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Katiba, de Jean-Christophe Rufin : L’appel du Désert - Par Daniel Schwall - Librairie Quartier Latin Nice

Jean-Christophe Rufin est un homme hors du commun : médecin engagé au niveau de missions humanitaires, diplomate (actuellement ambassadeur de France au Sénégal), et auteur littéraire, et pas qu’à moitié : académicien, prix Goncourt …). Sans parler de son indépendance d’esprit qui fait parfois mauvais ménage avec ses fonctions diplomatiques… mais renforce sa crédibilité politique et littéraire.

Il nous avait habitués à de grandes fresques historiques (« l’Abyssin », « Rouge Brésil »…) et à des essais inspirés ( « Le piège humanitaire », « Un léopard sur le garrot ») dans des domaines où son activité professionnelle lui donnait qualité.

Avec « Katiba », il mélange en quelque sorte ces deux inspirations : il nous emmène dans le monde des fractions islamistes, dans le désert, dans l’époque, pour un thriller de la meilleure facture (on n’est pas loin de John le Carré ou des maîtres actuels du genre), à la suite de groupuscules militants et /ou crapuleux rêvant, préparant, finançant, commettant des attentats - bien sûr il n’est pas question ici de trahir l’issue.

Ce qui rend ce roman si palpable, si différent du thriller commercial, est dans la visible connaissance intime qu’a l’auteur du monde dans lequel évoluent ses personnages. Le roman se fait ainsi documentaire, et fait comprendre mieux que toute analyse formelle la partie impalpable des choses : le tissage tragique des destins personnels avec des causes qui les dépassent, la frontière toujours mouvante entre idéologie et crime organisé, entre besoin de subsistance et projet politique.

Katiba, c’est le nom d’une cellule de formation terroriste dans le désert. Nous sommes ici dans le Sahara à la lisière de l’Afrique occidentale, aux frontières de la Mauritanie. Jasmine, une jeune et fraîche émoulue fonctionnaire du Quai d’Orsay émerge comme un personnage plus complexe à chaque page, mais un personnage que nous pourrions tous avoir été ou devenir un jour au détour des aléas de la vie. Elle y côtoie des médecins engagés et espions, des militants intelligents et intriguants, et toujours, comme si souvent au centre des romans de Ruffin : l’Afrique. Tout le roman fait hommage au proverbe sénégalais qui ouvre le roman « Un chien a beau avoir quatre pattes, il ne peut suivre deux chemins à la fois ». D’autres personnages forts et crédibles peuplent ce roman à clé, sans que jamais le lecteur ne s’embrouille véritablement, dans un habile équilibrede scénariste.

Nous avons là une parfaite lecture de plage, mais aussi bien plus qu’il n’y paraît. Là où le journalisme atteint ses limites au travers de la nécessité de témoignages vérifiables et de faits bruts à rapporter, la fiction, qui utilise le virtuel pour stigmatiser la face cachée ou complexe du réel, nous offre une connaissance plus fine, plus émotionnelle. C’est donc que Rufin s’appuie sur la tradition des grands romanciers américains qui se documentent avant tout et sur chaque détail. Sa vision est éclairante et divertissante à la fois. Le terrorisme est abomination, mais autre chose aussi. Cette vision n’est pas rassurante toutefois : ce que décrit Rufin est une situation de dangerosité latente pour la paix dans le monde dont on ne voit pas vraiment comment dénouer les nœuds. Ce n’est pas le propos… ou si, justement ?

Jean Christophe Rufin, Katiba, roman, 392 p, Flammarion, 20€

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