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Enquête/ Culture - Economie numérique : Le livre électronique va- t-il vider les étagères de nos bibliothèques ? - Par Anne DAUBREE

Le livre électronique sera à l’honneur, au salon du livre, à la fin du mois. L’accroissement du nombre de titres disponibles en version numérique et la multiplication des terminaux qui permettent leur lecture pourraient bien faire enfin décoller ce nouvel usage de la lecture. Au détriment du papier ?

Les professionnels du livre ne parleront que de cet objet encore mystérieux, le « e-book », ou livre électronique, au salon du livre qui se tiendra à Paris, du 26 au 31 mars. Et les visiteurs pourront découvrir les prototypes de nouveaux terminaux qui permettent la lecture des e-books. Pour l’instant, le marché des livres électroniques reste confidentiel, en France.
La Fnac et Eyrolles, deux des principaux libraires qui en commercialisent sur leur site internet, n’en vendent que quelques dizaines de milliers par an. Et les chiffres sont également très modestes du coté des readers – ou liseuses- ces terminaux électroniques consacrés à la lecture. Bookeen, un fabriquant qui revendique la place de deuxième sur ce marché, derrière Sony, annonce 50 000 appareils vendus en Europe en 2009.

C’est quoi, un reader ?

Mais le marché pourrait bien exploser. Tout d’abord, ces readers sont arrivés à une certaine maturité technologique. Leur écran, qui utilise la technologie de l’encre électronique, permet un confort de lecture bien supérieur à celui que procurent les écrans LCD des ordinateurs. Très fins et maniables, ils permettent néanmoins de stocker environ 3 000 ouvrages. Les modèles les plus élaborés proposent des fonctionnalités que n’offre pas la consultation d’un livre papier. Il est par exemple possible d’accéder directement à la définition d’un mot inconnu rencontré au cours de la lecture, grâce à un dictionnaire intégré. Autre possibilité : stocker et retrouver facilement des notes prises sur le livre, ou des citations repérées au fil de la lecture. Toutefois, les readers ont encore des progrès à faire. En particulier, la technologie de l’encre électronique couleur n’est pas encore au point. Ces terminaux sont donc pour l’instant plus adaptés à la lecture d’un roman qu’à la consultation d’une bande dessinée ou d’un livre d’art. Aujourd’hui, les fabricants se faisant la guerre pour préempter ce marché naissant, les prix pourraient bien baisser. Pour l’instant, ils vont de 200 à 500 euros environ, selon les fonctionnalités proposées.

La guerre des plateformes

Mais les readers, spécialement conçus pour la lecture des livres, doivent aussi affronter d’autres concurrents. Apple, par exemple, a lancé en février dernier une tablette multimédia multifonctions, l’iPad, qui permet aussi la lecture. Et la marque associe à ce terminal l’accès à une libraire en ligne, sur le modèle qu’elle a déjà mis en place pour la musique, avec ITunes. Reste que l’écran de l’iPad demeure peu adapté à la lecture durant plusieurs heures.
C’est également le cas de l’écran de la console de jeu DS de Nintendo. Ce dernier vient de lancer une opération de communication importante, pour promouvoir une nouvelle offre, fruit d’un partenariat avec l’éditeur Gallimard : un pack de 110 ouvrages de la littérature classique, pour 40 euros. Même les fabricants de téléphones portables s’intéressent à la e- lecture. S’ils développent plutôt des services pour accéder à la presse, ils se dotent, comme chez Nokia, d’applications qui permettent de lire des e-books sur leurs écrans. Et les fabricants de Netbooks, les micro-ordinateurs, ne sont pas en reste, qui se positionnent aussi comme des lecteurs de e-books. Bref, les fabricants de terminaux de tous horizons se bousculent pour s’imposer comme les champions de la e-lecture.

Le mix des supports de lecture

Lequel va donc réussir à s’imposer ? D’après les lecteurs de e-books, sondés par l’institut d’étude Benchmark group, les liseuses se distinguent par leur confort de lecture : 73% des adeptes des readers le jugent « très bon ». Ils apprécient également la possibilité d’accéder facilement et de transporter leur bibliothèque, tout comme celle aller directement à un chapitre particulier, via un moteur de recherche intégré. En revanche, les possesseurs de smartphones ne sont pour l’instant que 5% à juger ce support adapté pour la lecture de romans. Un usage mixte est néanmoins probable. Le possesseur d’une liseuse appréciera probablement de pouvoir accéder à son roman aussi depuis son téléphone portable, pour une durée de lecture courte, ou pour discuter avec un ami de sa dernière trouvaille. La compatibilité entre les différents systèmes deviendra alors un enjeu industriel et commercial.

Les Américains montrent la e-voie

C’est déjà le cas aux Etats-Unis. Les consommateurs qui se sont dotés de la liseuse d’Amazon, le libraire en ligne, peuvent également consulter ces ouvrages sur leur ordinateur et leur téléphone. Et en août dernier, 1% des Américains se sont servis de leur Iphone pour lire un livre, d’après Flurry, société d’analyse d’applications et de contenus pour téléphones mobiles. Outre Atlantique, Amazon vend les bestsellers du moment en version numérique, dès leur parution. Et la bataille fait rage avec son concurrent, Barnes and Noble. Résultat , le marché du livre électronique a déjà décollé, d’après le cabinet d’études Forrester, qui décompte trois millions de lecteurs aux États-Unis, un chiffre qui pourrait doubler d’ici 2010.

Immortel papier ?

Les usages qui se diffusent outre Atlantique - et au Japon- devraient logiquement se déployer aussi en France. Reste à savoir comment. Le e-book va-t-il vider les rayons des bibliothèques ? Les générations nées après 1980, qui ont grandi un écran à la main, vont-elles se défaire de la culture du papier ? Rien n’est moins sûr. En plus des questions d’usage (valeur affective…), le livre dans sa version papier offre des garanties de conservation
qu’ aucun support électronique ne permet. D’une part, celui-ci est toujours potentiellement victime d’une panne électrique, puisqu’il faut bien le recharger un jour ou l’autre. Et, par ailleurs, le support papier demeure toujours lisible, contrairement à un fichier informatique qui n’est lisible que par un certain support, qui peut disparaitre (comme pour les disquettes).

Umberto Eco, érudit italien, et grand collectionneur de livre anciens, ne croit pas à la disparition du livre. Il écrit dans l’ouvrage, « N’espérez pas vous débarrasser des livres », « si je dois sauver quelque chose de facilement transportable, et qui a fait la preuve de sa capacité à résister au temps, je choisis le livre »...

Un reader à l’épreuve du test

Même au bout de plusieurs heures de lecture, les yeux ne fatiguent pas. Lorsque l’on lit un texte sur le Cybook opus, un reader de la société Bookeen, la sensation est totalement différente de celle que procure un écran LCD. L’écran n’est pas lumineux, il n’y a pas de reflets. Ce n’est pas du papier, mais la sensation de lecture en est proche. Le confort de lecture est accentué du fait que l’on adapte les caractères du texte et l’orientation de la page (horizontale ou verticale) à sa guise.

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