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Marginalia : À Monaco la BD est entrée au musée

Le Nouveau Musée National de Monaco (NMNM) a sorti cet été la bande dessinée de ses cases pour dévoiler en 100 ans de création, 90 dessinateurs qui ont fait son histoire de Winsor McCay à Moebius via Hergé, Alex Raymond, Pratt et bien d’autres ! Retour sur cette exposition.

D’avril à octobre 2021, Marginalia a dressé à la Villa Sauber, l’état des lieux de la BD au XXe siècle

Stéphane Vacquier, commissaire associé devant les dessins de Herr Seele, pour l’affiche de Marginalia, clin d’œil entre la peinture classique et la bande dessinée. © Olivier Marro

Le commissaire et dessinateur Damien MacDonald s’est inspiré du traumarbeit (travail du rêve) de Freud, pour vous inviter à découvrir au fil d’un parcours thématique les oeuvres originales des plus grands du 9ème art.
370 planches prêtées par deux grands collectionneurs : Pierre Passebon et Bernard Mahé et des collections publiques.
La BD a nourri la contre culture dans les trente glorieuses mais dès le début du siècle elle contribue à l’art populaire via la presse.
Les dessinateurs pionniers entrent dans la légende par la petite porte du comics strip chez nos amis anglo-saxons !
Ces minis histoires en cases font le régal de tous, de Little Nemo à Mickey tandis que notre Bécassine nationale nait en 1905 dans l’hebdo « La Semaine de Suzette ». Mais c’est en remontant plus loin que cette exposition prend source, explique Stéphane Vacquier, commissaire associé. « Le titre se réfère aux marginalia, ces petits dessins dans la marge qui accompagnaient jadis les gloses commentant le corps du texte des manuscrits médiévaux ».

Marie-Claude BEAUD © Direction de la Communication Manuel Vitalii

Si l’histoire ne date pas d’hier, le désamour des institutions pour cette pratique non plus ! Il aura fallu toute la passion de la directrice du NMNM, Marie-Claude Beaud pour faire entrer la BD au Musée. « Oui la BD est un art contemporain ! » affirme celle qui dirigea la Fondation Cartier pour l’art contemporain, le Mudam à Luxembourg, et qui fut lauréate à la Biennale de Venise. Alors qu’elle est directrice adjointe du Musée de Grenoble Marie-Claude Beaud introduit dans les années 1970 cet art mineur dans les collections publiques en faisant l’acquisition d’une quarantaine de planches de Moebius, Druillet, Tardi, ou Hermann (visibles dans l’expo), et ce malgré les réticences de sa hiérarchie. « C’était “l’art comptant pour rien” ! » aime-t-elle à ironiser. C’est à partir de ce corpus que Marie-Claude Beaud a souhaité bâtir cette rétrospective avant de se retirer des affaires en avril. Un baroud d’honneur, partagé avec deux autres commissaires et autant d’experts en bulles pour faire rayonner toute la diversité de la BD au fil des générations. Le catalogue est un pavé de 4 kg, fruit de l’approche scientifique de spécialistes émérites : Jean-Luc Fromental, Thierry Groensteen, Didier Pasamonik et Numa Sadoul.
Le parcours circulaire inspiré par la Tapisserie de la reine Mathilde à Bayeux est jalonné de thèmes fédérant les auteurs autour d’une tendance historique ou culturelle. La figure de Krazy Kat (1913) d’Herriman, cher à James Joyce et Picasso, servant de guide.
« L’invention de l’inconscient » ouvre le bal avec Edgar P. Jacobs (Blake et Mortimer) et un grand explorateur du rêve : Winsor McCay. Dés 1905 Little
Nemo témoigne d’un niveau inouï sur des grandes planches «  On y retrouve l’art nouveau dans l’architecture et le graphisme, ainsi que l’influence de Méliès et du cinéma naissant par ses cadrages » précise Damien MacDonald.

Avec « Des garnements pour aïeux » c’est l’enfance de l’art autour des mythes fondateurs : Mickey, Charlie Brown, les Katzenjammer Kids (Pim Pam Poum) en 1897, Félix le chat ou encore Yellow Kid de Richard Felton Outcault publié dès 1896 dans le New York World.

Si les auteurs aiment casser les codes sociétaux, ils conservent ceux de la figuration

Avec sa maturité la BD devient un conservatoire des techniques classiques. En 1939 dans le Journal du dimanche les planches de Flash Gordon montrent avec quel brio, Alex Raymond issu de la tradition du dessin excelle dans ses ombrés, drapés et sa science des matières. «  Une approche du réalisme dans les personnages, les visages, qui s’est perdue depuis Ingres » commente Damien.

Les dessinateurs fonctionnent aussi en confréries.
« La notion d’atelier est présente. Grâce aux journaux les auteurs se rencontrent, partagent leur passion et l’air du temps, ce qui contribue à l’éclosion de courants graphiques » explique Stéphane Vacquier. Ainsi dès 1938 le journal de Spirou voit naître des figures cultes : Spirou et Fantasio, Lucky Luke, Buck Danny, Boule et Bill. Dans la foulée l’hebdo Pilote créé par Uderzo et Goscinny, les papas d’Astérix, impose avec les sixties une nouvelle génération de héros dont Blueberry de Jean Giraud ou Valérian, space cow boy !

À l’orée des années 80, l’éthique post-punk se cristallise autour de la revue « Métal Hurlant  » qui fédère ses talents tel Floch’ et Chaland, Serge Clerc ou Ted Benoit sous une bannière révisant Hergé : « la Ligne Claire ». Un cabinet érotique (escamotable) permet aux plus de 16 ans de voir comment Crepax, Manara, Pichard ou Crumb relayèrent l’érotisme triomphant des seventies !

Le parcours se referme sur « la fièvre des bâtisseurs », celle de Druillet et Schuiten qui dynamitent les cases forts de leurs allégories graphiques tandis que « Le Matin des Médiums » révèle des auteurs-rêveurs dont deux phares de la conquête utopique : Hugo Pratt et Moebius !

Toute une poésie et une noblesse du trait qui souffle un vent de fantaisie bienvenu en ces temps difficiles !

François Schuiten, Les Cités Obscures. Couverture de l’Intégrale, tome 1, 2017 (scénario de Benoît Peeters) Acrylique et graphite sur papier, 44 x 57 cm Collection privée, Paris © François Schuiten

Photo de une : Vue du parcours de l’exposition ©NMNM

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