceux apaisants de la nature autant que ceux agressifs de la rue. Elle profite des sensations auditives quelles que soient leurs origines et leurs destinées. Tout crie à ses oreilles, la nature, les objets, les gens, et, sous sa plume, elle renvoie l’écho acéré de ces voix qui l’assaillent. Son déni de la réalité l’installe dans un monde qu’elle imagine souvent poétique en écoutant pousser les fleurs.
- © B. Bressolin
Tout cela, Isabelle Fruchart le raconte dans son journal où elle porte son attention sur les sensations ressenties avec sa nouvelle écoute du monde. Elle se pose alors toutes sortes de questions sur les sonorités douteuses qu’elle entendait jusqu’alors. Dans une écriture souvent touchante, sans geindre ni se complaire, la comédienne récite sur scène ce journal tenu durant quelques mois lors de ses rendez-vous médicaux et le « dialogue de sourds » avec l’ensemble du corps médical. Seule en scène, elle se confie dans une étonnante performance d’actrice sur les « malentendus » qui infectent la vie. Ne pas entendre est mal vécu par l’entourage et toujours méchamment reproché, aussi triche-t-elle, volant des bribes de conversations, se contentant d’approximations, évitant l’anodin, adaptant, imaginant. Et résistant grâce à l’humour ! Car elle porte un regard de dérision sur sa perception de chaque nouveau son et sur cet appareil auditif qui révolutionne sa vie et lui offre une nouvelle naissance.
Zabou Breitman a choisi une mise en scène sobre pour cette pathétique autobiographie qui invite à mieux entendre et écouter les autres !