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Tableau d’une exécution de Howard Baker (Mise en scène de Claudia Stavisky)

Anthea, théâtre d’Antibes a présenté les mardi 12 et mercredi 13 décembre 2017, le très beau spectacle Tableau D’une Exécution, mis en scène par Claudia Stavisky.

Dans un noir total, une voix-off présente Galactia - en l’an 1571, dans la République de Venise – avant que l’éclairage de la scène découvre l’artiste peintre dans son atelier où pose un homme nu. Elle s’entraîne à des croquis pour un immense tableau sur « La Bataille de Lépante », dont le doge de Venise lui a fait la commande officielle.

« Tableau d’une exécution » est un texte fort sur la réalisation d’une oeuvre d’art.

Il pose la question de l’attitude de l’artiste face au pouvoir politique. Le tableau de Galactia est rejeté d’abord comme une oeuvre trop audacieuse pour une femme, puis jugé comme un dénigrement de l’Etat de Venise, alors que sa glorification était attendue, la ville étant le vainqueur. On aurait voulu que pour célébrer la bataille, elle peigne la victoire de la bataille. L’artiste a peint un massacre, elle veut la vérité : la douleur et l’horreur des blessés et des morts. Aussi le doge la fait-elle emprisonner. Plutôt que « Tableau d’une exécution » ne s’agirait-il pas de « Exécution d’un tableau », car la peintre exécute son tableau avant sa livraison et les réactions hostiles à son oeuvre vont véritablement l’exécuter. Il est possible de jouer sur les deux sens du mot.

L’artiste refuse toute concession et la mièvrerie accordées aux femmes.

En réalisant son oeuvre selon son désir, elle va vers sa condamnation, pour vouloir exécuter une oeuvre de guerre avec ce qu’il y a de souffrance et de terreur.

Cette bataille fut un carnage : « Je ne voyais partout que la mort » dit-elle. Elle fait poser divers hommes : l’un arrive sur scène avec une flèche dans la tête et des tripes en évidence, un autre en se regardant sur le tableau ne reconnaît ni ses mains ni son visage qu’il juge déformé, torturé de douleur. Pour l’artiste « peindre, c’est se forcer, non pas reproduire ». Elle a pris en compte l’anatomie des hommes et le réalisme de la guerre. « La beauté est une invention », dit-elle. C’est le langage de la vérité qui lui importe et celui de la brutalité « C’est le travail de l’artiste d’être brutal », dit-elle.

Tous la disent folle !

Mais ses excès artistiques ne pourraient être dans la norme, dans la banalité ! Galactia doit vivre dans la démesure, l’extrême, l’outrance et respirer plus large.

On pense à la puissante personnalité d’Artemisia Gentileschi, artiste peintre vénitienne. La pièce met en scène des personnages toujours en crise, toujours en guerre.
Howard Baker est l’inclassable auteur d’une oeuvre impressionnante (plus de 70 pièces), également poète et peintre. Sulfureux et provocateur, il est une des voix les plus originales du théâtre anglais contemporain. Il place le langage au centre de sa forme dramatique en incitant le spectateur à réfléchir, tout en évitant de l’endoctriner. Par la bouche de Galactia, il énonce « Chez moi, c’est le ventre qui parle ! », abordant ainsi les rapports entre art et pouvoir, puis les multiples enjeux de la création artistique.

Un personnage dit : « Ce tableau choque aujourd’hui, mais demain il ne choquera plus ». On peut voir toute l’évolution de l’art....

Pour sa mise en scène de « Tableau d’une exécution », Claudia Stavisky a trouvé des « astuces » ingénieuses. Ainsi pour la présentation aux commanditaires du fameux tableau, un immense rideau est dressé sans rien d’autre que son unique et criante couleur rouge sang. Beau symbole qui n’a nullement besoin d’autre vision. La metteuse en scène a fort bien dirigé les neuf excellents comédiens qu’elle a réunis, jouant parfois plusieurs personnages et qui mettent en évidence les phrases marquantes du texte. Mais c’est surtout la remarquable Christiane Cohendy qui porte la pièce, étant presque tout le temps sur scène dans le rôle de Galactia que son choix de vérité dans son art oppose au pouvoir en place.
Impossible pour le spectateur de rester passif et indifférent, si certains ne supportent pas ce spectacle, d’autres ne limitent pas leur enthousiasme face à ce « manifeste » où l’auteur s’interroge tout à la fois sur le politique, l’éthique et l’esthétique.
Caroline Boudet-Lefort

Photo de Une (DR ANTHEA)

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