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Écrits d’ici, deuxième… : (Suite et à suivre)

La littérature « pan-bagnat » se porte bien, mais certains s’en extirpent. La littérature contemporaine niçoise est donc riche d’écrivains à bon tirage, scénarisés, cinématographiés et célébrés, et même allés de l’Avenue des diables bleus ou de la Place Île de Beauté aux prix académiques, ou, étrange itinéraire, de Garibaldi et la République jusqu’à Richelieu. Mais jusqu’ici les femmes étaient peu présentes.

Ces dernières années, quelques écrivaines s’illustrent en colonnes spécialisées et magazines généralistes, et sans doute serons-nous un jours concitoyens glorifiés d’une Académicienne. Il est vrai que pour l’instant nos femmes de lettres, les Maryline Desbiolles, Claire Legendre, Olympia Alberti, les poétesses Béatrice Bonhomme, Régine Lauro, Sophie Braganti, Cathy Rémy et autres écrivaines, j’oublie sans doute les meilleures, ont les dents encore trop blanches et la chevelure trop brillante et fournie pour briguer un fauteuil en la Vénérable Compagnie. Elles écrivent, publient, animent de leurs lectures et signatures Festivals, Salons et librairies… À Mouans-Sartoux, tous les octobres, les stands en sont moins barbus et moins austères.

Quelque chose dans le ventre

« Quelque chose dans le ventre », le premier livre de l’auteuse que je viens de lire, (j’emploie à dessein ce féminin, car…) a été publié par « Côté Femmes Editions » en 1991. Françoise Laurent se délivrait alors d’un texte un peu bricolé, récit-témoignage et non pas roman, et comme tel plutôt efficace. Depuis l’écriture, son style et le genre ont évolué. Il ne semble pas qu’avec son dernier roman (éd. Krakoen), portant un nom de femme, « Dolla », version latine je suppose de la Dolly anglo-saxonne, Françoise Laurent ait eu l’intention de briguer l’abri du célèbre Dôme. Françoise Laurent auteur de Dolla Il s’agit d’une histoire abracadabra-dantesque de retraités soixante-huitards bien secoués par les ans. Pas de ceux qui ont fait carrière, d’ici delà, de gauche à droite, mais des gauchos guère pensifs, plutôt tendance guitares-pétards-performances-paillettes.
[ Ah ! Fatigue. Soixante-huit ! Qu’en a-t-on fait ! Mère des fictions ! Sous les pavés, les rêves ! Comme s’il avait existé, boîte de Pandore d’où seraient sorties toutes les idées fast-foods, un objet 68 autre qu’une année entre soixante-sept et soixante-neuf. Comme si le féminisme n’avait pas agité le 19ième siècle, participé vivement à la « Commune », comme si le « Front Popu » n’avait jamais eu lieu, comme si Dada et Surréalisme n’avaient pas existé. Comme si le symptomatique Victor Margueritte n’avait publié en 1922 « La Garçonne », une génération avant l’importante compilation de Simone de Beauvoir et ainsi perdu à grands bruits sa légion d’honneur… : « Abstenez-vous dans une affaire qui passe infiniment votre compétence » écrivait Anatole France dans sa « Lettre ouverte à la Légion d’Honneur ». Fictions dans la fiction. Car si sur cinq cents mètres de boulevards le Surréalisme s’est exprimé avec plus de force que les trotskistes ou les maoïstes conjugués, si une grève générale qui rappelait 1936 faillit priver d’essence et de vacances ceux qui en avaient les moyens, l’ordre régnait sur les plages durant l’été 68. Ce fut un mai roulement de tambour dont les idées s’étaient forgées pendant des décennies : le mur des Fédérés ne sentait pas le shit, mais la poudre noire des cartouches. Mais, bien sûr, tout cela n’a, évidemment, rien à voir avec la fiction qui ici nous occupe.]

Revenons à nos moutons noirs, couleur polar.

Nous serions dans un futur proche de quelques lustres. Il s’agit d’un roman dans lequel s’accentue la tendance à faire appel à l’histoire-fiction pour décrire finalement… notre temps en traits d’encre de chine. Stratégie déjà adoptée dans de précédents ouvrages, notamment « Une dent contre les fraises » (éd. Du Ricochet), histoire de dantesque dentisterie (Côté Enfer). Dans le dernier livre, en un décor local, l’écriture caricaturiste retrace les péripéties rocambolesques d’un groupe de post-seniors qui, pris dans leurs rêvasseries, pour n’avoir finalement rien compris à leur temps (ou pas voulu comprendre) en viennent aux solutions radicalement extrémistes des fondamentalistes kamikaze human-bomb de tous bords. Nous dirons, Nice oblige, que c’est un récit baroque carnavalesque, plutôt Daumier ou Mossa que Gide ou Matisse. Donné par l’éditeur comme « une fiction pleine de tendresse », avec son panorama de gentils délirants, de traîtres, et de meurtriers, ce roman se révèle d’une incroyable férocité, tant pour son époque que pour ses personnages qui, découpages à la tronçonneuse aidant, finissent par être surtout à l’image des plus poujadistes ou médiocres parmi nos contestataires contemporains. Plutôt nuisants, brouillons, ces meufs et leurs mecs, et… démoralisants. « Fable sociale » ? Nous, on voudrait bien, mais où en est le moral et la morale, quel que soit le sens donné à ces mots ? Pas, comme on pourrait l’espérer, aussi bête et méchant qu’un hebdo !
Paraît même, quelqu’un m’a dit, que c’est rigolo. Tout dépend avec qui l’on rigole…

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