Aimé Césaire, le nègre inconsolé
En 1993, « Aimé Césaire, le nègre inconsolé » (Editions « Syros/Vents d’ailleurs ») est une biographie d’Aimé Césaire très riche, qui se termine par :
Dans son discours du 8 mai 1992, Aimé Césaire faisait déjà ce constat « Autrefois les choses étaient plus simples, car le combat était plus dur encore : c’était la guerre idéologique. Aujourd’hui, nous assistons au dépérissement des idéologies. Et ce qui intéresse les citoyens, ce sont les questions qui relèvent d’avantage du social, du quotidien... Nous avons jadis cherché à nous prémunir contre cela en proclamant la négritude et l’identité antillaise, en affirmant haut et fort ce que nous étions : Martiniquais, Hommes de couleur, Nègres... Maintenant, nous avons des moyens qui ne s’adaptent pas à notre situation, aux difficultés du peuple : plus que jamais, il est aliéné et il est aussi frustré. Frustré du passé, frustré de l’avenir, frustré de l’espoir. Sans perspectives, découragé, il est livré à n’importe quelle aventure. Il faut donc reparler au peuple, le redynamiser, indiquer l’ennemi à combattre . » Au moment où l’on crut, dans l’auditoire, qu’il allait conclure, il se ravisa : « Tout à l’heure, j’ai dit que j’ai été un semeur d’idées, c’est un peu prétentieux, mais enfin, même si je ne suis plus parlementaire, je continue à en avoir, des idées, peut-être des rêves. Bref, j’en ai quand même. Parmi les rêves il y a l’idée de la refondation de la Martinique. Ça c’est le rêve ; mais je crois qu’il est important d’avoir des rêves. C’est très grave si on a plus de rêve. Il y a une dynamique de l’utopie » (Fin de « Aimé Césaire Le nègre inconsolé »).
100 ans Cahier de mémoire
Et puis il y eut, pour le centenaire de naissance d’Aimé Césaire, éditée par « France Antilles », une brochure : « 100 ans Cahier de mémoire », dans laquelle, entre autres, Simonne eut sa page, intitulée « Un collier de silence, Portrait de Césaire enfant ». A propos du regard de la mère d’Aimée Césaire, Eléonore, couturière, sur son fils, elle écrit : « Celui qui ne fait pas tout à fait corps avec les autres. On le dit sauvage, solitaire, secret, bien trop grave pour un enfant. Aux jeux, il préfère souvent la compagnie des livres. Et se tourmente parfois. Il y a quelque chose en lui qui en impose. Elle (sa mère) ne sait pas trop quoi ; elle pressent seulement qu’il n’est pas ainsi par caprice. … » (SHV)
- Page de Simonne Henry Valmore sans « 100 ans Cahier de mémoire »
Martinique, terre d’exil
Et puis il y avait eu, dans « Portulan », en 1996, trois articles marquants de Simonne, dont un sur un autre personnage mythique reliant Afrique et Occident, Solange Adelola Falade, médecin, psychiatre, psychanalyste, l’une des plus proches de Jacques Lacan, et arrière-petite-fille du roi Béhanzin du Dahomey, intitulé « Martinique, terre d’exil », où, défait par la France, Behanzin sera exilé. Fin du XIXe siècle, l’expansion coloniale a commencé : « Tout au long de la côte des Esclaves, écrit Simonne Henry Valmore, les souverains africains tentent désespérément de résister à la pénétration coloniale. L’histoire est en marche. Les armes des conquérants l’emporteront inexorablement. Le fusil et le canon auront raison du coutelas court et du sabre. Behanzin fait savoir aux autorités françaises qui lui ont déclaré la guerre qu’il ne cèdera jamais son territoire. Le 2 mai 1890, à des otages français enlevés sur ses ordres à Ouidah et conduits au palais d’Abomey, il déclare : « Depuis plus d’un siècle, nos pays trafiquent en paix. Qui donc le premier a déclaré la guerre et pourquoi ? Moi et mon peuple nous résisterons jusqu’au bout et nous chasserons l’étranger de notre sol ». Et, très vite, c’est l’impasse. La France veut coûte que coûte conquérir le Dahomey, Behanzin veut sauvegarder l’indépendance du Dahomey. Mars 1892 : début de l’escalade. A Paris la Chambre des députés vote des crédits exceptionnels pour engager une nouvelle offensive. L’apprenant, Behanzin réaffirme sa volonté inébranlable de protéger les traditions qui ont fait la grandeur de son royaume. Il envoie le message suivant aux autorités françaises : « Si vous restez tranquilles, moi aussi je resterai tranquille et nous resterons en paix. La première fois, je ne savais pas faire la guerre mais maintenant je sais. Je suis le roi des rois et les Blancs n’ont rien à voir à ce que je fais. »
- Simonne Henry Valmore et son fils Romain
Malgré l’exceptionnelle organisation de ses forces militaires, formées de corps d’élite, de guerriers et d’amazones redoutables, Behanzin sera vaincu. En face de lui, nommé chef de l’expédition militaire, le colonel Dodds dispose de renforts, de munitions bien plus considérables. De fait, jamais le gouvernement français n’avait mobilisé autant de moyens. C’est qu’il s’agit d’anéantir un rebelle, un grand résistant. Les chroniqueurs souligneront l’exceptionnel courage des soldats du roi et des intrépides Amazones jetés dans une guérilla désespérée. Le 17 novembre 1894, Abomey en flammes tombe aux mains des Français. Le 25 janvier 1894, Behanzin décide de se rendre. Il adresse ce message à la France : « Allez leur dire que je ne leur ferai plus la guerre. »
Cantilène des adieux
Le grand roi revêt sa tenue d’apparat et s’adresse à ses proches. Il leur explique qu’il refusera jusqu’à la mort de signer le traité de protectorat « pour ne pas trahir l’idéal pour lequel tant de vaillants guerriers, tant d’amazones indomptables ont sacrifié leur vie sans hésiter ». Il évoque longuement ses compagnons disparus, leur rend hommage et, pour ses fidèles, ses guerriers, ses amazones réunis autour de lui, il chante. Cantilène des adieux ».
- La mère de Simonne, Marie-Thérèse Baudin, et son frère Maurice Joseph qui fut Substitut du Procureur à Paris
Behanzin prend le chemin de l’exil, prend la mer croyant aller à Paris discuter avec le président de la République, mais il est trompé, il faut le déporter loin pour pouvoir s’emparer de sa terre. Le gouverneur Victor Ballot, blanc créole de la Martinique propose cette dernière comme lieu d’exil. Le 30 mars 1894, quatre ans après son avènement au trône d’Abomey, Behanzin arrive à la Martinique, au Fort Tartenson. Il y restera douze ans, réclamant sans cesse son trône, la France restant sourde. En avril 1906, il quitte la Martinique sur un paquebot qui s’appelle La Martinique, non pour son pays, mais pour Alger. Découragé, vieilli, malade, il meurt à Blida le 10 décembre 1907. Treize ans plus tard, ses cendres seront rendues au Dahomey, sur le souhait répété de son fils Ouanilo, jeune avocat à qui il a dicté ses mémoires pendant son incarcération. « Ironie du sort ? Ce fils déraciné, partagé entre deux mondes, entre une Afrique qui lui est devenue étrangère et une France d’adoption, ne survivra pas aux funérailles du père. Sur le bateau qui le ramène du Dahomey vers la France, il trouve la mort ».
L’amour de la vérité
Mais l’une des descendantes du roi Behanzin est Solange Adelola Falade, sur laquelle à diverses reprises Simonne Henry Valmore a écrit des commentaires éclairés. Son second article du numéro de février 1996 de « Portulan » lui est consacré, sous le titre « L’amour de la vérité » :
S’il fallait présenter Solange Adelola Falade, s’il fallait la faire connaître ou reconnaître, le mieux serait de la resituer à l’intérieur du mouvement psychanalytique, autrement dit, pour s’en tenir à la lettre, d’aller au texte.
Deux ouvrages, entre autres, font autorité en la matière : d’une part « La Bataille de cent ans, Histoire de la psychanalyse en France 19251985 », d’autre part « Jacques Lacan, esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée ».
J’ai fait le décompte, pour me prêter au jeu, du nombre de fois où elle est citée, soit au total vingtsept occurrences. Lorsque l’auteur de ces ouvrages, Élisabeth Roudinesco, cite Solange Adelola Falade, c’est avec le plus grand respect pour sa personne et pour son travail. A titre d’exemple, la page 425, au volume Il de « L’histoire de la psychanalyse en France » : « Trois disciples restent les préférés du docteur Lacan, Serge Leclaire qu’il continue d’aimer passionnément, Mustapha Safran qu’il considère comme un superbe clinicien et dont il donne l’adresse chaque fois qu’il conseille une cure à un proche, Solange Falade, sa confidente. Un Juif, un Arabe, une Africaine. Ce choix illustre bien l’universalisme lacanien. »
- Numéro de « Portulan » (Février 1996)
Ces livres n’étaient pas encore publiés quand j’ai rencontré Solange Adelola Falade. Sans faire la genèse complète de cette rencontre, je dirai qu’elle est venue s’inscrire dans la logique de mon chemin d’exil, en un temps où je dialoguais avec mes compatriotes martiniquais et guadeloupéens immigrés. Toute une année, en effet, je me suis lancée non sans naïveté dans une aventure quelque peu périlleuse. Chaque vendredi à la même heure, sur les ondes d’une radio dite libre, je parlais de psychanalyse à des auditeurs qui ne m’avaient rien demandé et qui pour la plupart savaient où aller, qui voir, quand le malheur au malheur s’ajoutait, quand la souffrance psychique devenait trop douloureuse. A déranger les dieux de la cité, on s’expose. Un jour est arrivé ce qui devait arriver : un auditeur timide puis un autre qui l’était beaucoup moins me demandèrent des comptes. Pourquoi parler de psychanalyse ? La psychanalyse ce n’est pas, disaientils, notre affaire. Elle ne concerne pas les Amériques noires. Elle ne concerne pas l’Afrique.
- La Bibliothèque Schœlcher (Capture d’image d’une émission d’Antilles TV 2004)
Lorsque j’entends Solange Adelola Falade rappeler l’universalité de la psychanalyse, lorsque je l’entends évoquer ce fait, à savoir que les populations noires se sont souvent demandé si elles étaient concernées par l’« Œdipe », il me semblait entendre l’écho des arguments avancés sur les ondes de cette radio dite libre en 1988.
1988, c’est aussi l’année où j’ai rencontré Solange Adelola Falade. Elle m’avait donné rendezvous à son cabinet médical. Rue « Las Cases ». Un nom chargé d’histoire. Dans son bureau, l’incontournable divan des séances mais aussi la présence obsédante de l’Afrique. Les masques et les sculptures m’autorisèrent d’emblée à parler de ce qui me préoccupait : la singulière expérience du déracinement. Et c’est avec naturel que Solange Adelola Falade me fit part, en retour, de son arrachement précoce à l’Afrique : « J’avais neuf ans quand je suis arrivée en France, c’est un peu tôt ! » En prenant congé d’elle ce jourlà, je ne pus m’empêcher de souligner le nom de la rue. « Las Cases ». Elle me répondit en souriant : « Oui, parce qu’il y a des cases chez nous. » Je ne saurai dire combien j’ai apprécié ce « chez nous », qui rapprochait magiquement mes Antilles de son Afrique.
(A suivre)
Photo de Une : Couverture de « Aimé Césaire, le nègre inconsolé » (Editions « Syros/Vents d’ailleurs », 1993 et 2002)
Retrouvez toutes les parties :
Chapitre 71 : Simonne Henry Valmore (Part I)
Chapitre 71 : Simonne Henry Valmore (Part II)
Chapitre 71 : Simonne Henry Valmore (Part III)
Chapitre 71 : Simonne Henry Valmore (Part V)