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Critique Littéraire : Écrire, Écrire et encore Écrire - En partenariat avec la Librairie le Quartier Latin à Nice

Rafaële Billetdoux est la fille de François Billetdoux et la liste de ses œuvres romanesques prend bien une page en exergue de cet opus mémorable. 1482 pages imprimées sur papier bible, un kilo et demi de documents, un monument à soi-même, une incroyable auto-flagornerie, voilà ce que je tiens entre les mains. La presse parisienne a trouvé un sujet : elle se gausse, elle admire, elle fait des phrases, et tout Saint-Germain y va de son appréciation de ce qui serait, ô gloire de l’édition contemporaine, un livre unique, du jamais-vu, une révolution dans l’écriture.

Une femme qui se prend pour assez importante, dans sa vie, son œuvre, ses émotions, pour rassembler tout le contenu de ses armoires, tiroirs et classeurs et nous l’étaler, avec une impudeur inouïe, que dis-je de l’étaler, non, de le claironner, de le faire imprimer, reproduire, transporter par des camions aux quatre bouts de la France en des dizaines de milliers d’exemplaires afin que de bons esprits se punissent à l’acheter et à le lire.

Rafaële Billetdoux

Mais on ne s’arrête pas à si bon compte ! Pour que cette misérable somme de bribes de vie ordinaire soit appréciée à sa juste valeur, notre Rafaële, devenue Marie pour l’occasion, allez savoir pourquoi, s’en est allé demander une subvention au Centre National du Livre , afin que le contribuable participe à l’effort littéraire énorme qu’elle se proposait de produire, et pour que donc, ce livre ne vous coûte que 31€ 50.

Et pour ce prix vous avez droit à tout, radicalement, tout les fonds de tiroir. Cela va de la correspondance avec son éditeur aux carnets de note de son fils, de ses litiges de locataire avec la copropriété à ses bouts de livre intime et, se gargarise-t-on, de sublimes lettres d’amour de et à feu Paul Guilbert, un de nos plus brillants journalistes au long cours, qui a partagé une bonne part de sa vie, malgré des velléités de secret sur cette liaison, de part et d’autre. Et bien sûr nombre de lettres à ma mère, extraits de critique littéraire (sur elle, bien sûr), pensées subalternes ou fondamentales, assignations en justice et je ne fais pas la liste exhaustive.

On imaginerait pareil travail de biographe posthume sur un personnage comme le Général, et là, on se dirait que l’Histoire jugera. Mais ici nous avons une femme qui après quelques prix littéraires et donc la fugace gloire de l’instant, prétend à « s’autobiographer » de la sorte et peut-être devons-nous attendre, redouter, espérer ?, un tome deux ?

Vous aurez compris que je suis un sacré réactionnaire pour ne pas voir le génie de l’entreprise : « tout sur moi-même ». Ah, sans doute est-ce trop difficile pour moi. Dans le même ordre de poids on a quand-même Zola, Hugo, Thomas Mann, Belle du Seigneur, Littell et la Bible.

Vous n’y êtes pas. Bien sûr, ce livre je ne l’ai pas lu. Je veux dire : pas dévoré, marqué les pages, plié, repris, résumé, rangé dans ma bibliothèque. Mais j’en ai lu assez pour voir ce qui peut fasciner dans l’ensemble : justement, le côté disparate, le coq-à-l’âne, la vie à l’état brut. Je feuillette, et puisque bien sûr je n’ai pas le projet de le lire en entier, l’ordre de mes arrêts sur image importe peu. Je consomme l’opus comme un dictionnaire, et j’y trouve le même ravissement. Lire ce qu’on ne cherchait pas, sauter cinquante pages, retourner en arrière trouver la source d’un développement... oui, si je pouvais m’imaginer que ce que je tiens entre les mains est un livre écrit, qui n’aurait pris que la forme d’un rassemblement d’archives mais qui serait la production d’un cerveau d’auteur... oui, alors là l’admiration me saisirait, et je me mettrais à relier les fils de cet écheveau pour topographier le labyrinthe littéraire qu’on me propose. Et 31,5 € sont décidément bien peu d’argent pour autant de substance.

Voila : c’est une question de point de vue. Le mérite de l’éditeur, Stock, Jean Marc Roberts, est de nous avoir donné un sujet de conversation. Un sujet de chronique. Et tant d’arbres meurent pour d’injustes causes, qu’on pardonnera sans doute la mort de ceux ayant fourni le Velin de ce livre-ci. Après tout, et peu importe que ce soit pour de mauvaises raisons, il s’agit d’un événement littéraire. Si le plaisir est au rendez-vous, pourquoi nous reprocherions-nous cette dose de voyeurisme, puisque l’auteur nous y a convié.... ?

C’est encore moi qui vous écris, Marie Billetdoux, 1482 p, Stock, 31,5 €

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