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Fin de cet événement Juillet 2020 - Date du 15 juillet 2020 au 25 juillet 2020

Jean Villeri, L’Œuvre Ultime à la Galerie Librairie Rabelais à Nice

Comment restituer avec pinceaux, peintures et toiles, de si simples outils, les facettes indicibles de la nature ? Comment re-présenter son énergie, ses mouvements, ses tensions ou son goût de la couleur et des formes ?
Rendre visible ce qui est invisible, le devoir de tous les peintres, nécessite pour la peinture abstraite une grande force d’âme et une aptitude importante à la liberté.

En se passant de modèles, de motifs, de sujets définis, l’art abstrait s’ouvre encore plus à l’interprétation.

Aucune limite, en dehors de celles de la toile, n’est fixée. L’univers mental de chacun, en approchant des contrées inexplorés, doit rejoindre ses propres infinis.

En 1929, la rencontre de Jean Villeri (né en 1896) avec Francis Picabia, Jean Crotti et Jacques Villon au Cannet va révolutionner sa vision du monde et sa palette.

Sans titre, 1939 Jean Villeri (légende copyright Anne Marie Villeri)

D’une figuration colorée à une abstraction radicale, la rupture se fait sans douleur. Sa remise en question, probablement en germe, n’attendait que ces rencontres.
Natures mortes, portraits et paysages disparaissent au profit de nouvelles recherches plastiques qui le passionnent. Il participe à la grande aventure de l’abstraction en adhérant en 1934 au mouvement « Abstraction Creation, Art non-figuratif » créé par Herbin, Mondrian, Vantongerlo et se fait reconnaître rapidement du petit milieu des peintres abstraits, contestaires d’un ordre figuratif mondialement établi.
La rencontre en 1936 de René Char, devenu son ami, contribue à amplifier, à déployer son univers sensible.

D’un père chef d’orchestre et compositeur, Jean Villeri a appris que la musique comme la couleur est affaire de vibrations, que les formes ont la densité des sons et qu’il se doit de contribuer au « continuum vibratoire du monde ».
Il participe à des expositions dans la région niçoise et à Paris, mais son besoin vital de retrait fait qu’en 1940, il quitte Cannes pour vivre au Haut de Cagnes, un village encore préservé du tourisme.

Dans son atelier-caverne qu’il appelle sa « voûte de travail », il approfondit ses recherches de formes, de textures, de couleurs.

Cet ancien cellier à vins tout en longueur donne sur une ancienne aire à blé, véritable terrasse ouverte sur la vallée, d’où, dit-il, il peut « interroger la foudre pour connaître la voix du feu ». Il sait écouter le vent, la montagne et la pluie pour entretenir avec tous ces éléments un dialogue fécond.
Homme complet pratiquant tous les sports (boxe, pêche, voile, ski, etc.) et s’imprégnant de toutes les cultures, la peinture reste à jamais le médium essentiel de son rapport au monde.

La guerre met un frein à la création, mais très vite après l’hécatombe, une nouvelle dynamique s’instaure. Dans la joie qui renaît, ses toiles se colorent, se rythment, se musicalisent. Les matières deviennent essentielles. Elles intègrent même des fragments de réalité : cordages, bouts de bois et de voiles de son bateau mis au rebut.
Pour une nouvelle exposition préfacée par son ami René Char, le béton s’est ajouté à la peinture. Les ciments colorés chargés de divers matériaux, de concrétions dialoguent avec la Méditerranée, les barques, les galets.
La poésie qu’il écrit en miroir de ses peintures, se niche dans des aphorismes : « Ne t’arrête pas en chemin, tu es attendu au delà des saisons ».

Poésie et peinture participent de la même inspiration : « La peinture est une poésie qui se voit » nous a appris Léonard.

Son œuvre se densifie. Visible et invisible mêlés, le cosmos et la terre se côtoient. Toujours disponible au spectacle du monde, Jean Villeri défriche de nouveaux territoires, tentant de « résoudre l’un des épineux problèmes d’équilibre et de rythme qui sont le destin du peintre ». (Henri Jacques Dupuy).
Une nouvelle série, les « Contestations » annoncent les barricades de Mai 68, des « sculpto-peintures » où la peinture est surchargée de reliefs.
Son œuvre se démesure, il y a quelque chose de tellurique dans son embrassement du Monde. Couleurs et matières semblent se contracter en des « beautés qui tissent en chacun de nous le rêve éternel de la vie ».
 ?En 1971, il participe à l’exposition René Char à la Fondation Maeght. Il y rencontre Anne-Marie Mousseigne devenue sa compagne, son égérie, et c’est grâce à elle que son œuvre continue à nous interroger.

En 1975, un AVC vient freiner son activité sans pour autant affaiblir son désir de création.

Il peint moins grand, abandonne les matières épaisses pour revenir à la peinture, à la simple peinture : pinceaux et couleurs sur toile.
« Midi mon vertical » en 1977 est une œuvre charnière. Sous l’œuvre abstraite se cache des silhouettes, des formes anthropomorphes qu’on croit discerner. Elle annonce son œuvre ultime, celle des dernières années de sa vie dans lesquelles se dévoilent des formes momifiées, ficelées, dispersées en mosaïques improbables. On doit croire Jean Lescure quand il dit à propos de Villeri : « il faut lire une œuvre à l’envers où en remontant le cours. Ce sont les derniers ouvrages qui expliquent et éclairent les premiers ».

Nouvel exotisme, 1977 (légende copyright Anne Marie Villeri)

La Librairie-Galerie Rabelais qui présente cette belle exposition est un lieu charmant.

Nadia, la responsable, a racheté une ancienne cordonnerie qu’elle a voulu garder dans son jus : larges vitrines à l’ancienne, étagères inclinées (pour la présentation des chaussures), mobilier et sol (superbe) d’origine.

Toutes légendes copyright Anne Marie Villeri

Sans titre, 1939
Contestations, 1968
Midi mon vertical, 1977
Nouvel exotisme, 1977
Qu’est-ce que l’homme véritable, 1980

Jusqu’au 25 juillet
A la Galerie Librairie Rabelais, rue Defly à Nice.
Photo de Une (détail) Contestations, 1968 légende copyright Anne Marie Villeri

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