Le Centre culturel de la Providence à Nice avait réuni, en 2008, quelques personnes de qualité pour animer une prétendue émission appelée « Dissonances Mozart ». Frédéric de Goldfiem remet le couvert avec « Dissonances Freud » pour parler du père de la psychanalyse. Afin de débattre en toute courtoisie, quelques spécialistes sont convoqués à exposer, devant le public, certains des concepts théoriques découverts par Freud.

Nous sommes d’abord accueillis par un panneau fleuri sur lequel s’alignent des chaussures du bébé à l’adulte, sans doute pour symboliser le cheminement de la vie déballée (en vrac) au cours d’une analyse. Au fond, le sosie du fameux divan de Freud avec ses tissus orientaux pour évoquer une séance de psy entre deux actes. Mais l’essentiel est une longue table autour de laquelle sont assis comédiens professionnels et non professionnels pour renforcer (c’est le but) l’impression de véritable émission.
Malicieux et tenace, un genre de M. Loyal préside et anime l’émission en s’attachant à ce que les grandes marottes de Freud soient abordées : le désir, le paiement, l’hystérie, la fessée, et d’abord l’entrée en analyse. « Qu’est-ce qui pousse à pousser la porte d’un analyste ? » interroge-t-il. « Une grande souffrance », répond la psychanalyste Elisabeth Blanc. Il est question du pouvoir guérisseur des mots, d’éliminer (ou pas) son symptôme, et surtout de laisser passer le fantasme là où il veut !
Si cela évoque les fantasmes qui hantaient l’esprit du père de la psychanalyse, sa volonté évidente de questionner est oubliée et sa théorie est réduite à deux heures de spectacle, faites pour déclencher le rire, tandis que chacun des intervenants lutte pour placer ses arguments, les défendre. Qu’ils plaident l’objectivité ou cultivent l’ambiguïté, la polémique reste complexe. Certains se croient en conférence, ou sont pris d’une frénésie de mots à la limite de l’incontinence verbale. D’autres gardent leurs distances, tel le « Professeur » Duprat qui reste au-dessus de la mêlée où s’ébattent et débattent comédiens et psychanalystes dans des rôles de « psys sur scène ». Parfois ça tourne au jeu télévisé. S’ils s’engueulent, ça fait rire. Les combats sur la théorie ne vont pas sans affrontements. Des rapports de force, souterrains ou pas, sont à l’oeuvre, comme dans toute relation humaine. Les « débatteurs » sont sérieux, profonds, combatifs, bavards, énervés. Certains glissent de Freud à Jung ou à Lacan, reviennent encore à Lacan. Ils expliquent leur démarche avec de véritables arguments théoriques, mais, comme ils ne s’écoutent guère, ils semblent faire une thérapie de groupe ou une réunion style alcooliques anonymes, d’ailleurs une intervenante est encore sous l’emprise de l’alcool, picolant et offrant du vin aux spectateurs. Avec son chantant accent italien, Gianna Canova est au comble du naturel, on la croirait assise lors d’un dîner à notre table. Mais, c’est à Jonathan Gensburger que revient la médaille de l’improvisation et des jeux de mots qui font s’esclaffer le public.

Quelle belle surprise de découvrir ce moment de théâtre fulgurant ! A la fois exigeant et accessible, le spectacle s’empare d’un sujet difficile traité sur un rythme séduisant. De la part de Frédéric de Goldfiem nous ne pouvions nous attendre à une pièce morne et pompeuse. Il a totalement réussi son pari !