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CRITIQUE LITTERAIRE : Le camp des Saints : Prémonitoire et interpellatoire - Par Daniel Schwall - Librairie Quartier Latin Nice

Des milliers de Tunisiens – demain des dizaines de milliers de Libyens ?- débarquent à Lampedusa, poste avancé de l’Europe en Méditerranée… et ensuite à Menton, à Nice, où Douane, Police et Ministre fraîchement nommé se font un plaisir filmé et télévisé de marquer leur ferme mais impotente détermination à les renvoyer… en Italie.

Piteux marquage de la communauté Européenne, de l’Espace Schengen, de l’Union pour la Méditerranée et de « France, patrie des droits de l’Homme ». Mais, évidemment, cruel rappel à la réalité : naïvement politiquement corrects ou patriotiquement nationalistes (et donc racistes ? eugénistes ?), nous sommes tous confrontés à cette réalité que tout le tintamarre sur la mondialisation ne peut faire oublier : qu’allons-nous devenir, terrés dans notre vieille, belle et riche Europe, dans un monde où les inégalités n’ont jamais été plus criantes, et où les Pauvres du Sud ont maintenant les moyens, non seulement d’arraisonner nos tankers au large de la Somalie (vous savez ? l’endroit où Kouchner allait distribuer des sacs de riz) mais carrément de venir en grande masse débarquer sur nos côtes…

Tout cela se passe aujourd’hui et tout cela avait été imaginé, prédit, raconté, … en 1973, par Jean Raspail. A l’époque, son roman n’avait pas soulevé de vagues particulières. Je me rappelle pourtant l’avoir lu, glacé d’effroi, tellement son récit science-fictionnesque sonnait vrai et probable. Teinté de raillerie sarcastique, bien sûr, mais de nature à faire réfléchir sérieusement. 1973, rappelez-vous, c’était l’époque du Club de Rome, l’époque où quand on s’inquiétait de l’épuisement des ressources de la Terre et du besoin d’adopter des politiques écologiques, on était classé parmi les hippies infantiles.

Le roman, littérairement, en vaut bien d’autres, mais la vision, qui prend forme aujourd’hui dans la réalité du journal télévisé, est maintenant plus que hier acerbe, interpellante, acide.
Raspail se défend d’un classement à l’extrême droite et on doit lui donner raison : littérairement il a donné moult preuves de son humanité, de son humanisme, et depuis quand met-on à l’extrême droite les surréalistes pataphysiciens et consuls de Patagonie ?

Ces classements un peu rapides tiennent de la bêtise pure, de l’aveuglement aussi, quand on pense, avec de bons sentiments et des principes résoudre les questions les plus graves qui se posent à notre monde – dont la survie même de l’Humanité en sa forme actuelle est sans doute la plus générique. La maturité ne veut-elle, pas, justement, que nous acceptions que certaines, nombreuses questions existentielles le sont, précisément, parce qu’elles ne trouvent aucune réponse à la portée de l’esprit humain individuel ?

En 1973 Jean Raspail traitait ce sujet presque à la galéjade. On peut imaginer qu’aujourd’hui, son propos serait plus grave. Rééditer aujourd’hui « le camp des saints » est donc une initiative précieuse. Loin de (re)lire une vieillerie dépassée par l’époque, on est au contraire confronté à une précieuse insouciance qui aujourd’hui n’a plus cure. Que le problème, qui à l’époque tenait de l’hypothèse loufoque, soit aujourd’hui devenu la principale menace pesant sur la société humaine : voilà qui fait de ce livre un document clé sur la volatilité du politique, sur l’inanité de la gouvernance mondiale.

On attend le film, d’urgence !

Le camp des Saints, roman, de Jean Raspail, Robert Laffont éditeur, 329 p, 22 € (20,90 € sur www.quartier-latin.fr)

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