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CHRONIQUE LITTERAIRE : Leçon de voyage - Erik Orsenna, L’Entreprise des Indes - Par Daniel Schwall - Librairie Quartier Latin Nice

On s’attendrait sans doute de voir cette chronique s’appesantir sur le récent festival du livre de Nice, certes, de bonne facture, mais alors : par où commencer, et sur quoi, sur qui insister ? La tache ne tiendrait pas dans cette chronique et le résultat en serait sans doute passablement rébarbatif.

J’ai donc choisi de me faire plaisir, et d’essayer de vous en faire prendre, en vous parlant d’un des absents du festival, qui n’est pas pour autant un inconnu nécessitant promotion : Erik Orsenna. Académicien, maintes fois primé, cet homme hors du commun sort à nouveau du rang avec un roman historique délicieux : « l’Entreprise des Indes ».

Le sujet : la préparation, la conception, le lancement du grand voyage qui devait montrer que la Terre est ronde et donc aboutir au Japon, en Chine et aux Indes. On sait ce qu’il en advint avec Christophe Colomb, mais c’est ici le point de vue qui compte et pour cela Orsenna s’est mis dans la peau d’un personnage bien moins connu, celui du frère cadet de Christophe Colomb, Bartholomé. De son état carthographe, c’est-à-dire à la fois apparatchik du pouvoir de l’époque, espion, calligraphe, observateur, découvreur et faussaire.

La langue d’Orsenna est gourmande, touffue mais digeste, ne s’efforce pas de singer un quelconque langage d’époque (et pour cause : on n’est pas dans le Français, ici) mais donne un plaisir infini. On lit, on se sent intelligent, on aime.

D’avoir vu Orsenna faire le tour des plateaux télé avec la sempiternelle histoire de la « pierre qui chie », à savoir un Rhinocéros ramené d’Afrique pouvait faire craindre le pire. Eh bien, l’astuce d’attachée de presse aura fait long feu et bien plus de mal que de bien : le roman est bien plus riche que cette démagogique mise en scène ne le laissait espérer.

C’est bien de découverte qu’il s’agit, mais aussi de doutes, de société médiévale, de conception du monde, de rêve et de conquête. Et le roman a cette facilité, cette fluidité qui le fait sauter des questions les plus métaphysiques aux détails les plus terre-à-terre, que jamais on s’ennuie, jamais on essaye de forcer l’allure.

Une petite musique, mais une musique qui a du sens et du relief : une fabuleuse lecture d’été tout comme un merveilleux grimoire de fonds de cheminée.

Il y a assurément plein de bons auteurs moins connus, mais pourquoi bouder notre plaisir : en voici un qui écrit pour son public et qui a quelque chose à lui dire. On est, d’une certaine manière dans le meilleur de la littérature américaine, qui s’efforce, bien plus que la française, de contenu factuel et de forme. Mais bien sûr, ici c’est d’Amérique qu’il s’agit, d’Amérique synonyme de rêve et de lointain, d’extraordinaire et de surprenant.

Prenez-le avec vous à la plage ou comme livre de chevet, vous ne le regretterez pas…
Un extrait à écouter tout de suite !


Erik Orsenna, L’Entreprise des Indes, Stock/Fayard, 391 p, 21,5€

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