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MUSIQUE : Kamel Chenaouy : L’orfèvre des guitares électriques

A 62 ans, Kamel Chenaouy n’est pas près de prendre sa retraite. Si cet artisan pionnier dans la lutherie électrique a fermé son atelier niçois, ville où il est arrivé en 1990, ses deux fils ont décidé de rester dans la course : ils commercialisent les modèles créés par les mains en or de leur père, avec la même passion qu’il y a 35 ans.

Entre des planches d’essences de bois précieux, une vieille guitare décortiquée, des plans sur papier millimétré et une caisse à outils géante, Kamel Chenaouy finalise sur son établi sa dernière création avec la minutie d’un joaillier. « Je travaille mes modèles de guitares comme des bijoux ». Entre ses mains, l’amarante et le bois d’amourette du corps tranchent avec le wengé et le palissandre utilisé pour les touches. « Regardez comme l’éclat du bois et du dessins des veines est révélé par le vernis ! »
Son véritable atelier, installé pendant une quinzaine d’années rue Biscarra, à Nice, est aujourd’hui fermé. Pourtant, Kamel Chenaouy a gardé un petit appartement, dans le quartier de la gare, où s’adonner à son métier de passionné. « Si j’arrête de créer, je meurs. » Internationalement connu dans les années 70 et 80 pour ses innovations technologiques, il revient aujourd’hui sur le devant de la scène de l’univers de la guitare électrique. Sous l‘impulsion de ses fans de la première heure, ses deux fils, Alex et Gaby, ont décidé de relancer la production de nouveaux modèles. « Moi, ce qui m’intéresse, c’est ma planche à dessin, pas l’aspect commercial », confie Kamel. La société KCPI exploite donc la marque déposée Kamel Chenaouy et les guitares Apex, elles aussi inventées par leur père. Chaque modèle, il met trois ans à le concevoir. « Je travaille de la même manière qu’un bureau d’études : on ne met pas n’importe quelle droite avec n’importe quelle courbe ! Les formes sont pensées scientifiquement, sans perdre l’harmonie de l’ensemble. » Et ce sont les réflexes d’utilisateur de ce guitariste professionnel qui le guident dans ses recherches. « J’ai beaucoup œuvré pour améliorer l’ergonomie et le confort des guitares. Ainsi, j’ai été le premier à calculer le centre de gravité pour un meilleur équilibre du musicien ! »

Confort et innovation technologique

Kamel Chenaouy dessine ses modèles pendant plusieurs mois avant de les sculpter dans le bois

Dès 1976, Kamel introduisait également le talon ergonomique, épousant la forme de la paume de la main, ou le manche Delta, traversant tout le corps de la guitare. Le meilleur symbole de ces innovations : la guitare Concorde, ainsi surnommée par les fans en raison de son profil effilé, en réalité inspiré par la colombe de la paix stylisée figurant sur le drapeau de l’UNESCO de l’époque…
Aujourd’hui, une fois le prototype terminé, il est envoyé dans un atelier en Chine où sept personnes le fabriquent à la main. Bientôt, la société travaillera avec un atelier de douze personnes en Roumanie, pays qui a un savoir-faire ancestral en matière de lutherie et des forêts avec les meilleurs érables. La capacité de production est de 300 guitares par mois pour la Chine et d’au moins autant pour la Roumanie. « Il était hors de question d’utiliser des machines automatisées, souligne Kamel. Je ne veux pas entrer dans la compétition des guitares cheap. »
Et cela a toujours été le cas. A la fin des années 70, les guitares de Kamel valaient trois fois plus cher qu’une Gibson et quatre fois plus qu’une Fender. Et pourtant, entre 1977 et 1987, avec 7 000 guitares vendue en France, notre luthier était numéro un, devant les deux marques légendaires. « Après Woodstock, l’esprit avait changé, se souvient-il. Nous vivions un tournant culturel décisif et les gens étaient prêts à découvrir d’autres choses. » Kamel travaillait à l’époque avec un atelier au Japon qui pouvait produire jusqu’à 400 guitares par mois. « La demande était trop forte, je ne pouvais plus assumer la fabrication tout seul. Il fallait produire huit modèles sur trois séries, le tout multiplié par deux avec les basses et avec… 24 teintes ! » Et notamment le violet et le fuschia, qui restent encore aujourd’hui ses couleurs de prédilection.

L’inventeur de la guitare à mémoire programmable

Qui aurait pu prédire un tel succès au guitariste qui faisait danser les touristes dans les boîtes de nuit tunisiennes ? Venu rejoindre son épouse à Paris, Kamel reprit des études d’informatique et devint ami avec deux frères qui tenaient un magasin de musique à vocation acoustique. « Ils m’ont tout appris : du commerce à l’import-export, en passant par la gestion et, bien sûr, la lutherie. Ils ont ensuite créé une boutique dédiée à l’électrique et m’ont très vite mis à sa tête ! » Et là, tout s’est enchaîné. Kamel a révolutionné le monde l’électrique en inventant la guitare à mémoire programmable. « Un guitariste professionnel qui joue de la variété est confronté à de nombreuses sonorités différentes : jazz, blues, rock, etc., explique-t-il.

Chaque détail est étudié avec minutie

Il faudrait cinq guitares pour couvrir la palette de sons nécessaires ! Là, la guitare possède 10 sonorités, programmées électroniquement (et la programmation manuelle peut aller jusqu’à 72 !). La mémoire permet au musicien de déterminer lors des répétitions la mise en place des sons, c’est-à-dire ce qui fait la couleur du morceau, et de les restituer à l’identique une fois sur scène, y compris tels qu’il va en avoir besoin chronologiquement dans le morceau. » Ce ne fut pas la seule invention du luthier : en 1976, il fut ainsi le premier à utiliser un composant « push-pull » dans une guitare électrique, système répandu aujourd’hui. « Ce n’est pas brevetable car le composant existe, précise Kamel. C’est un simple commutateur mettant en marche un préamplificateur pour augmenter les possibilités de l’instrument et du micro sans prendre de place. » Il suffisait d’y penser ! Aujourd’hui, s’il cherche toujours de nouvelles idées, il accompagne aussi ses jeunes pairs, en écrivant des livres et en animant sur le net des forums dédiés à la lutherie. « Je suis conscient d’être dépositaire d’un savoir-faire universel que je me dois de transmettre. Sinon, le métier disparaitra. »

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