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Livres : Le Bal, d’Irène Némirovsky (Ed. Grasset – Les Cahiers Rouges)

Avec guère plus d’une centaine de pages en gros caractères, « Le Bal » est un court récit d’une écriture riche et simple et dans lequel chaque mot, chaque scène, a son importance.

Après une vie modeste, les Kampf sont soudain devenus très riches grâce à une opération boursière réussie. Aussi éprouvent-ils le besoin d’en faire étalage et de le montrer à ce que l’on pourrait appeler le « beau monde » au cours d’un fastueux bal qu’ils organisent chez eux. Antoinette, leur unique fille, rêve déjà de son succès au cours de cette soirée. Mais sa mère, la catégorique Rosine Kampf, ne veut pas que sa fille de quatorze ans y assiste, alors que l’entrée dans le monde est à quinze ans. De plus, elle devra laisser sa chambre pour servir de vestiaire et aller dormir dans un petit débarras.

Tout est raconté à travers les yeux d’Antoinette, avec ses rêves et ses rébellions face au monde des adultes. Provoquée par sa révolte intérieure, elle a un comportement hostile à sa mère. Elle supporte mal les humiliations que celle-ci lui fait subir. A ces humiliations répondra l’humiliation que sa fille, remplie de haine, imposera sans calcul et sans même réfléchir. Nullement prémédité, son passage à l’acte sera tellement radical qu’il provoquera enfin un élan maternel. Fallait-il donc en arriver là ?

C’est une vengeance, mais une vengeance tellement réjouissante face à la description de ce couple de parvenus. Absent en toute circonstance, le père est un pantin uniquement soucieux d’argent. Quant aux prétentions sociales de sa femme, elles sont ridiculisées dans son obsession des apparences de « nouveaux riches » et son but de s’imposer dans un milieu où elle cherche à se faire accepter.

Tout est décrit à travers les pensées et les sentiments de l’adolescente sur sa propre famille.

Des sentiments ambigus, mais sans rien de machiavélique ni de calculé dans son acte, aucune méchanceté n’est exprimée, elle ne juge pas, elle est seulement lasse de subir des remontrances et des vexations. Alors elle humilie à son tour en profitant de l’occasion qui s’offre à elle de se venger. Ou serait-ce un appel au secours pour que sa mère s’intéresse enfin à elle ?

Le talent d’Irène Némirovsky est formidable pour se faufiler dans la bulle du monde de l’enfance auscultant de l’intérieur le monde des adultes et la fragilité des illusions maternelles. Avec une forme rigoureuse et brève, elle raconte une histoire de vengeance.

Cette critique acerbe d’une certaine classe sociale qui « se la joue » est paru en 1930. Née en Russie en 1903 (morte à Auschwitz en 1942), Irène Némirovsky avait dû quitter la Russie avec ses parents lors de la révolution bolchevique de 1917. C’est en France, dont elle a toujours parlé la langue, qu’elle poursuit ses études de Lettres et qu’elle écrit « Le Bal », paru en 1930. Le roman est très bien accueilli par la Critique pour son sujet vu d’un regard encore infantile et déjà mature.

Caroline Boudet-Lefort

Visuel de Une DR (détail de la couverture du livre)

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