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Fin de cet événement Novembre 2018 - Date du 19 mai 2018 au 1er novembre 2018

" Tissage, Tressage ... Quand la sculpture défile " à la Villa Datris

En 2018, la Fondation Villa Datris explore pour sa 8ème exposition l’art textile, le tissage et le tressage. La villa et ses jardins exposent plus d’une centaine d’œuvres de 74 artistes.
En marge d’une entrée gratuite, la Villa Datris organise des visites guidées, des visites ludiques ou encore des ateliers de création pour les enfants, tout au long de l’été.

« Il essayait de rassembler les fils écarlates de sa vie et d’en tisser un motif, de trouver son chemin dans le labyrinthe excitant de la passion où il errait. »
Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray

Nick CAVE, Soundsuit, 2011 © Nick Cave - Photo by James Prinz Photography. Courtesy of the artist and Jack Shainman Gallery, New York

Depuis la nuit des Temps, le fil fascine et inspire les artistes et poètes, et la mythologie n’a cessé d’en dérouler les mystères : l’implacable fil des Parques ; celui de la toile de Pénélope, qui rime avec infini, ou encore le fil d’Ariane – pour qu’enfin Thésée trouve l’issue du labyrinthe... Il peut aussi devenir noeud, imbroglio, énigme, noeud gordien ou boucle de Moebius.

Pour sa 8ème exposition, la Fondation Villa Datris a choisi d’explorer les différents modes d’expression de la sculpture contemporaine à travers l’art textile, le tissage et le tressage, en présentant 104 oeuvres de 72 artistes.

Cette thématique, qui tire ses racines dans les pratiques universelles et ancestrales, évoque naturellement les gestes sur le métier à tisser, la trame et la chaîne, le-va et-vient de la navette et les fils qui s’entrecroisent et donnent corps à la matière textile.
Les artistes de notre temps puisent dans ces gestes immémoriaux une approche sensible et sensuelle de la matière, des fibres, fils ou brindilles ainsi croisés et assemblés. La démarche du tissage ou du tressage bouscule les paramètres modernes de l’urgence et réintroduit une autre temporalité. On assiste à une reconquête de gestes ancestraux, souvent associés à
la femme (broderie, tissage, tressage minutieux) ou à l’homme (vannerie, métier de haute lice).

Ce travail de la main, corrélé avec la perception de l’ouvrage et du temps, introduit une véritable réflexion sur la notion d’artefact, en prolongement des recherches modernistes menées par le Bauhaus dans les années
20 et 30. Souvent proche de l’esprit de l’Arte Povera, il induit un retour au dénuement des origines, avec des matériaux modestes ou de récupération.
Faisant pleinement appel aux sens, la texture est primordiale dans ces oeuvres élaborées avec des fibres naturelles ou issues des productions industrielles, qui peuvent être extrêmement diverses : laine, soie, coton, ficelle, tissu, crin de cheval, osier, herbes, lianes, fils synthétiques, métal... Il y a une pratique intuitive, instinctive dans de nombreuses pièces, où les fils enchevêtrés jusqu’à l’oppression et les lambeaux de tissus constituent des objets étranges et troublants, entre rites et magie, fétiches et amulettes, qui sont aussi une pure révélation de l’inconscient.
Pour certaines artistes femmes, l’ouvrage textile devient parfois un outil de revendication qui détourne les codes de la broderie, du crochet, des travaux d’aiguille pour y faire passer leurs messages. Ainsi, en cette année du cinquantenaire de Mai 68, l’art textile peut être considéré comme l’emblème d’un nouvel engagement et d’un nouveau langage pour de nombreuses plasticiennes de la « génération X » qui y expriment leurs valeurs, et
revendiquent comme un art à part entière une pratique longtemps assimilée à de l’artisanat.
Aboutissement du tissage, le tissu est enveloppe et protection, en étroite relation avec le corps, à la fois seconde peau, voire métamorphose à travers le vêtement, l’ornement ou la parure. Ces vêtements sculptures d’apparat deviennent alors des véritables compositions monumentales.

Returned from the Amazons, returned from East, returning to bring beauty
of their flowers in jungles sewn, returning with animals from the “altar of
afar” with samples of people, furnishings, sugar and clove, spicing...
2016 / Rina Banerjee
Collection privée , Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles - Photo © Tutti image

Cette année, l’exposition comprend également neuf oeuvres ou installations produites spécialement par les artistes suivants : Olivier Bartoletti, Lilian Bourgeat, Aude Franjou, Mireille Fulpius, Amélie Giacomini & Laura Sellies, Rodrigo Matheus, Edith Meusnier, Elena Redaelli, Yzo.
Fascinante itinérance dans l’art textile et le fiber art, l’exposition Tissage Tressage confronte des oeuvres historiques comme cette magnifique tapisserie en laine de Sonia Delaunay, Automne, les Crins de cheval de Pierrette Bloch ou The Third Sister de Magdalena Abakanowicz, oeuvre brute et sombre en fibres végétales tissées à la main. En contrepoint, on découvre Josep Grau-Garriga, ...I Ia mort també, (...Et la mort aussi), très belle oeuvre en laine et fibres synthétiques, sublimation de la brutalité de la plaie, ou Ernesto Neto, Seedgaia, oeuvre en suspension en crochet en voile de coton. Avec El Anatsui, Disclosures, oeuvre en aluminium et cuivre, se déploie la noblesse des matériaux “pauvres” transfigurés, devenus somptueux, tandis que Caroline Achaintre livre une composition primale, dense et singulière, Brutus, en laine tuftée à la main.
La création des artistes femmes est aussi très présente, dans sa diversité : l’élégance bariolée des pièces de Joana Vasconcelos, non sans humour avec Robinette, crochet en laine sur lavabo en céramique, ou Annette Messager, Tentation, étrange composition de fils de fer, filet, tissus, peluche. Marinette Cueco invite à la méditation avec un sublime Tondo élaboré avec des entrelacs de fibres végétales, pleinement en phase avec la magie des évocations de Simone Pheulpin, sculptures textiles si suaves en coton, Croissance I, et Anfranctuosité VI. Dans un autre registre, toute aussi captivante est l’obsession des Poupées rituelles ligotées de Judith Scott, en fil de laine et tissu sur armature, oeuvre d’art brut, à la fois fétiche et cocon mystérieux.

Avec Leonor Antunes, The Lacquer screen of E.G., on retrouve la captivante apesanteur d’une oeuvre suspendue, en laiton et câble en acier, alors que Faig Ahmed, propose une version inattendue du tapis avec Geometry Pattern 1, oeuvre animée d’une vie qui lui est propre. Meschac Gaba revisite à sa manière les parures et perruques processionnelles, avec Les Frères Wright, tout comme Nick Cave avec ses personnages baroques et tribaux, offrant une performance sonore, Soundsuit, élaborés avec des perles et des passementeries de sequins, ou à base de tissus afghans, d’une puissante charge évocatrice.
En redécouvrant intuitivement ces techniques séculaires issues du tissage et du tressage, du fil et du textile, les artistes contemporains donnent à ces pratiques une véritable pertinence contemporaine, en lien avec les préoccupations environnementales et sociales.
Apportant également un vaste terrain d’expérimentation à leur créativité, elles ouvrent un nouvel horizon à la sculpture de notre temps.

SUIVEZ LE FIL

« Tissage Tressage... quand la sculpture défile » propose de dérouler un fil à travers l’histoire du tissage dans l’art contemporain. Ce fil vient s’inscrire dans tous les corridors de la villa pour entrelacer les thèmes et les espaces de la Villa Datris.

- TRADITION ET MODERNITÉ : un artisanat élevé au rang d’art

TBT 2018 / Sheila Hicks Photo © Claire Dorn

L’art textile, en particulier la tapisserie, a brillé du Moyen Âge aux arts
décoratifs du XIXe siècle. Toutefois, son introduction dans le monde moderne débute dans les années 20, avec des pionnières comme Sonia Delaunay, en France, ou Anni Albers, en Allemagne puis aux États-Unis. Elles s’approprient les savoir-faire traditionnels (gestuelles, techniques, couleurs, textures) pour les sortir des arts décoratifs et les inscrire dans une réflexion artistique abstraite. Dès la fin des années 50, Sheila Hicks, pétrie des enseignements du Bauhaus, ou encore Magdalena Abakanowicz vont l’introduire dans la sculpture. Leurs visions sont renouvelées par des artistes
contemporains comme Dewar & Gicquel et Caroline Achaintre, Odile de Frayssinet et Ariana Nicodim.

- INTIMITÉS EXPOSÉES : les arts féministes dans l’art contemporain

Hum ! 2013 / Cécile Dachary Courtesy de l’artiste - Photo © Cécile Dachary

Dans les années 60-70, les femmes artistes comme Raymonde Arcier et Annette Messager entrent en lutte pour être reconnues au même titre que
les hommes. Pour proposer leur vision de la féminité, elles vont privilégier les arts de faire considérés comme mineurs par la culture artistique
essentiellement masculine. Les pratiques de tisser et tresser, liées autrefois à l’intime et au domestique, entrent dans l’espace d’exposition, et au-delà, dans le vocabulaire artistique contemporain. Les artistes jouent sur la narration d’un quotidien inquiétant comme Laure Prouvost ou Romina De Novellis et sur une féminité sexuée affirmée et dérangeante, comme Elodie Antoine, Céleste Castelot, Cécile Dachary et Sonia Gomes.

- SUR LE FIL : les années 50
L’art textile sort de la tapisserie décorative pour brouiller les pistes entre 2D et 3D. Depuis les années 50, les femmes artistes abordent l’art minimaliste
et abstrait avec une pratique épurée du fil. Elles dessinent l’espace - Pierrette Bloch, en (dé)nouant la délicatesse du fil, Marinette Cueco en mettant en tension des tiges végétales.

- FIL ORGANIQUE
Sous la main des artistes, le textile prend vie grâce à sa souplesse et sa porosité et part à la conquête de l’espace, grâce aux travaux d’artistes, comme Josep Grau-Garriga et Jagoda Buic, figures de la « Nouvelle Tapisserie ». Le textile devient organeobjet chez Fabrice Hyber, se plisse en sculpture chez Simone Pheulpin, et devient chez Agnès Sebyleau et Hanne Friis une membrane organique.

Oiseau de feu - Hommage à Stravinski 1977 / Jagoda Buic Collection des Musées d’Angers. Photo © Musées d’Angers, F. Baglin

- IDENTITÉS TEXTILES
Le textile, en devenant habit, symbolise le corps et son travestissement. Il danse avec Nick Cave, porte en mémoire des événements avec Meschac Gaba, transforme en chasseur avec Jacin Giordano. Audelà du corps, l’art textile permet des glissements sémantiques d’objets familiers, locaux ou identitaires pour racommoder le monde, comme chez Faig Ahmed, Joana Vasconcelos, Pascale-Marthine Tayou ou encore El Anatsui.

- VERNACULAIRES
De tous temps, l’homme célèbre la nature en reproduisant ses formes. Les tressages de nids, de toiles ou encore de lianes inspirent les artistes comme Maria Nepomuceno, Ernesto Neto, Rina Banerjee et Adeline Contreras. Ils invoquent des mystiques séculaires et les cultures premières, proche de l’animisme pour trouver un nouvel ordre au monde.

Pourquoi pas 2012 / Joana Vasconcelos Courtesy Joana Vasconcelos & Galerie Nathalie Obadia Paris / Bruxelles - Photo © Tutti images

- CORDÉES : minimalisme et art pauvre
Le fil et la corde proposent une gestuelle et un tracé épurés. Présentées brutes, prises dans une gestuelle quotidienne et minimaliste chez Claude Viallat ou Christian Jaccard, les cordes s’entrelacent et se figent chez Judy Tadman et Phyllida Barlow. Renouer avec ces matériaux pauvres s’inscrit dans le folklore et les traditions et forme l’éloge du ralentissement du temps et de la décroissance.

- FOLIE DU FIL : l’influence de l’ art brut
Le fil s’enroule ou se tricote. On retrouve déjà des objets enveloppés de textiles dans les cultures anciennes, de l’Egypte Antique à la culture vaudou.
Pour Pascal Tassini et Judith Scott, l’acte d’emmailloter est une manifestation de leurs troubles obsessionnels. Ces gestes d’Art Brut, entre l’embrasse et l’étouffement, entre la protection et l’appropriation sont repris par les artistes tels que Cathryn Boch, Manish Nai, ou Alice Anderson. Ils appellent à la catharsis, à la magie ou l’acte mystique.

- TISSER LE MONDE
Tisser et tresser multiplient les dimensions, croisent le passé avec le présent et nous font revoir nos interfaces au monde. De l’art figuratif d’Alexandra Kehayoglou aux objets mis en tension de Chiharu Shiota, de la fenêtre au monde d’Ifeoma Anyaeji au tissage narratif de Amélie Giacomini & Laura
Sellies, du costume de Stéphanie-Maï Hanuš aux figures tressées de Nicole Dufour, le travail artistique du fil met la théorie des cordes, qu’utilise la physique quantique, à l’oeuvre. Voir les trajectoires en forme de surface tubulaires et non de lignes bidimensionnelles a transformé notre perception de l’Univers et en intègre toute sa complexité.

Les jardins des Pénélopes


Les jardins de la Villa Datris permettent aux artistes de donner libre cours à leur imagination en leur proposant une topographie animée de bosquets et de végétation enchanteresse, associé au murmure des eaux vives de la Sorgue. Certains artistes sont même invités à produire in situ leurs installations ou compositions, en symbiose étroite avec les arbres et la belle nature de la Villa. Cette année, 14 artistes sont exposés en extérieur : dans les jardins, au bord de la Sorgue ou sur les façades de la Villa.

Véronique Wirth / Antonella Zazzera © Photo : Franck Couvreur

L’art de tresser, sorti du carcan de l’intime, devient monumental avec Elena Redealli, Mireille Fulpius et Lilian Bourgeat. Tisser peut être une trame à l’infini comme dans le travail d’Olivier Bartoletti ou de Rodrigo Matheus. Cette pratique devient une manière de renouer avec le monde naturel. Empreintes des traditions religieuses de par le monde, Awena Cozannet, Aude Franjou et Véronique Matteudi inscrivent leur travail dans ou avec le végétal. Les oeuvres métalliques de Nadya Bertaux, YZO, Odile de Frayssinet, Adrienne Jalbert, Véronique Wirth et Antonella Zazzera condensent, en immersion dans le jardin, la force d’un artde faire féminin, venu briller en art majeur.
Dans ce jardin de sculpture accueillant et à taille humaine, une scénographie particulière sera présentée cette année, composée d’installations in situ intégrées dans un univers végétal et soumises au climat provençal.

Le Coeur du figuier 2018 / Aude Franjou Courtesy de l’artiste

Photo de Une : Awena Cozannet / Adrienne Jalbert / Antonella Zazzera / Olivier Bartoletti © Photo : Franck Couvreur

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