Nice possède un immense patrimoine, souvent mal connu. On connaît certes les multiples églises baroques du Vieux-Nice ou la Promenade des Anglais, mais connaissons-nous ce que furent les grands Hôtels de Nice : l’Hôtel Regina, le Westminster Hôtel, l’Hôtel Splendid, le Grand Hôtel des Iles Britanniques, l’Hôtel Negresco, l’Hôtel du Parc Impérial, etc… Qu’existait-il avant la Promenade du Paillon ?
Savons-nous où se trouvent le Puits aux Étoiles, la fontaine Sainte (fuon santa) ou encore le Mont-Pacanaille ?... Avez-vous déjà visité Le Vallon Obscur, la Cuve des Fées ou les Terrasses ? Et pourtant tous ces lieux, c’est également Nice… ils étaient l’objet de villégiatures il y a un siècle ; depuis ils ont été oubliés, ont été transformés ou ont disparu…
De même, connaissons-nous comment l’ingénieur Eiffel, celui de la célèbre tour du même nom ou Garnier, l’architecte de l’Opéra de Paris ont marqué cette ville.
- Les terrasses, un lieu emblématique à la Belle Epoque, toujours en projet de réhabilitation (Collection José Maria)
Le livre de José Maria et André Giordan, Nice à la belle Epoque des éditions Serre, se propose de vous faire (re)visiter cette belle ville telle qu’elle se présentait aux « honorables visiteurs » de la « haute société » au début du siècle dernier.
C’étaient de brillants aristocrates de Russie, de Grande Bretagne ou d’Allemagne ; voyageurs invétérés, ils avaient jeté leur dévolu sur Nice après avoir parcouru la planète entière. C’étaient de riches rentiers des Pays du Nord qui venaient en villégiature en famille ou avec leur maîtresse, c’est selon... C’étaient encore des bourgeois très aisés, toutefois plutôt tuberculeux –on disait « qui pratiquaient leur cure annuelle à Nice »… Nice, ville de cure, l’aurions-nous envisagé ?
Tous venaient à Nice, l’hiver. L’hiver ?... Oui ! Nice, une ville d’hiver. Mieux, une capitale d’hiver avec sa Reine d’Angleterre, le roi de Belgique, la Tsarine de Russie, les princes et les comtes d’Allemagne, le roi du Monténégro et leurs cortèges d’aristocrates. L’été, elle était pratiquement désertée, la ville vivait au ralenti. Ce qui aujourd’hui apparaît comme la « belle saison » était considéré comme trop chaude.
Le climat était décrit comme « malsain » à cause entre autres des moustiques. On craignait encore fortement le paludisme… Les étrangers lui préféraient les Grands Lacs italiens ou encore Lugano, Locarno au Tessin. Les bourgeois niçois, allaient eux se réfugier dans la « fraîcheur » des hauteurs de Gairaut, de Bellet, de Levens, de Duranus, d’Aspremont ou de… l’Abadie !
- Le Casino municipal, Place Masséna, au départ de ce qui est maintenant de la Promenade du Paillon. (Collection José Maria)
Interview d’André Giordan
Mais au fait, c’était comment Nice, il y a cent ans ?...
André Giordan : La « Promenade des Anglais », nous dit Charles Monselet, un Nantais qui a inventé avec Grimod de la Reynière et Brillat-Savarin au XIXème siècle l’art de la chronique touristique et gastronomique « est célèbre dans toute l’Europe, comme l’avenue des Champs-Élysées à Paris, comme Hyde-Park à Londres, comme les Cascines à Florence, ou le Chiaia à Naples ; c’est une des grandes attractions de Nice, la principale peut-être ».
Mais rien à voir avec l’autoroute urbaine qu’elle est devenue. « Imaginez », écrit-il encore « le long de la Méditerranée, sur un parcours de plusieurs kilomètres, une rangée de villas les plus élégantes du monde, habitées par les personnages les plus riches et les plus titrés, - les plus titrés se consolant de n’être pas les plus riches, les plus riches se consolant de n’être pas les plus titrés ».
Quels sont les lieux qui ont été largement transformés avec le développement de la ville.
André Giordan :En 100 ans, des espaces ont été totalement transfigurés. Parfois défigurés… Figurez-vous le quartier Saint Roch sans ses hideux HLM comme une immense plaine toute d’orangers cultivée ! L’Ariane, un vaste espace agricole, tout comme la plaine du Var jusqu’à Saint Isidore.
- Le quartier de l’Ariane et la vallée du Paillon (Collection José Maria)
Le quartier Saint Augustin, au bout de l’avenue de la Californie, n’était également que jardins potagers. Sur un terrain de 15 000 m2, une ferme aux autruches présentait 150 autruches, réparties par couples, dans des enclos séparés. Les « grandes dames », leurs enfants, leurs nurses et leur mari, le tout « en équipage » venaient y admirer ces étranges animaux et trouver à acheter : plumes, éventails et boa ...
Le quartier Cap de Croix-Rimiez était considéré comme « en dehors de Nice ». On n’y rencontrait que quelques fermes et quelques sentiers. Les hivernants y organisaient des pique-niques. Une "Ferme Bretonne", s’y était installée et le dimanche, les familles venaient déguster le lait chaud au pis de la vache et le fromage blanc à la crème. A ses côtés, un immense et célèbre Parc d’acclimatation où les hivernants, la bourgeoisie niçoise, se bousculaient pour voir de près les ours gris, la panthère, les jaguars, les lions, l’hippopotame, le chameau, les autruches, les singes (macaques, chimpanzés, gorilles), les crocodiles et le lion de mer. Mais, aussi il y contemplait la maîtresse des lieux, une certaine Léa d’Ascot (du moins qui se fait appeler ainsi), à la réputation « d’originale » par son goût des toilettes extravagantes.
Par contre, le Mont Boron et le Mont Alban étaient complètement dénudés ; point d’arbres, du calcaire à fleur de peau avec de la « terra rossa ». Seules quelques villas commençaient à s’installer à peine. La petite Corniche venait juste d’être tracée.
- La gare PLM en 1905 (Collection José Maria)
Après vos livres de cuisine niçoise et celui sur le pilou, nous ne tiendrons pas compte de vos multiples autres livres plus savants, pourquoi un tel livre sur Nice ancien ?
André Giordan : Tout simplement parce que ce sont nos racines à José Maria et à moi, et nous aimons les partager pour que… vive Nice ! Oui ! Pour que Nice continue à vivre, non pas dans une autosuffisance ou dans une fierté ancrée sur elle-même. Pour nous, pas question non plus de chercher à conserver notre belle Cité figée ou fermée sur elle-même comme la rêvent certains de ses politiques. Bien au contraire… quand nous cherchons à faire connaître notre identité, c’est certes pour la défendre mais surtout pour l’enrichir dans la rencontre, dans l’ouverture sur les autres, les non-Niçois !...
Certes un patrimoine, une culture, ce qui fait notre identité, se protège, mais pas dans la frilosité ou la défensive, pas dans la peur des étrangers... Bien sûr, il nous faut arrêter le massacre des dernières villas de la Belle Epoque, refuser le mitage des collines ou stopper de dénaturer la Plaine du Var. Sans doute faudrait-il également harmoniser les clôtures et autres forfaitures des constructions existantes sur les multiples collines qui font Nice. Sûrement il s’agirait de réhabiliter au plus vite des lieux qui étaient superbes comme le Puit des étoiles à Magnan, le Vallon obscur au-dessus de Gorbella ou les grottes de Saint André ou encore rendre totalement piétonne la Promenade des Anglais et pourquoi pas tout le Centre-Ville comme ont su l’oser d’autres villes.
Mais pour commencer, pour qu’existe un patrimoine, une culture, encore faut-il en prendre conscience. Et pour cela, le partager, notamment avec les autres, les niçois mais surtout les « différents », les non-niçois, ceux d’ailleurs et qui sont tout prêts à aimer notre ville. C’est dans leur regard divergent qu’on apprend qui on est. Souvent, c’est quand on réside ou qu’on visite l’étranger qu’on a subitement l’intuition des beautés, des qualités, des spécificités qui font sa propre ville.
Revenons au contenu de votre livre, quels ont été vos choix éditoriaux ?
André Giordan : José Maria et moi-même n’avons pas voulu faire ni un livre d’historien, ni un livre pour les collectionneurs qui recherchent un mouton à 5 pattes. Pour nous, ce qui prime c’est un climat, c’est une ambiance qui permet la rencontre et conduit au partage.
Dans ce livre, notre projet était de donner l’envie de se promener dans Nice à une autre époque. Le recul introduit, le décalage font ainsi (re)découvrir devant des lieux quotidiens des « choses » restantes d’une autre époque qui nous auraient échappées. Ils nous font rechercher des espaces qui ont eu leur heure de grandeur.
Qu’y faisait-on ? Comment y vivait-on ? Qu’ont-ils introduits ? Que sont-ils devenus ? Comment ont-ils été métabolisés dans notre culture niçoise ?
Dans ce but, notre choix s’est porté de faire « revivre » un texte d’époque, en le rendant plus lisible. Il s’agit du prestigieux Guide Conty, un guide réputé par son sérieux, à l’époque. Mais ce qui donne une grande qualité à ce livre, ce sont les multiples illustrations extraites de la superbe Collection de cartes postales de la Belle Epoque que collectionne depuis plus de trente ans José Maria, aujourd’hui président du club cartophile de Nice et des Alpes Maritimes.
- La Promenade des Anglais avec l’hôtel Ruhl. (Collection José Maria) Un des hôtels malheureusement détruits pour laisser place à un immeuble sans charme !
Extrait d’une conférence de José Maria sur la Reine VICTORIA
" La Reine Victoria fit connaître la colline de Cimiez au monde entier, car elle y effectua cinq séjours entre 1895 et 1900, de la mi-mars à la fin avril. Elle logea d’abord au Grand Hôtel de Cimiez dont elle louait une aile entière, puis à l’Excelsior Regina, dès que celui-ci fut achevé.
- Le Grand Hôtel de Cimiez (Collection José Maria)
- L’Excelsior Régina (Collection José Maria)
Comme le souligne Isabelle PINTUS, dans son remarquable livre « L’aristocratie anglaise à Nice à la Belle époque », paru en 2000 aux éditions Alandis, les riches Anglais avaient très tôt décelé en Cimiez l’endroit idéal pour "villégiaturer". Ils y étaient loin de la foule du littoral et de la vieille ville, à l’abri de la chaleur et du vent, et influencés par les multiples guides sanitaires qui vantaient les mérites de la colline de l’antique Cemenelum.
Pour perpétuer le souvenir de Victoria décédée le 22 janvier 1901 à l’île de Wight, un monument fut érigé en 1910, et placé en haut du boulevard de Cimiez devant l’hôtel Régina. Cette statue de la reine adorée des Niçois fut réalisée par le sculpteur Maubert et inaugurée solennellement en avril1912."
Des mêmes auteurs
E vive le pilou, Z’Edition, 1998, réédition Serre, 2003
La cuisine niçoise à la carte, Au Pays rêvé, 2014