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Longtemps, j’ai donné raison à Ginger Rogers, de Frédéric Vitoux (de l’Académie française)

En écrivant « Longtemps, j’ai donné raison à Ginger Rogers », Frédéric Vitoux semble avoir pris plaisir à fureter dans le bric-à-brac de sa mémoire pour partager quelques-uns de ses souvenirs avec le lecteur. Il parle, se souvient, s’abandonne... Il s’épanche et tous viennent avec lui, ses parents, sa femme, leur appartement, l’île Saint-louis, Sainte-Maxime...

Il déroule des souvenirs précis ou incertains. Parfois seulement des réminiscences, des ombres de souvenirs... «  L’essentiel ne peut être que suggéré  », dit-il. Sa plume est alerte et vagabonde, sautant d’une anecdote à une autre, des souvenirs de rien du tout restés en vrac dans la mémoire, il parle même du « désordre de mes ressouvenirs  ». Ce fouillis est le principe même de la mémoire où s’empilent pêle-mêle sans hiérarchie les souvenirs. Pourquoi l’un resurgit-il sans raison à n’importe quel moment ? Au cours d’une insomnie, au volant, en se prélassant au soleil sur une plage...

Frédéric Vitoux situe son premier souvenir à l’âge de trois ans, lors d’un trajet vers la prison de Clairvaux pour y voir son père incarcéré comme collabo, après la Libération, à cause d’articles compromettants dans « Le Petit Parisien. ».

Il s’égare en détails dans les trajets en train ou en 2CV pour aller en famille de Paris à Sainte-Maxime

Sans doute, aime-t-il insister, ressasser. Ainsi la fameuse miette de pain dont Vittorio Gassman parle dans un livre autobiographique : une miette restée sur les lèvres de la femme aimée lors d’un petit-déjeuner ensemble. Cette miette qui avait semblé à l’acteur le comble du prosaïsme au point d’éloigner sa belle à tout jamais.

Certains souvenirs très anecdotiques sont étirés pour le plaisir de Vitoux lui-même. Comme les pommes mousseline ou la jungle des Philippines, mais ils ont sens pour lui, pour cet amour des mots qu’il revendique. Il s’égare en d’infinies digressions et en souvenirs personnels qu’il semble s’attacher à raconter. Un souvenir en entraîne un autre, une personne en entraîne aussi une autre, et tout se déroule comme une bobine mémorielle qui tirerait des fils en désordre passant de Céline (auteur favori) à son opération des amygdales et végétations pour enchaîner sur un voyage en Irlande sur les traces de Joyce, ou bien sa peur pathologique du retard ou encore sa nostalgie permanente. Par-ci par-là, Vitoux donne quelques coups de griffes aux intellectuels qui s’intéressent à la psychanalyse et au structuralisme, et, au passage, il nie l’inconscient.

Il a une très agréable plume, pour raconter toutes sortes d’anecdotes

Tous les livres qu’il a écrits sont basés sur des événements vécus qu’il transforme en romans. Mais cette fois il reste collé à la réalité de sa mémoire plus ou moins fidèle. Chacun ne triche-t-il pas malgré lui avec la réalité passée que le temps autorise à transformer ?

Dès son enfance, l’importance accordée au cinéma et celle, toute particulière, pour certains films. L’impression d’autonomie, de grandir, quand il achète le premier livre de son choix. Sa sédentarité ou fidélité à des lieux : il vit dans l’appartement parisien de l’Ile Saint-Louis où son père est né (son grand père était médecin accoucheur) et il dort dans le lit même où sa mère est morte. D’une personne, on saute à une autre qui en tire une autre et s’ensuit une farandole sans fin. Il y a toujours une nouvelle apparition ou réapparition d’une personne rencontrée quelques pages auparavant.

Dans le dernier chapitre, Vitoux motive cette remontée de souvenirs en parlant de son père qui avait eu des velléités de devenir écrivain, mais ne s’impliquait pas dans ses écrits en restant extérieur. Aussi lui-même Frédéric Vitoux raconte toujours, dans ses livres, des histoires liées à sa vie personnelle, pour acquérir la notoriété avec des récits vagabonds et savamment ébouriffés ou une auto-fiction non conventionnelle.

Complexé par les moyens limités de ses parents, il revient toujours au privilège de l’argent, de la domination des « nantis », leur arrogance naturelle qui exerce sur lui une certaine fascination. Le titre insolite du livre vient d’une phrase que dit Ginger Rogers dans « La fille de la 5ème Avenue  »(1939 – Gregory La Cava), phrase qui a justement frappé Frédéric Vitoux : « Peut-être que les gens riches sont justes des pauvres... avec de l’argent ». N’y a-t-il pas un peu d’amertume dans cette phrase ? En tout cas, Vitoux lui donne raison avec bon sens et sans ressentiment. Car, au bout du compte, dans cet exercice d’ego- histoire, il ne semble pas être mécontent de sa vie.

Caroline Boudet-Lefort

En octobre, le Prix littéraire2020 Jacques Audiberti a été attribué à Frédéric Vitoux, pour l’ensemble de son oeuvre en résonance avec celle du grand auteur antibois. Son denier ouvrage « Longtemps, j’ai donné raison à Ginger Rogers », est paru cette année.

A ce Prix, s’est ajouté, pour la premier fois, le Prix Jeune Audiberti, réservé aux moins de 26 ans, pour un texte bref, original et inédit sur le thème : « Ecrivez musclé, écrivez avec vos poings !  » comme le conseillait autrefois Jacques Audiberti au jeune chanteur Claude Nougaro. Ce Prix a été décerné à Théo Griffiths, 24 ans, pour un poème entre prose et vers, sur la sensation d’une personne dans une ville du Sud de la France, Uzès, où vit le jeune auteur.

Photo de Une : (détail de la Une du livre) DR GRASSET

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