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Fin de cet événement Mai 2014 - Date du 14 février 2014 au 25 mai 2014

Jean-Paul Goude, une introspection artistique dans une âme d’enfant

Exposition « Introspection » jusqu’au 25 mai 2014 au Théâtre de la Photographie et de l’Image

Cette exposition se nomme « Introspection ». Est-ce déjà un retour sur votre longue carrière, en mettant en avant toutes vos périodes artistiques ? On devine votre âme d’enfant, présente à toutes les étapes de votre carrière…

C’est normal puisque mon travail est complètement tributaire de mon enfance. Mais c’est aussi le reflet d’une carrière qui j’espère va durer aussi longtemps que possible.

Le film diffusé dans le cadre de l’exposition montre qu’au début, vous étiez un peu « touche à tout ». Quel a été votre premier contrat ?

« Touche à tout », c’est vrai mais c’est normal surtout quand on est très jeune. Vers 14 ans, une des vieilles amies de ma mère du temps où elles dansaient toutes les deux à Broadway, qui m’aimait bien, m’avait prévenu que le danger pour moi était de me disperser, d’aller dans toutes les directions. Or, je n’allais pas vraiment dans toutes les directions, j’exprimais les mêmes choses que j’essaye d’exprimer aujourd’hui d’une façon plus grossière, c’est tout. Ce qui fait de vous un artiste, ne devrait rien à voir avec la maîtrise d’une technique ou d’une autre, ce qui compte c’est de mettre en avant un univers, même et surtout s’il n’est pas forcément conforme à celui des autres. Un univers qui change l’ordre établi.
Le choix s’est en réalité fait tout seul. A 20 ans, issu d’une famille modeste de la banlieue parisienne, il fallait bien vivre ! Je n’avais pas les moyens de jouer à l’artiste. C’est comme cela que j’ai eu la chance de pouvoir dessiner pour un grand magasin Parisien et commencé à gagner ma vie.

Ensuite, votre expérience aux Etats-Unis vous a apporté beaucoup, lorsque vous avez été embauché comme directeur artistique du magazine Esquire. Etiez-vous déjà connu à Paris, ou est-ce que votre notoriété s’est construite aux Etats-Unis ?

Je commençais à être un peu connu dans le microcosme de la mode, comme « le jeune dessinateur qui ‘’cartonne‘’ ». J’avais beaucoup de clients : Elle, Marie-Claire, Les magasins du Printemps, Salut les copains, Lui, etc… Quand j’ai rencontré le rédacteur en chef du magazine Esquire à Paris, il cherchait à entrer en contact avec Jacques Prévert que je connaissais bien et je les ai présenté l’un à l’autre. Comme j’étais bilingue, grâce à ma mère, on s’est très bien entendu et je lui ai montré mes dessins qu’il a aimés. Trois mois après, je recevais un coup de téléphone des Etats-Unis, c’était ce même rédacteur en chef qui m’appelait pour m’annoncer qu’il cherchait une vision différente, plus fraîche de ce qu’il trouvait à New York.

Et New York était une ville très avant-garde par rapport à Paris à cette époque…

Oui bien sûr, c’est même un euphémisme ! New York était la Mecque de n’importe quel artiste du monde entier. Ca l’est encore d’ailleurs !
J’y ai habité pendant seize ans, de 1969 à 1985.

Jean-Paul Goude - Azzedine et Farida
Tirage photographique découpé et ruban adhésif, Paris, 1985

Toute votre carrière montre une fascination pour les femmes, qui sont souvent aussi vos femmes dans la vie privée et votre source d’inspiration : Grace Jones, Farida Khelfa, Karen Park Goude, votre épouse d’origine coréenne. Ce mélange vie privée-vie publique n’a jamais posé problème ?

Non pas vraiment, peut-être étaient-elles ravies qu’on s’occupe d’elles ?
On sait qu‘à toute époque les artistes ont dessiné, peint, sculpté, bref, ont fait l’apologie de la personne dont ils sont amoureux. Je n’ai donc rien inventé !
Je pense que la personne aimée est tout à fait flattée d’être le centre d’attraction, surtout si elle est amoureuse.
Cela m’est arrivé plusieurs fois dans ma vie : vivre avec quelqu’un qui m’inspire, et que j’inspire en retour, et partir à l’aventure ensemble…
Cependant, quand l’artiste devient une star et gagne beaucoup d’argent, ou qu’elle veut en gagner encore davantage, avec une attitude un peu mercenaire, ça peut devenir problématique. Tant que la femme est amoureuse, c’est ok, mais si un grain de sable vient s’immiscer dans la romance, c’est l’inverse qui se passe et vous avez à souffrir des exigences souvent arbitraires et injustes de personnes à qui vous avez beaucoup donné.

Jean-Paul Goude - The Queen of Seoul
Paris, 2005

Vous avez toujours usé d’effets spéciaux dans votre travail. Est-ce que l’arrivée de nouvelles avancées techniques, comme Photoshop ou autre, a plutôt été un frein ou une aide dans votre créativité ?

Il y a 30 ans, je faisais à la main presque tout ce que je peux faire aujourd’hui avec Photoshop. Je faisais des montages que je rephotographiais sur de grands tirages et que je repeignais à l’huile pour fabriquer des documents impossibles. Il ne faut pas oublier que je suis un artiste graphique, je pars de la feuille blanche. Un photographe, lui, enregistre l’action, saisit l’instant qui passe. Pour moi, c’est l’inverse : je fabrique une histoire. Et si j’ai recours au réalisme photographique, c’est dans la mesure où le public qui regarde soit ému d’une façon ou d’une autre. L’image de Grace Jones qui fait l’arabesque en est l’exemple parfait. Comme elle avait du mal à lever la jambe, j’ai retravaillé la photo (en découpant directement l’ektachrome) pour obtenir le résultat que je souhaitais.
Je ne vends pas mes dessins, le les fais pour moi. C’est quelque chose d’organique, de vital.

Jean-Paul Goude - Grace revue et corrigée
Photo peinte, New York, 1978.

Vous avez été souvent le pygmalion de vos femmes, qui sont aussi vos muses, avez-vous aussi eu envie d’être le pygmalion de vos enfants ?

J’ai essayé avec les trois : Paulo (fils de Grace), Lorelei et Théo (enfants de Karen).
Mais ça n’a pas vraiment marché. Quand par exemple, j’ai essayé de photographier Paulo, mon fils aîné, qui était ‘’à tomber’’ vers l’âge de 13 ans (il est toujours très beau !) il était très gêné, il ne voulait pas me faire de peine mais en même temps il ne voulait pas non plus qu’on lui dise quoi faire. Il voulait décider pour lui-même.
Pour les autres, c’est pareil, mais en plus calme, ils ont hérité du côté asiatique de leur mère.
Et puis, pendant une prise de vue, on a des mouvements d’humeur, le ton peut vite monter. Je n’ai pas envie de compliquer ma vie domestique, surtout si les intéressés n’en ont pas vraiment envie.

Quels sont vos projets, après cette belle exposition ?

Tout a commencé avec l’expo des Arts Décoratifs à Paris en 2011-2012. J’étais sidéré par le fait que le public, d’ordinaire un peu bruyant devant sa télé ou dans une salle de cinéma, non seulement faisait un effort particulier dans le contexte d’un musée pour éviter de parler fort, mais se concentrait sur les œuvres exposées. Cela m’a donné envie de continuer et de partir en « tournée » avec mon expo comme si c’était un spectacle que j’adapterais à différents lieux. Voilà pourquoi cette exposition à Nice est tombée à pic.
J’en prépare une à Tokyo dans le musée d’Issey Miyake qui aura lieu en juillet prochain.

Photo de Une : Jean-Paul Goude - Galeries Lafayette : Jean Paul Gaultier, Made in mode, Paris 2011.

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