Depuis son ouverture en 2018, chaque année, de grandes expositions sont organisées sur des thèmes liés à l’esprit du lieu et voulus comme des expériences immersives et sensorielles. « La Source » ou « L’île intérieure » ont exploré des thèmes s’ancrant dans les éléments naturels : le vent, la mer, la lumière, le minéral et l’imaginaire insulaire.
L’exposition qui vient de s’ouvrir « VERTIGO », est au cœur de cette démarche présentée par Charles Carmignac, directeur de la Fondation, ex-membre du groupe de folk-rock franco-américain Moriarty. Il est également éditeur de revues et créateur d’un prix de photojournalisme soutenant des reportages d’investigation sur des régions du monde où les droits fondamentaux sont menacés.
Il a fait appel à Matthieu Poirier, historien d’art français spécialiste d’art abstrait, commissaire de nombreuses expositions internationales, et auteur de plusieurs publications sur l’art contemporain.
Pour cette exposition, Matthieu Poirier a envisagé l’île et ses abords naturels (aquatiques, telluriques, aériens ou cosmiques) « comme un champ de vision instable, constamment animé par diverses forces naturelles qui provoquent une perte de repères et de sensations nouvelles, à proprement parler vertigineuses »
Grâce à des œuvres majeures, il nous conduit à explorer les liens entre la perception des phénomènes naturels et l’abstraction.
Au delà de la figuration, l’art abstrait ouvre à une infinité d’interprétations. Les œuvres proposées dans cette exposition étant dénuées de sujets définis, de motifs reconnaissables, aucune limite, en dehors de celles de la toile, n’est fixée. Manquant d’éléments figuratifs pour se repérer, comment dès lors donner un sens, une direction, et a fortiori, organiser une exposition autour d’une sensation : le vertige ?

Collapse, 2017
Sérigraphie à l’encre chrome sur aluminium
dibond noir, 260 x 350 cm
Courtesy de l’artiste
© Caroline Corbasson / ADAGP, Paris, 2025
© photo DR
Une quarantaine d’œuvres de différentes techniques provenant de prêts muséaux, institutionnels ou privés, ainsi que d’autres issues de la collection Carmignac, ont été organisées en six états mentaux ou perceptifs, tous associés au paysage dans la peinture classique : l’élément liquide (« Troubles flottements »), le cosmogonique (« L’horizon des événements »), l’aérien (« Turbulences atmosphériques »), l’infini (« Le seuil, le mirage et l’abîme »), le terrestre (« Visions telluriques ») et l’abyssal (« Maëlstroms »).
À la Fondation Carmignac, la connexion au lieu commence toujours par le déchaussement

Resonance Painting (Lovesong), 2024
Pigment sur toile, 200 x 150 cm
Courtesy de l’artiste
© Oliver Beer
Photo : ©Thaddaeus Ropac gallery
Le sol aux grandes dalles non lisses aiguisent notre sensiblité et l’impression d’être reliés au tellurique en même temps qu’aux œuvres.
Matthieu Poirier, le très inspiré commissaire, nous aide à explorer chaque œuvre et nous entraîne vers des territoires mentaux aux limites du visuel et de la sensation.
Ainsi l’exposition s’ouvre sur l’œuvre immersive de Flora Moscovici où, après avoir descendu un escalier poétique au ciel duquel une corde bleue se dissémime en branchages et neurones, nous sommes plongés littéralement dans un bain de couleurs fluides du plafond au sol. Elle se poursuit dans les salles souterraines par les grands tableaux de Bowling et Morgenthaler dont les couleurs diluées semblent se régénérer d’elles-mêmes.
Au fil des salles suivantes, l’œil et l’esprit sont stimulées par des œuvres qui font écho à des états de conscience que chacun ressent différemment mais qui nous connectent à l’universel. Cette éducation à l’au-delà de l’image que nous ont déjà appris Turner, Monet, Rothko, est ici approfondie par la variété de regards, de techniques et de matériaux très différents.
L’état de vertige, de « trouble » recherché dans cette exposition devrait être celui que toute œuvre d’art doit nous faire ressentir
Un trouble qui provoque la réflexion, le besoin d’interprétation, de recherche de sens, en même temps qu’une sensation de déstabilisation, un trouble qui doit nous révéler à nous mêmes et nous faire vivre plus intensément la rencontre avec chaque œuvre. L’univers mental de chacun, en s’approchant de contrées inexplorés, doit rejoindre ses propres mystères.
Des œuvres majeures sont à découvrir : les toiles et la piscine sous la pluie bleue de Klein, la salle noire au carré rouge de James Turrell, celle jaune et grandiose de Jesús Rafael Soto où la sphère de tiges de fer dialogue avec le plafond d’eau transparent éclairé par une lumière zénithale rendue liquide, le tapis mural très coloré animé de fractales de Thomas Ruff, le ciel de Hartung d’où la couleur semble émerger d’un noir profond, le tableau pailletté de Armleder qui scintille et apparaît différemment en fonction des déplacements, l’œil noyé dans la couleur du tableau circulaire d’Olafur Eliasson, la série des Resonance Paintings produite à partir de résonances acoustiques d’Olivier Beer…, et de nombreuses autres œuvres inspirantes et mystérieuses à découvrir.
Les dernières salles baignées de soleil sont ouvertes sur l’extérieur, laissant apparaître des architectures et une piscine aux colonnes-bustes réalisées par Sosno.
Une fois vécu ce parcours intérieur, la visite des jardins alentours permet la découverte d’œuvres plus ou moins cachées au milieu d’une nature luxuriante de pins, de cistes et d’oliviers : les grandes têtes de Jaume Plensa, les œufs géants de Nils Udo, le labyrinthe de miroirs de Juppé Hein, et les « visages » de Vhils creusés sur les façades de la remise au milieu des vignes, etc., offrent des rencontres inattendues.
Exposition jusqu’au 2 novembre
Tout l’été, des événements sont organisés : atelier pour enfants, nocturnes de cinéma, concerts, ballades les nuits de pleine Lune…
Pour se renseigner : https://www.fondationcarmignac.com/fr/