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Qui a tué Eva Freud ? Fragments d’une vie à Nice

L’essentiel de l’histoire d’Eva Freud nous était connu par l’excellent travail de Pierre Second qui a poursuivi les recherches de Francine Beddock (à qui il rend hommage en lui dédicaçant son article : « In mémoriam Francine Beddock, psychanalyste »).
Dans un texte très documenté (repris et comple ?te ? en mars 2004), publié dans Les Temps Modernes, Pierre Second retrace patiemment la courte et dramatique existence d’une jeune fille à Nice pendant une des pires périodes de l’histoire humaine.
Ce travail a nourri et conquis Isabelle Sieurin, professeure de philosophie au lycée Calmette, qui découvrant le nom d’Eva Freud dans les registres du lycéé, s’est passionnée pour son histoire. Elle l’a complétée, transformée, et nous offre un récit vivant et dramatique de la courte vie de la petite fille préférée de Sigmund

A travers des lettres, des photos et des documents émouvants qu’elle a récoltés notamment aux Archives de la Bibliothèque du Congrès de Washington, l’histoire d’Eva apparaît comme celle d’un moment historique (la montée de nazisme), d’une ville (Nice), d’un lycée (Calmette), d’une famille (Freud)..., et d’une petite fille vive et décidée d’exister malgré tout et d’aimer.

L’exil d’Eva commence dès 1934 avec la fuite des Juifs d’Allemagne : sa famille, ses grands parents, ses parents, obligés de quitter des villes ou des pays où ils vivaient depuis des siècles, ont dû faire des choix douloureux pour fuir les persécutions et surtout les déportations dont l’issue mortelle était pressentie.
Les parents d’Eva : Oliver et Henny s’installent à Nice. Oliver, deuxième fils de Sigmund et Martha, ingénieur chimiste, fait de sa passion, la photographie, son gagne pain. Il loue une petite boutique Boulevard Joseph Garnier et habite avec sa famille au Grand Palais, avenue Desambrois.


C’est là que va se dérouler une grande partie de la vie d’Eva. Grâce à sa correspondance, à des photographies et au récit saisissant de l’auteur, nous découvrons le parcours d’une petite fille, sa transformation en jeune fille libre, puis en amoureuse.
Un accident dramatique va s’y dérouler alors qu’elle a 16 ans. Son jeune voisin et ami russe qui avait l’habitude de passer par la corniche pour lui rendre visite va glisser, puis tomber malencontreusement (du 8e étage) Cet accident va bouleverser Eva.

En 1942, à l’arrivée des nazis, ses parents tentent de fuir Nice, mais amoureuse d’un résistant, Eva ne veut pas les suivre. Elle devra se cacher, changer d’identité et vivre de peu.

Les lettres de ses grands parents Sigmund et Martha, eux-mêmes en fuite, inquiets pour leurs enfants, nous projettent dans l’univers trouble, dangereux et pour finir dramatique de cette période : Eva décédera à l’âge de vingt ans à Marseille des suites d’une septicémie provoquée par un avortement clandestin.

La riche iconographie du livre nous montre Eva au lycée Calmette (où elle a côtoyé Simone Veil), sur la Promenade des Anglais, au Château, au Grand Palais, mais aussi l’entrée de l’hôtel Excelsior où les Juifs et les Résistants étaient rassemblés avant d’être mis dans les trains en direction d’Auchwitz.

Isabelle Sieurin nous fait vivre cette histoire en se projetant, en s’identifiant (quelquefois hardiment) à Eva, en lui prêtant des sentiments, des émotions, des réflexions qu’elle a pu déduire de ses lettres.

Ps : j’ai un souvenir personnel lié à cette histoire. J’étais alors éditeur et publiais la revue de psychanalyse Trames. Elisabeth Geblesco, Francine Beddock, Jean-Louis Meunier et l’équipe de rédaction avaient invité à Nice Ernst Freud, le petit-fils de Sigmund (l’enfant à la bobine) pour une conférence.

Le fait qu’elle se déroulait à Nice a peut être décidé Ernst Freud, déjà âgé, d’accepter l’invitation.
Avant de venir, il nous avait fait savoir qu’il recherchait des informations sur son oncle Oliver qui avait habité Nice et dont la fille Eva était morte dans des conditions non élucidées.
Pour l’aider, nous avions fait paraître un entrefilet dans Nice-Matin qui faisait part de notre recherche de personnes qui aurait eu des contacts avec cette famille.
Une femme s’est fait connaître (elle avait travaillé pour Oliver) et après nous être rendu à l’endroit où Oliver avait sa boutique, nous l’avons rencontrée. Nous avons laissés Ernst et elle dans un petit bar de l’avenue Borriglione où ils ont parlé (en allemand) durant une heure environ. Ernst a eu l’air satisfait de cette rencontre et nous en a remerciés. On ne sait ce qu’ils se sont dit, mais très probablement a-t-il appris ce jour-là plus de détails de l’histoire de sa nièce.
Après la conférence, Ernst avait fait projeter des films familiaux qui nous avaient permis de découvrir un peu de l’intimité de la famille Freud.
Alain Amiel

Isabelle Sieurin
Qui a tué Eva Freud ? Fragments d’une vie à Nice
Éditions Mémoires Millénaires.
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