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Chronique littéraire : Freud est-il la psychanalyse ?

On ne peut décidément pas l’ignorer : Michel Onfray a sorti un brulot contre Freud et la psychanalyse. Vu le tapage médiatique que cette sortie (dans tous les sens du terme) a provoqué, on peut se demander quel est le vrai sujet en question : Freud, la psychanalyse ou… Onfray ?

Des mises en cause de la psychanalyse , il y en a eu plus d’une : relire notamment « le livre noir de la psychanalyse » qui fait joliment le point sur l’ensemble des insuffisances et ambiguïtés de la thérapie telle qu’elle se pratique notamment en France.

Michel Onfray ne se limite pas à cela… en fait il n’aborde même pratiquement pas la question qui doit forcément se poser à la lecture de sa critique biographique du « grand Sigmund » : si Freud est un escroc, que reste-t-il de la psychanalyse ?
Et quantité de thérapeutes et théoriciens du divan de se récrier : notre « science », notre pratique existe, et depuis Freud, de l’eau est passée sous les ponts. Et d’ailleurs, Onfray est le premier à le pointer du doigt, Freud lui-même s’est largement servi d’ébauches de pensée analytiques des penseurs de son temps.
La confession catholique n’est-elle pas, à des siècles d’avance, la vraie invention qui compte en ce domaine ? Et la mise en scène judiciaire, notamment en matière criminelle, n’est-elle pas elle-aussi, par sa fixation sur l’aveu, la meilleure illustration d’un phénomène dont Freud n’est, finalement qu’un singulier artisan parmi d’autres.

La psychanalyse donc, ne mourra pas des insuffisances de Freud. Le fonds de commerce reste intact, peut même s’enorgueillir que, à la manière des saignées, ce débat revivifie la pratique et relance la thérapie du divan auprès d’un grand public qui s’était trouvé d’autres gourous.

Reste que le démontage de Freud par Michel Onfray est savoureux.

Il y a bien sûr le côté haineux de l’amoureux déçu qui perce de part en part – plus d’ailleurs dans les apparitions médiatiques de l’auteur qui sait comme un vrai politique mettre en scène sa pensée pour un public pressé et avide de scandale.

Mais on découvre quand même un univers de falsifications et d’à-peu-près qui font soit froid dans le dos soit sourire avec complicité– selon la foi qu’on a encore en soi sur le discours du monde.

Ce qui est indubitable et d’ailleurs peu contesté par ses plus fervents idolâtres, c’est que Freud a truqué, a menti, a arrangé ses résultats pour en tirer ce qui est donc une doctrine et non plus un début de science. Ce qui est éclairant aussi c’est que Freud mêlait intimement sa propre vie (sexuelle) à l’analyse qu’il prétendait objective de cas cliniques qui lui étaient plus ou moins proches. Pour reprendre un bon mot, la pensée de Freud, elle l’a plus pansé qu’il ne l’a pensée. Ce qui fait dire à Onfray que Freud s’occupe plus de lui-même que de ses patients et que ses écrits peuvent tout au plus le concerner lui-même – toute généralisation au genre humain étant dérisoire et abusive.

C’est plus qu’une polémique, c’est un livre qui induit une réflexion sur le rôle de l’erreur dans la science et dans l’histoire.

En l’occurrence il ne s’agit malheureusement pas de l’erreur du chercheur mais de l’aveuglement de ses suiveurs. Nous avons un peu perdu le philosophe des hédonismes dans l’affaire, encore que la révolte contre le dictat freudien ressorte bien sûre d’une forme de libération mentale certes salutaire. Mais si la critique « ad hominem » que représente l’ouvrage de Michel Onfray génère tant de débat, c’est bien que la psychanalyse, dans toutes ses chapelles même irrémédiablement opposées, tient évidemment plus que toute autre école de pensée ou « science » de son fondateur.

Le meurtre du père, en somme.

Le crépuscule d’une idole ; l’affabulation freudienne - Michel Onfray, 612 p, Grasset, 22 €

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