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Fin de cet événement Février 2015 - Date du 17 septembre 2014 au 2 février 2015

Niki de Saint Phalle au Grand Palais

Alain Amiel rentre de Paris où il a visité les expositions capitales et incontournables de cette fin d’année ! Cette semaine il nous raconte Niki de Saint Phalle au Grand Palais.

L’acte créatif, né d’une nécessité intérieure, puise ses sources dans le réel qui l’entoure, mais aussi dans la mémoire et l’inconscient, une somme d’éléments disparates qui va être repensée et réorganisée pour faire advenir chez l’artiste une nouvelle approche visuelle du monde.

Certaines œuvres sont plus facilement lisibles dans la mesure où leurs auteurs nous en ont fourni les clefs.

Ainsi, Niki de Saint Phalle a raconté dans son livre "Mon secret" les viols qu’elle a subis de son père à l’âge de onze ans (pendant l’été 1941) et dont elle explique comment ils se retrouvent exprimés dans son art.

L’attitude de son père, "honorable banquier", ayant brisé en elle "la confiance en l’être humain", elle écrit : "puisque je n’étais pas encore parvenue à extérioriser ma rage, mon corps devint la cible de mon désir de vengeance".
Instable, souffrant de mille maux dont une hyperthyroïdie sévère, c’est à la suite d’une dépression nerveuse en 1953 à Nice, qu’elle réalise que l’art l’aide à surmonter ses angoisses et la guérit. À l’hôpital, elle fait un travail à base de collages d’images violentes avec toutes sortes de couteaux et instruments de boucherie : "L’agressivité qui était en moi commençait à sortir. Je me mis à faire passer la violence dans mon œuvre". Elle écrira plus tard qu’elle était devenue artiste car elle n’avait "plus le choix".

Affiche de la Réunion des musées nationaux-Palais, © Réunion des musées nationaux-Grand Palais, © Réunion des musées nationaux-Grand Palais, Paris 2014

Les peintures de Pollock, Raushenberg et Dubuffet lui enseignent la liberté graphique dont elle à besoin. Ses premières œuvres new yorkaises sont des grandes composition sur fond de dripping où elle inclue des petits objets en plastiques ou des débris de jouets, mais les travaux qui l’ont fait connaître sont ses tirs sur des poches de peinture collées sur des effigies en plâtre de personnages masculins symbolisant son père. Ces poches d’encre ou de peinture touchés par les balles vont dégouliner comme des traces de sang et la composition se transformer au gré des tirs. Ces "tableaux-cibles" sont réalisés, dit-elle, comme une pulsion de "destruction ou de sado-masochisme".

Saint Sébastien (Portrait of My Lover / Portrait of My Beloved / Martyr nécessaire,100 x 74 x 15 cm , peinture, bois et objets divers sur bois, Sprengel Museum, Hanovre, donation de l’artiste en 2000© 2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved / Photo : Laurent Condomina,

Dans son autoportrait de 1958, elle se représente sous des traits cadavériques. Son corps est fait de morceaux de céramique brisés, symboles de la fragmentation de son être.

Jean Tinguely qu’elle rencontre en 1960 va devenir son principal soutien, son alter ego qui l’aidera à surmonter ses nombreuses difficultés. Grâce à lui et à Marcel Duchamp, elle rejoint le groupe des Nouveaux Réalistes où elle se fera une place importante. Elle est la seule femme au milieu d’une génération émergente de peintres qui ont abandonné pinceaux et peintures pour travailler sur l’objet ou le concept.

Cheval et la Mariée, 1963, 235 x 300 x 120 cm, tissu, jouets, objets divers, grillage, Sprengel Museum, Hanovre, © BPK, Berlin, dist. Rmn-Grand Palais / Michael Herling / Aline Gwose

Si ses mariées portent encore l’angoisse de la femme maltraitée, ses "nanas" toutes en rondeurs qui s’assument, immenses, impressionnantes, colorées apparaissent surpuissantes, affirmant une féminité revendicative.

De la féminité bafouée au féminisme, Niki règle ses comptes avec les hommes. Lectrice de Simone de Beauvoir, elle lutte âprement contre l’aliénation des femmes. Son discours est radical, elle rêve d’une révolution féministe, de l’arrêt définitif du pouvoir des hommes.
Toute son œuvre tend à valoriser le féminin, à promouvoir la femme guerrière, libre, créatrice, indépendante du pouvoir des hommes.

La découverte du Parc Güell de Gaudi à Barcelone, puis de la maison du facteur Cheval et enfin celle du "Parc des Monstres" de Bomarzo en Toscane vont lui donner envie de créer son propre Jardin de sculptures. Les frères Carlo et Nicola Caracciolo de Marella, une amie rencontrée dans les années 50 à New York, l’autoriseront à réaliser ce parc sur un terrain qui leur appartenait (près de Florence).

Le "Jardin des Tarots" a été une nécessité vitale pour Niki.

Il manifeste son besoin de sublimer ses monstres intérieurs par son art. La lecture psychanalytique lui étant peu connue et fâchée avec la psychiatrie qui lui a fait subir de nombreux électrochocs, elle se tournera vers le symbolisme des cartes du Tarot pour donner du sens à ses symptômes et résoudre ses difficultés à vivre : "La valeur ésotérique, dit-elle, des cartes du Tarot m’a donné une plus grande compréhension du monde spirituel et des problèmes de la vie et aussi un éveil aux difficultés qui doivent être surmontées pour qu’on puisse à la prochaine épreuve et à la fin du jeu trouver la paix intérieure et le jardin de paradis".

Impératrice, Jardin des Tarots © Alain Amiel

Ainsi, sa première sculpture, l’Impératrice (carte 3 du Tarot), la grande déesse, la mère protectrice, a été réalisée tout d’abord pour s’y installer et vivre. Dans un "sein" de la mère, elle a mis son lit, sa chambre et dans l’autre, la cuisine.
Revenue dans le “ventre de sa mère”, Niki s’invente une nouvelle vie.
Ce lieu va devenir le centre vital de son projet, c’est là où elle rencontre l’équipe, où tout s’organise, où les décisions sont prises.
A partir de petites maquettes qu’elle lui prépare, Tinguely construira les structures métalliques de ses sculptures monumentales. Couvertes ensuite de grillages et de ciment projeté, elles deviennent les supports de ses peintures ou de ses assemblages de céramique, de millions de morceaux de miroirs qui recouvriront la presque totalité des surfaces.
Seize années pleines de création et de souffrances où presque paralysée par de l’arthrite rhumatoïde, elle œuvrera dans une urgence extatique.

Maison de l’Impératrice, Jardin des Tarots © Alain Amiel

Son fabuleux jardin nous offre une déambulation extraordinaire dans son imaginaire. Il est par sa taille, une des plus importantes œuvres d’art au monde pour ses qualités et recèle d’ingénieuses inventions plastiques. S’il s’origine dans la douleur, il est un cri d’amour à la vie.

L’exposition est très riche, montrant l’immense œuvre accomplie, est complétée de photographies et d’extraits d’interviews où l’artiste donne la mesure de son art.

Leaping Nana, Planche de Nana Power, 1970, 76 x 56 cm, sérigraphie sur papier vélin d’Arches, Sprengel Museum, Hanovre, donation de l’artiste en 2000, © 2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved

Photo de Une : Vive l’Amour, 1990, 45 x 55 cm, feutre et gouache sur bristol, Sprengel Museum, Hanovre, © 2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved / Photo : Ed Kessler

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