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TOURNEURS : Musiques actuelles : Ils nous font tourner la tête

Vendre le spectacle d’un artiste, c’est la vocation du tourneur. Mais ce métier englobe aussi bien d’autres activités et se heurte à certaines difficultés spécifiques à la Côte d’Azur. Rencontre avec quelques acteurs incontournables des scènes émergentes de la Côte : Michel Sajn (Image Publique), Mickaël Carsenti (MC5), Benoît Géli (Panda 06 Production) et Yan Degorce-Dumas (Fonétiq).

Si au métier de tourneur ne correspond aucun profil type, c’est tout simplement parce que chacun a sa façon d’exercer sa profession, dans toute la diversité qu’elle représente. Avoir un bon réseau, entretenir une relation de confiance avec les artistes et avoir du nez, ou plutôt de l’oreille, pour miser sur le bon cheval… Autant de qualités toutefois indispensables pour faire la différence sur un marché très concurrentiel. Ce qui unit aussi tous les tourneurs, c’est leur passion indéfectible pour la musique, quelle qu’elle soit. « Et notre obstination ! », s’amuse Benoît Géli de Panda 06 Production, association créée en 2004. Car, comme toute activité professionnelle, celle de tourneur se doit d’être rentable. « Si nous avons fait le choix de monter une structure associative, c’est pour travailler en bonne intelligence avec nos membres et partenaires, mais aussi pour recevoir des fonds publics afin de nous aider dans le développement des musiques actuelles », poursuit Benoît Géli. Et ce n’est pas toujours aisé, même si, selon lui, les musiques actuelles coûtent moins cher que d’autres styles, comme le classique ou l’opéra, voire les musiques traditionnelles. Simplement, l’enjeu électoral est peut-être moins important… « C’est très difficile de vendre de la culture, renchérit Michel Sajn, cogérant d’Image Publique. Outre les contraintes économiques, nous sommes soumis à des pressions d’ordre sécuritaire : nous devons veiller à ce que tout se déroule bien pendant les événements que nous organisons. » Autre difficulté : Michel Sajn estime que la vraie crise est culturelle. « C’est la culture qui fait sens et entretient le lien entre les personnes, et elle n’est pas qu’artistique. Le vrai créneau à prendre, c’est le populaire. Sur la Côte, on peut d’ailleurs miser sur du populaire glamour, en jouant sur l’image de Cannes ou de Monaco. » Car les musiques actuelles ont un peu de mal à trouver leur place dans notre région. La promotion de la musique traditionnelle y est plutôt bien encouragée, accompagnée de son folklore. Or, pour Michel Sajn, « le folklore tue la tradition ». Et, surtout, la lutte entre les différentes chapelles qui coexistent est parfois absurde. « Ce qui éclaire nos choix, c’est la révélation de ce qu’est notre région. Or, on peut très bien manger des raviolis en écoutant du jazz ! », sourit-il.

De gauche à droite : Yan Degorce-Dumas (Fonetiq), Benoît Géli (Panda 06 Production) et Mickaël Carsenti (MC5)

C’est quoi, en fait, un tourneur ?

Promoteurs locaux, sous-traitants de producteurs, diffuseurs, organisateurs de concerts, managers… difficile de savoir vraiment qui fait quoi. « Le rôle du tourneur est de commercialiser le travail des musiciens, explique Mickaël Carsenti, directeur de MC5. L’autre façon de le faire est via un support, et ça, c’est le rôle des maisons de disques. »
Le tourneur vend donc le spectacle d’un artiste, en lien direct avec les programmateurs de salles, dans le but de monter un maximum de dates dans la tournée. Le plus souvent, il est rémunéré en pourcentage sur la vente du produit fini au promoteur local. Il négocie les contrats avec les salles, avec les directions des affaires culturelles des villes, les responsables de festivals, gère les plannings, la logistique, recrute les équipes techniques… Il peut travailler de différentes façons : en coréalisation, en coproduction, en achat direct ou en promotion locale. Toutefois, le métier de tourneur n’est pas reconnu en tant que tel, alors que celui de producteur ou d’agent bénéficient d’un cadre juridique bien défini.
Outre son flair, il se fie à ses coups de cœur pour choisir ses artistes. « Si nous misons sur des groupes émergents, c’est parce que nous souhaitons que les musiques actuelles se développent, mais aussi parce que nous avons envie de voir sur scène des artistes qui n’auraient jamais été programmés dans la région sans nous !, admet Benoît Géli. Ce serait terriblement frustrant de ne pas aimer ce que joue l’artiste que nous avons mis sur scène. »
Le tourneur connaît bien ses artistes. Il sait ce qu’ils peuvent accepter ou non en terme de salle ou de rythme de tournée. « Notre vraie valeur ajoutée, c’est d’avoir de bonnes idées pour vendre les artistes, les présenter au mieux, au bon moment, indique Mickaël Carsenti, et de pouvoir les associer à d’autres artistes. »

Manque de structures et isolement

Pour autant, ce dernier estime que la Côte d’Azur n’est pas une région où il est facile d’organiser des tournées. « Le plus souvent, si nous voulons monter des dates pour nos artistes, il faut qu’ils soient déjà connus. » Et de citer Brian Auger et B-Real de Cypress Hill, deux artistes dont il s’occupe et qui ont joué l’été dernier à Nice. « En revanche, nous faisons le plus souvent en sorte que la première partie soit assurée par un artiste local », ajoute Benoît Géli. « Nous souffrons d’une certaine uniformisation des médias, estime pour sa part Yan Degorce-Dumas. Très peu de stations de radio locales sont par exemple capables de diffuser tous les styles de musique. Difficile alors pour le public de découvrir de nouvelles choses. » D’autant que les azuréens n’ont pas forcément l’habitude d’aller au concert. En cause ? Le manque de salles, notamment à Nice. Pour assurer un meilleur maillage dans la ville et amener la culture dans les quartiers, et pas seulement en périphérie, des projets sont en cours. « Les collectivités doivent prendre conscience que les organisateurs de spectacle sont de vrais moteurs économiques et peuvent être fers de lance dans le développement de l’urbanisme commercial », affirme Michel Sajn. Pour lui, les salles de spectacle ont en outre un rôle important de socialisation. « Ici, nous nous heurtons souvent à une forme de répression nous interdisant de faire du « bruit ». Il faut pourtant éviter de faire un lien entre bruit et violence. Celle-ci vient de la frustration liée au manque de créativité de l’offre musicale. C’est simple : il n’y a jamais de problèmes à la sortie des lieux où la programmation est de qualité, quelle que soit la population qui les fréquente. » « La musique adoucit les mœurs » ne serait donc pas qu’une simple formule !

Michel Sajn et sa femme

Travailler de concert

Dernière contrainte qui rend difficile l’organisation de tournées à Nice : historiquement isolée en regard du national, bien que cela ait tendance à évoluer, la ville l’est également géographiquement. « Nous sommes situés dans un coin !, déplore Mickaël Carsenti. Pour qu’un artiste international y soit programmé, il faut qu’il soit très bien payé ou que Nice soit une étape avant de se rendre en Italie ! »
Afin de contourner ces difficultés, ces acteurs de la scène azuréenne ont choisi de travailler ensemble, en mettant en commun leurs savoir-faire et compétences propres. Autour d’événements ponctuels, chacun endosse tour à tour le rôle de producteur, de directeur artistique, de promoteur… Le festival Cross Over, qui s’est déroulé en juillet dernier, en partenariat avec la Ville de Nice, en est un parfait exemple. Des artistes comme 2manydjs, Miss Kittin and The Hacker, Washing Majazzz, Brian Auger, Dj Food, Nicolas Masseyeff, Ludovic Vendi, Atomart ou No Stress People se sont produits dans différents lieux de la ville. « La programmation était dédiée au métissage des publics, des professionnels, mais également des champs artistiques : musiques émergentes, arts plastiques, vidéonumériques… », indique Yan Degorce-Dumas. Preuve qu’en local, le collectif profite à tous.

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