- Dina, 2005, huile sur toile, 200 x 260 cm. Collection Daniel Templon © photo Jean-Claude Fraicher
Comme toute grande œuvre, celle de Garouste s’interroge sur la définition même de la peinture : Qu’est ce que le sujet d’un tableau ? Comment faire vivre les formes ? Comment penser à partir du visible, de la chose représentée ?
"Quand je peins, c’est comme si mes mains décidaient, j’aime ce moment où il n’y a plus qu’elles, la tête se relâche. Je vis la peinture au premier degré, comme une matière, une chimie, une alchimie".
- Isaïe d’Issenheim, 2007, huile sur toile, diptyque, Collection Marc et Martine Jardinier © Courtesy Galerie Daniel Templon, Paris © photo Jean-Claude Fraicher
Quand il a commencé les Beaux Arts, le climat était plutôt à la remise en cause de l’image rétinienne, mais lui a choisi une autre voie, celle de la peinture à l’huile la plus classique, dans la lignée du Tintoret.
Ses sujets, eux, sont tirés des grands textes classiques, mais aussi de Tintin ou des contes et des mythes qu’il revisite inlassablement : "Si je peins armé des textes qui ont irrigué les siècles, fabriqué la pensée de nos aïeux et conditionné la nôtre à notre insu, si je fais de la peinture à l’huile (...), c’est pour regarder en nous, révéler notre culture, notre pensée dominante, notre inconscient."
- Les Cigares du Pharaon, 2013, huile sur toile, 195 x 160 cm Collection particulière © Courtesy Galerie Daniel Templon, Paris © photo Jean-Claude Fraicher
Au bout d’un mythe, la langue...
Pour comprendre les mythes, il est nécessaire de se pencher sur la langue même, sur sa construction, sur les mots qui, "comme des silex qu’on frotte", permettent d’obtenir des étincelles de vérité. C’est le verbe qui, en s’incarnant, donne la vie (comme le mot Emeth écrit sur le front du Golem va le ressusciter).
À la suite de Rabelais, Cervantès, Kafka, Mallarmé qui ont exploré les associations d’idées, les sens cachés, les jeux symboliques que permet la langue, l’artiste tente de décrypter "de quels symboles les images sont porteuses, où réside leur puissance".
- Vue de la Fondation avec au premier plan une sculpture de Garouste © photo Jean-Claude Fraicher
Il s’intéresse à l’hébreu, une langue sans consonnes dont l’immense majorité des mots est composée de trois syllabes (trilitère), qui interverties, font éclore d’autres sens.
Chaque mot possède ainsi six combinaisons (comme un cube), ce qui fait dire de Garouste qu’il pratique un "Cubisme Anagrammatique", école dont il est l’unique représentant !
De plus, comme en hébreu (ou en grec), les lettres sont aussi des chiffres, leur somme possède une signification. Ainsi, des mots ayant la même somme peuvent être rapprochés.
La lecture de la Bible et des textes fondateurs prennent alors un sens différent, bien plus éclairant. Garouste donne l’exemple du cinquième des Commandements de la Torah : "Tu honoreras ton père et ta mère", chose qui a été impossible pour lui (il raconte dans son autobiographie "L’Intranquille" l’antisémitisme et la dureté de son père).
Retournant au texte hébreu, il apprend que le vrai sens du mot Caver n’est pas honorer, mais "lourd". Honorer ses parents, c’est assumer le poids de la filiation dont on n’est pas responsable mais qu’il est nécessaire de prendre en compte.
- Portrait de l’artiste © photo Jean-Claude Fraicher
Un de ses principaux thèmes : le Cacique et l’Indien, évoque ses débuts.
Étiré entre les figures opposées du classique qui obéit aux règles et celle de l’Indien, intuitif, libre, Garouste se sent un peu les deux. Classique mais transcendant les règles, il se représente comme un "Adam Quichotte", personnage moderne et transgressif d’un roman dans le roman.
Chacun de ses tableaux est pensé et théâtralisé comme un récit mythique avec une narration, des symboles, des références à l’écrit, aux mots, etc. Il cite volontiers un de ses maîtres, Marc Alain Ouaknine, un rabbin philosophe avec qui il travaille à l’Interprétation des textes sacrés (un tableau le montre avec un nid sur la tête). "J’ai le goût des énigmes. Chercher des clés est l’histoire de ma vie".
- Le Rabbin et le Nid d’oiseau, 2013, huile sur toile, 162 x 130 cm. Collection particulière © Courtesy Galerie Daniel Templon, Paris/Bruxelles © photo Jean-Claude Fraicher
Ses autoportraits aux corps déformés, étirés, désarticulés, ou, comme chez Picabia, recouverts de dizaines d’yeux, dialoguent aussi avec des animaux.
L’âne surtout, a une place particulière. Déprécié dans la littérature française (symbole de bêtise), il a dans la Bible un statut particulier autrement valorisé (âne et bœuf de la crèche, Messie arrivant sur un âne...)
"Je mets en scène des histoires, la peinture les fait ensuite voyager, elle les dépose sur d’autres rétines que la mienne, réveille d’autres mémoires, d’autres mots, d’autres questions. Sa destinée est d’être regardée, de résonner, de s’émanciper, de s’éloigner du sujet dont elle est issue."
- Portrait de Gérard Garouste devant Shamir © photo Jean-Claude Fraicher - Shamir, huile sur toile, 200 x 260 cm. Galerie Daniel Templon, Paris/Bruxelles © Courtesy Galerie Daniel Templon, Paris
Il y a un immense plaisir à écouter Garouste raconter devant ses toiles son histoire, ses interrogations, ses inspirations littéraires.
Chacune de ses peintures nécessite qu’on la regarde longtemps tant elle est riche de références à l’art, à la psychanalyse, à la littérature. Jeux de masques, ambiguïtés, rébus suscitent nombre de spéculations, de questions ouvertes sur l’infini des interprétations dont la limite, dit-il, doit être la bienveillance.
Certains sens s’imposent d’emblée, d’autres se révèlent avec le temps. Le regardeur doit faire son propre tableau, et, de préférence, se perdre en lui…
"Ne demande jamais ton chemin à celui qui le connaît, tu risquerais de ne pas t’égarer" (Rabbi Nahman de Bratsla).
- Le Sarcophage, 2012, huile sur toile, 130 x 195 cm. Collection particulière © photo Jean-Claude Fraicher
- Sorcière au bouc, 2011, huile sur toile, 195 x 160 cm. Collection particulière © Courtesy Galerie Daniel Templon, Paris © photo Jean-Claude Fraicher