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Fin de cet événement Avril 2014 - Date du 17 avril 2014 au 18 avril 2014

INVISIBLES

Texte et mise en scène de Nasser Djemaï
Au théâtre National de Nice les 17 et 18 avril

" Un jeune homme entre en scène tel un intrus guère accepté par des vieux suspicieux qui tapent le carton. Il porte un coffret confié par sa mère mourante afin de l’aider à retrouver son père inconnu : un homme mystérieux que les joueurs, ces « invisibles », s’attachent à tenir à l’écart. C’est ainsi que le jeune homme (et le spectateur) découvre ce foyer d’immigrés installés dans une vie effacée d’un coin de France où ils ont pris leurs habitudes. Les Chibanis (cheveux blancs en arabe) sont les victimes des Trente Glorieuses, ces années où des travailleurs immigrés étaient juste utilisés pour les tâches les plus rebutantes, avant un abandon et une trahison qui les ont plongés dans un monde sans horizon et dans la tristesse d’exister. Après avoir usé leurs mains dans la saleté, leurs dos sous de lourds fardeaux ou à transporter des charges encombrantes, ils ont fermé leur mémoire, enseveli leurs souvenirs, tenté d’oublier les souffrances et la grisaille de leurs vies sans espoir de lendemain meilleur. On leur a coupé les ailes sans aucune chance de vie de lumière, aussi sont-ils devenus invisibles.
Evitant les clichés, cette oeuvre poignante de Nasser Djemaï rend hommage à ces hommes humiliés, maltraités, abandonnés qui n’ont de place ni ici ni ailleurs, ni en France ni dans leur pays d’origine. Ils ont fui une misère pour en trouver une autre, celle des foyers Sonacotra, des bidonvilles où l’ennui, la solitude et la déprime quotidienne les clouent. Après des années d’espérance, ils ont découvert l’amertume et les désillusions sur le rêve d’un pays qui les intégrerait sans racisme. Fils des amours malheureuses de la France et de l’Algérie, ils ne retourneront au « bled » que pour y être enterrés, sinon ils perdront leurs droits à la retraite. L’histoire en a fait des petits vieux sans femme, sans famille, sans patrie, aussi démunis qu’à leur arrivée sur l’Hexagone. Dans leurs vies désespérées et mornes, ils ont appris à être transparents comme des fantômes, à se résigner et à tuer le temps, « invisibles » tels des clandestins, des ombres.
Entre réalité et fiction, les personnages de Nasser Djemaï remontent le cours de leur vie où ils ont dû baisser la tête pour survivre. L’émotion affleure souvent, déborde parfois, face à leur misère morale, à leur solitude, à leur folle capacité de cesser de désirer, à consentir à l’ennui, à l’amoindrissement. De leur origine sociale, la fraternité naît et survit entre eux dans une complicité où ils s’agacent mutuellement, chacun dans sa personnalité et dans sa fonction au sein du groupe. Tous les acteurs d’une profonde subtilité nous saisissent aux tripes et notre rire (il y a quand même de l’humour) devient grinçant en entendant le véritable inventaire des malheurs qu’ils trimballent dans une langue où se mêlent le français et l’arabe. Travailler a été leur seule fonction raconte cette pièce d’une force rare, sans fioritures, ni mise en situation inutile. Il faut absolument voir ces invisibles ! "

Caroline Boudet-Lefort

Artiste(s)