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SIERANEVADA De Cristi Puiu

Un regard critique sur ce long-métrage sélectionné au festival de Cannes, par Caroline Boudet-Lefort.

D’abord le titre intrigue avec ses fautes (en un mot et avec un « r » en moins). Il a sauté à l’esprit de Cristi Puiu pour qu’il ne puisse être traduit en aucune langue et qu’ainsi il lui appartienne.

La coutume roumaine veut que, 40 jours après un décès, les membres de la famille du défunt se rassemblent pour lui dire adieu au cours d’une cérémonie de deuil. Afin d’honorer un patriarche récemment disparu, de nombreux personnages – famille et proches voisins – se réunissent dans un appartement de Bucarest que la caméra ne quittera que pour une scène extérieure de violente querelle autour d’une voiture mal garée. Tout autant que le huis clos de l’appartement, cette scène exprime l’état lamentable de la société roumaine après des décennies de dictature.
Posée dans le couloir au milieu de l’appartement bruyant et enfumé, la caméra se permet de pénétrer dans toutes les pièces qui l’entourent, avant de revenir dans le vestibule. Partout des personnages bavards et chaleureux s’affrontent dans un pugilat intergénérationnel. Les portes s’ouvrent et se ferment... L’appartement serait le reflet d’un monde en déliquescence et surtout de la Roumanie où la corruption règne.
On attend l’arrivée du pope qui doit bénir le repas pour enfin passer à table. Cette attente s’éternise en un ballet hystérique où chacun invective l’autre. Durant près de 3 heures – c’est quand même un peu long ! –, le cinéaste filme avec virtuosité ce huis clos étouffant et ce va-et-vient agité de la famille où tous s’invectivent en règlements de compte familiaux et en luttes de pouvoir. Toutes les rancoeurs familiales s’étalent en insultes et colères. Certains rient, d’autres pleurent. Les enfants s’agitent, s’énervent, braillent... Le personnage central est le fils du défunt, un quadra médecin qui, lui, garde un ton distancié.
Les femmes s’affairent en cuisine, les hommes fument et palabrent sur des échanges où se mêlent le chagrin intime de la perte d’un proche et la violence du monde. C’est peu de jours après l’attentat de Charlie Hebdo : l’événement revient sur le tapis, mais aussi le 11 septembre, la chute du communisme,....
Après « La Mort de Dante Lazarescu » qui nous avait tant emballés, on est peut-être un peu déçus par les répétitions, les ressassements du film de Cristi Puiu. Cette agitation n’est cependant pas dénuée d’humour et fait penser à la comédie italienne d’antan. Et quelle maestria pour ainsi enregistrer les chassés-croisés des uns et des autres dans un authentique appartement de l’ère communiste que le réalisateur a préféré à un décor pour son tournage !
Chacun se souviendra de cette journée à sa façon et, bien sûr, différemment l’un de l’autre. C’est ainsi dans la vie... Pour un même événement, nos souvenirs divergent. La vérité se disperse selon les points de vue.

Caroline Boudet-Lefort

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