| Retour

Fin de cet événement Septembre 2015 - Date du 27 juin 2015 au 12 septembre 2015

Le noir, le blanc et le truand

L’Espace à Vendre vous invite à découvrir sa nouvelle exposition collective avec les artistes Maxime Duveau, Chourouk Hriech, Stéphane Protic, Emmanuel Régent, Karine Rougier : Le noir, le blanc et le truand ! L’exposition offrira un point de vue sur les possibles de l’œuvre sur papier en grand formats dans sa pratique contemporaine et quelques autres surprises.

Maxime Duveau

Dans sa pratique de dessin, Maxime Duveau produit/reproduit des images d’espaces mythiques liés à l’histoire du rock ‘n’ roll. Il « reproduit » dans le sens où il part de photographies existantes qu’il vide de ses personnages et de plusieurs éléments afin de créer des espaces d’absences dans une atmosphère de mélancolie.
Il s’intéresse ainsi aux espaces dans leur charge poétique et historique, comme symbole d’une époque « révolue ». Il s’emploie à réutiliser les codes de cette culture comme les murs de tags, les affiches de concerts, le drapeau américain, Elvis ou le signe des Mods. Maxime Duveau s’attache à redonner une « aura » à une culture qui serait en train de la perdre ou l’aurait déjà perdue.

Sunset Bar, 2015 190 x 270 cm, fusain, tampons et transfert sur papier

Chourouk Hriech

« Chourouk Hriech dessine en noir et blanc. Sur le papier, sur les murs, à l’échelle de la page ou de la pièce, ses dessins articulent, entrecoisent, entrechoquent des motifs urbains. On dirait que la ville sort de ses gonds, explose, se recompose comme dans un kaléïdoscope. On dirait qu’une dynamique nouvelle s’en empare, la métamorphose, la projette dans l’espace. Comme si le nouveau se faisait jour dans les cartes rebattues de l’ancien, dans les images dynamitées du présent. Le monde en gestation de Chourouk Hriech restitue le charivari du chantier du tramway. Mais il reflète d’abord son désir de résistance et d’utopie. »
Christian Bernard

Desseins Dérivés, 2013 encre de Chine, pièce unique. dessin mural au MAC Marseille

Diplômée des Beaux-Arts de Lyon, Chourouk Hriech a exposé son travail au Kunsthalle de Mulhouse à l’occasion de l’exposition individuelle "... et s’en aller" en 2012 ou encore au Crac de Sète lors de l’exposition "Soul to soul, Project Room" en 2010. Elle a également participé à de nombreuses expositions collectives telles que "La Mer au Milieu des terres" au Museu Es Baluard à Palma en 2015 ou encore au MAMCO de Genève en 2013. Elle a été sélectionnée pour la commande publique, "Projet T3" du département de l’art dans la ville de Paris, sous la direction de Nathalie Viot et Christian Bernard (2009-2012).

installation murale au MaMco genève, 2013 encre de Chine, pièce unique

Stéphane Protic

Qu’il s’agisse de dessin, de sculpture ou d’installation, il est chaque fois question
d’espace – de projection – et de surfaces – de représentation – dans le travail de l’artiste.
Extraire, isoler et abstraire les corps du visible consiste à les mettre en scène et en jeu, mais aussi en « vue », dans ce qu’ils exposent en voilant et ce qu’ils dissimulent en divulguant. Dans la pratique, le geste s’attelle à remplir les vides (pages blanches, espaces vacants) par systèmes de soustractions. S’il faut parler d’exhibition, elle se joue alors dans ses propres économies et s’accomplit par la dérobade.

vue de l’exposition graphein, galerie Baraudou • Schriqui, Paris. Mars 2015

Sur le papier, le projet s’esquisse sous forme de repentirs ciblés, et enveloppes de fragments prélevés du lieu. Dans l’espace, le projet prend son souffle à la manière d’un appel d’air obstruant les voix de contemplation et de communication tout en ouvrant le passage vers un alter mundi. Mise en plein des vides, aspiration des non-lieux, les « gonflables » de Stéphane Protic procèdent d’une entreprise éphémère de marquage, estampage et marouflage précaire de l’édifice. Le matériau unique, polyéthylène noir instable et volatile, déborde des orifices, caresse les murs et se colle aux parois, gonfle à bloc, inspire et décompresse, vivant en continu dans les réserves d’espace qu’il dessine là, en toile de fond d’un arrière-champ habité des fantasmes provoqués par frustration.
L’espace est saturé, la vue dissimulée et le corps entravé. Si le dispositif semble nous priver, il recèle pourtant plus d’une ouverture possible : entrée en Back Room.

Empreinte / l’envers du lieu
C’est en contre-impression que les membres architecturaux, couloirs, annexes et aménagements viennent épouser et contrarier la matière, décalque inversé et pellicule pauvre de ce qui ne laissera pourtant nulle trace. Conserver l’indice par l’empreinte renvoie à cette naissance de l’image en négatif : la chambre noire, le mythe du voile, la légende de l’ombre reportée en souvenir d’un corps (ou d’un lieu) un temps absenté, fixé non plus par projection de lumière mais par système d’extraction et/ou propulsion d’air qui vient ici sculpter l’idée. La Back Room prend place dans le travail du sculpteur : non pas double d’un réel perçu, mais contre-moule d’un lieu alors fictionné et mis à nu par effacement et recouvrement. Ce corps à corps tantôt voué à la célébration d’une mémoire de fait lacunaire, tantôt à l’éphémère victoire d’un rituel d’adieu, n’est pas tant joué d’avance. Au regardeur d’arbitrer : que voir ?

Fantasme / l’arrière salle
Zone de non-droit, de non-dits, de non-vue, la Back Room infiltre les processus adoptés par l’artiste visant à exciter les sens par le suggéré, par l’évocation de sous-entendus, provoquant le voyeur ainsi poussé dans ses retranchements et convoqué par le regard dans ce qui ne s’expose pas. Le dispositif anime par système de caches un contenu hypothétique à fantasmer sur les murs, à travers les fenêtres, à l’intérieur même de notre « conscience imageante » (1). C’est par l’imaginaire donc que l’oeuvre prend acte, lorsque le manifeste se double d’un secret enfoui et appelle à toucher la chaire d’un invisible. Dans l’arrière scène l’auteur planqué souffle l’histoire, au spectateur de se l’approprier : que déjouer ?

Résorption-Imersion/ l’espace en retrait
En oeuvrant par occultation, les corps étrangers de Stéphane Protic s’immiscent comme des repentirs ouvrant l’espace de fiction. À la fois présences sensibles et tenants lieux imaginaires, ils enveloppent un néant gonflé d’énigmes à percer dans l’advenue du regard, dans ce qui manque à l’oeil et inconforte les sens pour nous mettre en place, en demeure et au défi d’abstraire. C’est dans les réserves, les reculs, les espaces lacunaires et écarts soulignés qu’une passe se fait jour, et nous convoque dans les vides à pénétrer. Puisqu’« il n’existe pas d’oeil innocent »(2), entrez en Back Room.
Leïla Quillacq

1. Jean-Paul Sartre, L’imagination.
2. Pour reprendre les termes de N.Goodman, dans Langages de l’art

Emmanuel Régent

Si Emmanuel Régent pose un regard conscient sur l’échec de l’utopie moderniste,
il espère, toutefois encore, espérer.
Il nous rend bien plus que les soucoupes volantes qu’on nous avait promises ; il nous rend le plaisir et l’émotion que peuvent provoquer la découverte et la croyance, mais une croyance consciente de l’histoire dans toute son épaisseur, non plus désabusée, ironique et amnésique.

Ce ré-enchantement du monde passe par sa capacité à susciter aussi bien le souvenir que l’émerveillement, prémices de tous les possibles.
Ruines, hachures, brides et manques élaborent une archéologie du futur faite d’oscillation et de mystère. Ces précieuses vanités, fossiles et images d’un autre temps, parlent d’un territoire spatio-temporel originel, moderne et actuel
qui n’est ni l’immédiateté de notre présent, ni un passé nostalgique, ni une projection dans le futur, mais bien les trois intrinsèquement enchevêtrés, un présent qui pourrait être le passé d’un avenir où les détails rejoindraient l’immensité perpétuelle, où microcosme et macrocosme ne feraient qu’un. À l’image du ciel, des étoiles et de l’énergie fossile, ici aussi les temporalités et les spatialités fusionnent. Avec un point de vue quasi cinématographique, l’association de cette pluralité d’objets dans l’espace d’exposition invite à une déambulation mêlant science, réalité et fiction.

Série « Pendant qu’il fait encore jour » 1, 2014, feutre encre pigmentaire sur papier marouflé, 110 X 130 cm

L’anticipation mentale et rétroactive fonctionne comme un parcours mémoriel dans
la concrétion des images comme du monde. Ce panorama ontologique parle de notre manière d’être et de notre société (la critique sociale et la notion de crise sont toujours sous-jacentes) comme de l’origine et de l’évolution de l’univers, du sens caché voire occulte de certaines manifestations aussi bien humaines, terrestres que
célestes. Il contient l’hypothèse d’un voyage dans le bruissement de l’univers.

Karine Rougier

Les collectionneurs ont l’habitude de dire qu’il ne faut pas connaitre les artistes pour
regarder et acheter objectivement une oeuvre. Le risque est évident. Un créateur sympathique influence positivement une pièce médiocre. L’inverse est vrai. Un artiste désagréable projette des « ondes » négatives sur son travail. Pour moi, une collection se construit dans la raison, loin de l’émotion.
Un dimanche matin de fin d’été, lors d’une visite d’ateliers, à Marseille, j’ai rencontré Karine Rougier, fraiche jeune femme, presque encore adolescente. Son travail en cours était étonnant, du moins suffisamment pour attirer mon oeil.
Dans un large océan de blanc du papier, apparaissaient des personnages bizarres, curieux, presque incongrus. Avec de l’imagination, je retrouvais Blanche Neige, dans sa cabane, dessinant, sans l’aide des sept nains, un monde enchanté.

Je n’ai, bien sûr, pas cédé à ce premier regard (voir ci-dessus). Et aussi parce que mon intérêt se porte quasi exclusivement sur desoeuvres à fort contenu conceptuel. Alors Karine Rougier !

L’atelier, 2015, huile sur bois, 50 x 70 cm

Et pourtant, lors d’une foire, j’ai retrouvé le travail de Karine avec, en particulier, un dessin Lapillis de grand format. J’ai naturellement cédé. Je le possède aujourd’hui et le prête avec grand plaisir pour donner à voir cette oeuvre plus complexe, plus complète qu’il n’y parait. Regardez, regardons attentivement ce travail, plus largement, cet ouvrage précieux et déluré, dans lequel les rêves les plus oniriques prennent corps avec une netteté redoutable. Traversons le papier tel des Alice modernes et voguons comme nous l’a appris Malevitch dans cet océan de blanc, à la fois espace infini et néant dévoilé à la recherche de ses créatures (celles de Karine) qui nous font rêver.
Michel Poitevin

Artiste(s)