Inauguré en 1982 dans le Château Sainte-Hélène, le Musée d’Art Naïf Anatole Jakovsky, situé au pied de la colline de Fabron, continue pendant l’exposition d’été de présenter au rez-de-chaussée les oeuvres de célèbres peintres qui enrichissent le fond du Musée. Tout visiteur « naïf » découvre un bel ensemble d’une vingtaine de toiles lui révélant le style d’expression picturale spécifique aux artistes naïfs.
C’est au 1er étage que commence un parcours diversifié, rythmé, riche en découvertes de talents méconnus, souvent regardés avec mépris ou indifférence.
Pourtant, ces « artistes » déploient une créativité qui charrie du poétique, du beau, du tendre, du grinçant.... et surtout du singulier proche de l’Art Brut (certaines oeuvres ont d’ailleurs été prêtées par le Musée de l’Art Brut de Lausanne).
Beaucoup de ces artistes n’ont aucune filiation artistique, ils créent de façon isolée sans aucune école idéologique ou stylistique et osent s’aventurer avec liberté là où d’autres ne vont pas en bousculant des conventions dans les marges de la culture.
Le parcours de l’exposition nous conduit à découvrir de multiples regards sur la Promenade.
On pénètre d’abord dans une large pièce lumineuse pour une totale immersion dans les oeuvres de deux artistes intégrés au Musée. Pour son interprétation de la Baie des Anges, l’Ecossais Jonathon Brown a peint in situ, soit directement sur les murs, une fresque en noir et blanc, couleurs auxquelles s’ajoute le bleu des vagues dans un mouvement évoquant le dessin en ferronnerie des balustres protégeant les fenêtres. Il dessine des galets imbriqués dans la terre jusqu’aux premiers contreforts des Alpes.
Peu de couleurs pour ne pas heurter la profusion chromatique des sculptures de Frédéric Lanovsky.
Ce Cannois, pour sa part, a réalisé un ensemble de personnages déambulant sur la fameuse Promenade.
Occupant le centre de la pièce, un touriste avec son appareil photo autour du cou, des couples ludiques, des dames qui promènent leurs toutous ou leurs volatiles (un coq ? un perroquet ?) ou bien leurs enfants avec leurs jeux de plage, puisque le ruban de la prom’ longe une plage de galets qui borde la mer d’un bleu turquoise spécifique à la baie des anges. D’un humour sympathique, ces badauds insolites et insolents portent des vêtements vintage aux couleurs éclatantes de fleurs et de motifs joyeux. Les couleurs ont une signification plus subjective qu’objective, une couleur rêvée, imaginée avec des bleus profonds, des verts acides, des rouges coquelicot et des indigos lancinants. Grâce à son regard incisif, Frédéric Lanovsky se complait à pointer, avec ironie et malice, les traits de passants dans lesquels chacun peut se reconnaître. Par sa drôlerie et sa naïveté, ce portrait de notre humanité est un art accessible à tous.
D’autres « artistes » ont donné leur vision de la Promenade, passant de l’icône à la tapisserie ou par d’amusants assemblages de morceaux de bois basés sur l’appropriation, la récupération d’objets et de débris.
Chacun s’exprime avec des audaces percutantes selon sa propre identité, chaque point de vue est original sur l’histoire artistique de la Promenade des Anglais.
Chaque salle a une identification, Madame Stilz, conservatrice du Musée, a joliment nommé la salle qui s’enchaîne dans ce parcours « La Promenade dans le sillage des Anges » où l’on découvre une sélection d’ex-voto des sanctuaires de la Garoupe ou de Laghet sur des événements intervenus dans la Baie des Anges, tel un accident de calèche au port de Nice.
Le Carnaval est souvent représenté sous tous ses aspects et festivités, comme cette magnifique « Fête de nuit » (1960) d’Emile Crociani, une toile onirique de facture très italienne. Ou encore ce grand patchwork en tissu de Youdi des Aubrys « La Promenade un jour de Carnaval » où les promeneurs aux sinistres visages blafards sont entraînés par un diable ricanant. Jacques Trovic a créé une tapisserie qui évoque son monde intérieur, cet univers clos d’enfant fragile, surprotégé par des femmes à la suite d’une maladie qui ne l’a jamais quitté.
Dans la salle intitulée « La Promenade des pas perdus », sont rassemblées des oeuvres réalisées avec les objets incongrus que la mer ramène et qui sont ensuite récupérés, rassemblés de façon insolite. On y voit des tongs acoquinées à des morceaux de bois ou de ferraille. L’imagination de chacun va bon train et certaines oeuvres sont réellement séduisantes, exprimant un dialogue entre la société de consommation et la récupération de ce qui se perd. Carole Bertin de Moustiers-Sainte-Marie crée uniquement avec des textiles assemblant astucieusement chiffons, cordelettes, ficelles, vanneries...
A Marseille, Louis Pons fait des jouets pour adultes, imaginant un dilemme entre les personnages d’un baby-foot ! Pour terminer la visite, une immense tapisserie, en chanvre mélangé à de la terre glaise, a été réalisée par la Niçoise Danielle Jaqui. Cette oeuvre, de 10 m2 qui lui a demandé trois jours de montage au musée, répond à celle qu’elle a conçue pour un mur de la Gare d’Aubagne.
Dans l’expression de son souvenir de la Promenade, elle ne laisse aucun espace libre, tout doit être comblé, comme pour compenser un manque affectif originaire qu’elle a remplacé par un intense besoin de créativité.