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Chronique Littéraire : Aubenas, Wallraff et les autres …

Il est difficile d’échapper à l’ouragan « Aubenas » : paru le 18 février dernier, « Le quai de Ouistreham » s’avère déjà comme LE phénomène éditorial de ce début d’année 2010.
Et à juste titre ! Florence Aubenas, que tant de gens connaissent depuis son « aventure » d’otage en Irak, n’arrête pas de rebondir. Un grand reporter qui se lance dans le plus petit des mondes, celui des moins que rien, celui des « invisibles », celui des innombrables tacherons de ce monde, qui, en France, naviguent entre sans-papier et RMI ( pardon, RSA), entre CDD et Pole emploi, entre frigo vide et assistante sociale. Ils sont des millions à faire une, deux heures de route pour à peine autant de temps de travail, au SMIC. Bref, Florence est allée là ou était allé naguère Günther Wallraff, cet autre journaliste de l’indicible, Turc en Allemagne. Et elle en a ramené un récit qui ne se parcourt pas, mais qui se lit de bout en bout avec émotion, avec rage, avec consternation. Oui, c’est en France, c’est aujourd’hui, et c’est le quotidien de milliers de femmes de ménage.

Pendant six mois Florence est allée en Normandie, avec un CV « sans qualification », une identité de femme larguée, chercher du travail, n’importe quel travail, du travail, de quoi vivre un peu. Et elle raconte : la galère, pole emploi, les collègues, le travail, le regard des autres. Regard sur une caste invisible à défaut d’être intouchable, les prolétaires de notre temps.

Florence Aubenas
dr

Florence Aubenas ne dénonce pas sur le mode revendicatif. Le constat nous est laissé à faire : il est triste, réaliste, sans grand espoir. Le livre de Florence Aubenas est autre-chose qu’un reportage. C’est une œuvre. Ne fût-ce la criante actualité, on dirait : un roman, tant la fiction parfois dépeint mieux le réel que le récit. Il y a du Zola chez cette femme-là, et ce succès de librairie est de bon aloi pour notre époque. Se pourrait-il que nous soyons capables de réveil ? Pouvons-nous percevoir, au-delà de la commisération, l’enjeu fondamental que soulève l’existence, aujourd’hui comme il y a un siècle, d’un « Lumpenproletariat » dont se nourrit quasiment voracement la société qui se montre.

De ce livre, des images fortes restent en tête. Et le moindre mérite de Florence Aubenas n’est pas d’avoir su faire oublier, dans ses six mois de vie clandestine comme dans son écriture alerte et sensible la journaliste vedette qu’elle est. On ne sent pas la parisienne, on ne sent pas la star. Et les innombrables interviews qu’on lit, entend et voit en ce moment dans la promotion du livre confirment un sentiment diffus que la lecture a semé : cette femme n’est ni une sainte ni une esbroufeuse. Elle est nous, elle a vécu, elle nous aide à voir avec les yeux et avec le cœur.

Dans les semaines qui viennent parait d’ailleurs, à La Découverte, un autre ouvrage de la même veine : de Günther Wallraff, précisément, « Parmi les perdants du meilleur des mondes » , un recueil de 8 reportages dont le titre aurait bien pu faire le sous-titre de celui d’Aubenas…

On est peut-être seul dans la misère, mais on n’est plus seul pour en parler….

- Infos pratiques
- Florence Aubenas, « Le quai de Ouistreham », L’olivier éditeur, 269 p, 19 €
- Günther Wallraff, « Parmi les perdants du meilleur des mondes », à paraître, La Découverte, 19 €

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