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Tigres et vautours, Yang Pei Ming à Avignon (Palais des Papes et Fondation Lambert)

Deux lieux pour exposer un peintre remarquable pour son expressivité et sa parfaite maîtrise de la matière. Natif de Shanghai, remarqué très jeune pour son talent de portraitiste, il vit depuis 1980 à Dijon où il a étudié et obtenu son diplôme des Beaux-Arts.

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A coups de larges brosses dégoulinantes de peinture grise, mélanges complexes de noirs et de blancs parfois mêlés avec fougue de rouges ou de bleus, il attaque de grandes toiles pour faire naître d’un chaos apparent des visages puissamment expressifs. «  Peindre, dit-il, c’est enterrer et faire naître en même temps ».

Pour la grande chapelle du Palais des Papes, il a peint sur un mur trois œuvres monumentales à son effigie.

Au centre, il s’est représenté en pape à soutane blanche, et de chaque côté, dans sa tenue de peintre en colère, en tous cas, très mécontent (photo de Une).
L’exubérance excessive de ses autoportraits se veut provocatrice, sans concession.
Il ne craint pas non plus de se projeter en Christ de douleur contemplant sur sa droite un immense paysage infernal peuplé de chauves-souris émergeant de grottes profondes venues pour envahir le monde - Les papes d’Avignon en auraient été effrayés…

La collection Lambert présente une rétrospective de ses œuvres qui rassemble de très nombreuses toiles et peintures sur papier de toutes dimensions.

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La douceur du visage de sa mère ©AA

Un ensemble important de portraits d’enfants, peints semble-t-il à toute allure, montre l’extraordinaire complexité des émotions qu’il arrive à faire émerger en quelques coups de pinceaux vigoureux et rageurs. C’est violent, d’une exubérance agressive, on sent qu’il est habité par ce qu’il peint.
L’agressivité est également présente dans ses scènes sexuelles dont la couleur choisie, le rouge, accentuent la violence.

En contrepoint, le portrait de sa mère nous montre que le peintre peut être aussi d’une grande tendresse.

Les traits doux et les yeux profonds et interrogateurs de sa mère semblent s’étonner que son fils ait besoin d’exprimer une telle force agressive et même au-delà, une pulsion de mort qui lui fait peindre les portraits de Che Guevara ou de Martin Luther King d’après les photos prises après leur assassinat.

Yan Pei-Ming a cédé lui aussi à la fascination du pape Innocent X, immortalisé par Francis Bacon* d’après Velasquez.

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C’est cette interprétation par Francis Bacon qui l’a troublé, il y a retrouvé son propre besoin d’agressivité, sans malgré tout atteindre la fureur exprimée par Bacon.

Il le reconnaît d’ailleurs : « Réinventer Velasquez sans copier Francis Bacon, s’est avéré très difficile  ». Peindre, c’est également s’inscrire dans une relation avec des œuvres qui l’ont marqué.

Deux portraits de sa petite série consacré au pape sont présentés : un en noir, un en rouge.

Il en existe d’autres : en vert, et notamment un en bleu où le c’est le fauteuil qui se dissout au sein dans les grands mouvements gestuels qui animent le fond.

Trois tableaux représentant des tigres effrayants viennent conclure dans un émerveillement mêlé de frayeur cette exposition qui laissera une trace dans les mémoires

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Note

*On pourrait se demander pourquoi ce pape a tant marqué Bacon qu’il en a fait plus de quarante-cinq copies (entre 1949 et 1965). Alessandro Zinna, auteur de l’article : «  L’obsession de Bacon pour le pape de Vélasquez  » propose une interprétation psychanalytique : ce pape (papa), à l’apparence solitaire, serait en train de crier à la figure d’un adolescent nu disposée devant lui et cachée dans le rideau… Cette image renvoie à un vécu du jeune Francis face à son père qui l’a découvert porteur de sous-vêtements de sa mère et l’a renvoyé du domicile familial.
C’est l’effroi de son père le découvrant qui l’a frappé et qu’il a eu besoin de reproduire tant de fois pour s’en défaire.

Photo de Une : ©AA

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