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Fin de cet événement Janvier 2017 - Date du 29 juin 2016 au 8 janvier 2017

Rétrospective Ernest Pignon-Ernest au MAMAC

Pensée par l’artiste, l’exposition au MAMAC propose une évocation de ses plus
grandes interventions urbaines à travers une sélection de croquis, dessins et
photographies in situ.

Depuis 1966, du Plateau d’Albion à Certaldo, de Charleville à Paris, de Naples à Alger, de Nice à Soweto, du Chili à la Palestine, Ernest Pignon-Ernest métamorphose les rues des villes en œuvres d’art éphémère.

Depuis cinquante ans, pionnier de l’art urbain, ses images d’hommes et de femmes grandeur nature surgissent par effraction dans le champ du réel. L’artiste travaille au fusain, à la pierre noire, modèle les ombres à l’aide de gommes crantées de différentes épaisseurs. Reproduits le plus souvent par sérigraphie, les dessins s’inscrivent à l’échelle 1 dans la rue, créent des parcours, provoquent des découvertes, des face à face avec le passant. L’artiste intervient le plus souvent de nuit, armé d’un rouleau de dessins, d’un pot de colle, d’une brosse et d’un pinceau.

(photo Julien Veran)

L’action fait suite à un important travail de documentation, d’analyse des lieux et de dessin. Le choix des dessins naît du site investi, de son histoire, de son architecture, de sa symbolique et de sa lumière de son espace ; il le révèle et souligne ses failles, sa part d’ombre, ce qui le hante et que le plus souvent nous ne voulons voir. Puis, l’image est livrée aux caprices du temps qui passe jusqu’à disparaitre à nouveau, quand elle n’est pas décollée par un admirateur ou un détracteur, ou préservée telle une image sainte par les habitants du quartier comme à Naples. Par la suite, seuls les croquis préparatoires, dessins et photographies in situ rendent compte de l’œuvre.

(Photo Julien Veran)

« …au début il y a un lieu, un lieu de vie sur lequel je souhaite travailler. J’essaie d’en comprendre, d’en saisir à la fois tout ce qui s’y voit : l’espace, la lumière, les couleurs… et, dans le même mouvement ce qui ne se voit pas, ne se voit plus : l’histoire, les souvenirs enfouis, la charge symbolique… Dans ce lieu
réel saisi ainsi dans sa complexité, je viens inscrire un élément de fiction, une image (le plus souvent d’un corps à l’échelle 1). Cette insertion vise à la fois à faire du lieu un espace plastique et à en travailler la mémoire, en révéler, perturber, exacerber la symbolique… »
Ernest Pignon-Ernest, lors d’un entretien avec André Velter, 2014.

Ces archives donnent à voir le processus de travail, elles décrivent le travail de construction de l’image, les recherches, les hésitations quant à une posture, une gestuelle, une expression, elles s’attardent sur les détails d’une main ou d’un visage. La présentation de ces images-documents dialoguent avec l’architecture du musée et rejouent, par des effets de perspective et de correspondance, la notion de parcours urbain. Offrant un aperçu des engagements politiques et sociaux de l’artiste conjugués à ses exigences artistiques et ses dialogues avec l’histoire de l’art et les grands
artistes qui l’ont précédé, l’exposition témoigne des choix éthiques et
esthétiques d’Ernest Pignon-Ernest.

L’exposition s’ouvre sur une image conçue pour la prison de Lyon en 2012, évoquant l’Ecce Homo [Voici l’homme !] L’ostension a, chez Ernest Pignon-Ernest, l’effet inverse de celui de Ponce Pilate : elle désigne les martyrs que l’on ne voit plus et qui sont pourtant sous nos yeux, replace ces figures dans l’histoire de l’humanité.

La première section de l’exposition témoigne de l’attention de l’artiste aux problèmes humains de son temps. Invité en 1971 à commémorer le centenaire de la Commune de Paris, Ernest Pignon-Ernest recouvre les pavés de la capitale d’images de gisants, là où sont tombés ces morts oubliés, pères et fils de la Révolution. Mobilisé contre la politique de l’Apartheid, l’artiste inscrit dans sa ville natale une
représentation d’une famille noire derrière des barbelés pour révéler ce qu’occulte le jumelage de la ville de Nice avec celle du Cap en Afrique du Sud. L’artiste réalise durant cette période, tout en abordant d’autres problématiques, plusieurs interventions à partir d’un travail collectif d’appréhension du thème : Immigrés
(Avignon, 1975), Avortement (Paris, Tours 1975), Calais (1975), Grenoble (1976), Expulsés (Paris, 1978).

L’exposition retranscrit également la force du syncrétisme des interventions d’Ernest Pignon-Ernest :
« L’histoire à Naples ne s’efface pas : s’y superposent mythologie grecque, romaine, chrétienne. Mes images interrogent ces mythes, elles tracent des parcours qui se croisent, se superposent, elles traitent de nos origines, de la femme, des rites de morts que sécrètent cette ville depuis Virgile… ». À Naples, sa ville de
cœur, il crée entre 1988 et 1995 un parcours reliant la mort à la vie, les mythes fondateurs, païens et chrétiens aux coutumes populaires, en interrogeant la peinture napolitaine et notamment l’œuvre de Caravage. L’imbrication des temporalités entre passé et présent, réalité et fiction, se retrouve dans l’opération d’une inquiétante étrangeté qu’Ernest Pignon-Ernest réalise sur les cabines téléphoniques de
Lyon et de Paris en 1996. L’apparition d’images quasi-surnaturelles d’humains désespérément isolés dans ces blocs vitrés voués à la communication, à la vue de tous, seuls, égarés d’une pseudo-modernité froide, distante sans fraternité. Les dessins combinent la représentation contemporaine d’une figure accablée aux
figures archétypes de l’art créent une brèche interstitielle que viennent brouiller les reflets des lumières de la rue zébrant les corps. À Soweto, en 2002, invité à venir travailler sur le sida, Ernest Pignon-Ernest imagine une piéta contemporaine, inspirée d’une photographie d’une émeute de 1976 devenue l’emblème visuel de la mobilisation anti-apartheid superposant ainsi l’exigence de deux combats, hier contre la ségrégation raciste aujourd’hui contre la pandémie.

(Photo Julien Veran)

Le parcours de l’exposition amène le visiteur à une galerie de portraits, un florilège de poètes.
« Je me saisis de l’image des poètes de la même façon que j’utilise des images mythologiques, religieuses ou médiatiques comme des symboles, comme des mythes laïques, des icônes païennes. Leur portrait comme un signe culturel témoigne souvent combien ils ont incarné les aspirations, les drames, les tensions qu’ils ont traversées, combien ils portent les stigmates de leur époque. Leur image inséparable de l’empreinte et des résonances de leur œuvre, de leur vie et parfois de leur mort. Le
typhus et la violence des camps qui tuent Desnos à Terezin, Nerval qui se pend dans la nuit "noire et blanche" d’un Paris glacial, Maïakovski, Artaud, Pasolini…
On ne peut pas oublier tout cela quand on les découvre, figurés sur un mur, comme si leur visage disait leur destin… En tout cas, j’essaie d’œuvrer à ça. »
EPE.


(Photo Julien Veran)

Ernest Pignon-Ernest a souvent dit qu’il devait plus aux poètes qu’aux peintres, pas surprenant que des figures de poètes surgissent sans cesse, jalonnent et
inspirent depuis le début l’ensemble de son œuvre. De Maïakovski (1972) à Rimbaud (1978), de Pasolini (1980/2015) à Pablo Neruda (1981), d’Antonin Artaud (1997) à Desnos et Nerval (2001/2013), de Jean Genet (2006) à Mahmoud Darwich (2009) place est faite à « ceux de la poésie vécue, autrement dit à ceux qui sans se payer de mot, ont voulu coûte que coûte, à la suite d’Holderlin, habiter poétiquement le monde. Quand la poésie refuse d’être un ornement ou une collection d’afféteries formelles, elle garde trace des expériences vécues et des risques pris. Elle dit le réel mais en le révélant plus vaste, et d’une prodigieuse intensité. Elle conjugue visible et invisible, sursauts intimes et songes partagés. Elle s’impose comme le chant profond des
vivants qui ne renoncent pas aux effractions, aux abîmes, aux combats, ni aux enchantements inouïs de la vraie vie ». Il était, en quelque sorte, fatal qu’un artiste comme Ernest Pignon-Ernest multiplie les interventions par les rues et les murs des villes en compagnie des poètes irréductibles, capteurs de signe, porteurs de paroles, de révoltes, d’utopies, et qu’il ne cesse de fixer avec eux des rendez-vous complices.
Les dessins d’Ernest Pignon-Ernest créent autant d’interstices spatio-temporels imbriquant le passé au présent et à l’avenir, l’art et la littérature à l’histoire. C’est sans conteste dans ce syncrétisme que réside toute la puissance de son œuvre. Unique par sa tenue éthique et esthétique, son parcours quels que soient les thèmes abordés, a réussi le rare prodige de concilier un engagement sans concession ni reniements avec
une expression artistique d’une extrême exigence. La représentation du corps humain, son inscription dans l’espace public et l’association des références artistiques, littéraires, politiques et sociales visent à interroger la mémoire collective.

MAMAC, Nice
25 juin 2016 – 8 janvier 2017

Artiste(s)

Ernest Pignon-Ernest

Ernest Pignon-Ernest, pseudonyme d’Ernest Pignon, est un artiste plasticien né le 8 novembre 1942 à Nice. Biographie Ernest Pignon-Ernest est né à Nice en 1942 ; il vit et travaille à Paris. Depuis 1966, il crée des images éphémères sur les murs des grandes villes, qui se font l’écho des événements qui (...)

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