K R M : « L’esprit du Mur » de Patricia Tardy
Nul doute, c’est bien cet esprit là qui souffle sur les panneaux de bois bruts de KRM, et anime leur pratique singulière et plurielle. Leurs murs imaginaires renouent avec les origines et l’histoire du mur en même temps qu’ils participent de l’art urbain rebelle du XXIe siècle et de ses contradictions.
Couple franco-allemand, Geza Jäger et Chérif Zerdoumi, dressent un portrait sans concession de la vie citadine où se mêlent critique de la société consumériste par le détournement de publicité et messages témoignant d’une actualité politique ou sociale.
Leur pratique issue à la fois de l’affiche lacérée, du pochoir, du graffiti “bombé” ou scarifié et la brutalité de l’expression confèrent à leurs oeuvres une esthétique qui leur est propre. Elle relève aussi de leurs propres expériences et formation plastiques. Géza a suivi des études d’histoire de l’art et de sciences culturelles, elle est aussi chanteuse et performeuse ; Chérif, peintre et sculpteur a été antiquaire et galeriste.
Tous deux ont été exposés, à titre personnel, avant leur rencontre au pied du mur, celui de Berlin. Cette expérience va laisser des traces au delà du mur et sera déterminante puisqu’elle signera la naissance du duo KRM et des projets artistiques à quatre mains : l’Esprit du mur en 2003, Les rues en 2004, K comme Kafka en 2011.
Faire oeuvre commune est une épreuve difficile où chacun doit faire taire son ego et laisser à l’autre la possibilité de s’exprimer sans contrainte et sans volonté directive. Pas de qui fait quoi. Il faut accepter que l’autre cohabite, dialogue, interagit, provoque, rejoigne ou prolonge, efface ou recouvre le message, lui donnant une nouvelle orientation, c’est bien là aussi la réalité du mur.
La signature au pochoir de trois lettres et du chien errant ou “en marche” est encore la démonstration de cet effacement du soi, en même temps que le signe anonyme de l’appartenance à une même communauté d’esprit et de geste. Le chien errant est aussi paradoxalement le signe symbolique de la quête, d’une communauté, d’une maison, d’une origine, d’une identité. Un couple, un homme, une femme, des identités et des langues différentes, des cultures différentes, qui se mêlent, se rejoignent où se heurtent dans une rencontre de rue.
Quatre mains anonymes, joyeuses ou graves, poursuivent un dialogue de rue dans le silence d’une usine désaffectée, lieu de vie et atelier, prolongement et recul nécessaire de l’espace urbain. Les supports, grand format, et les matériaux sont volontairement bruts comme ceux rencontrés dans la rue. Le geste et la facture sont expressionnistes comme un cri. Aucun désir ni tentative esthétique ou poétique ; on est dans l’expression brute. Faire oeuvre commune est aussi une expérience enrichissante qui ouvre le champ au vagabondage de la pensée et à la liberté du geste et du dialogue. Un dialogue sans plan établi, un travail où chaque couche ou strate est susceptible d’amener une réponse ou une autre question. C’est une sorte de ’cadavre exquis’, où chaque intervention, révélée ou recouverte donne un sens et du sens. Une conversation qui se prolonge jusqu’à ce que l’éphémère se stabilise, le geste et la parole soient inutiles ou s’épuisent.
L’écriture plastique de KRM est le résultat d’un réflexe immédiat aux stimuli actuels, de leur collision avec un imaginaire commun et individuel, et de leur interaction avec des matériaux et des médiums significatifs. Et ici, réflexe, collision et interaction se font dans la violence de la pulsion et de son anonymat. Faire table rase du passé n’est qu’une utopie et aucun ne cherche à s’affranchir totalement de ce qui a été tant sur le plan plastique que sur celui de la mémoire collective ou individuelle.
Comme la mémoire qu’ils réactivent, le travail de KRM ne peut être d’ordre linéaire et si le message se décline en série, chaque oeuvre procède et existe comme fragment de mur ayant sa propre histoire, sa propre mémoire. Et chaque fragment du mur imaginaire de KRM interpelle le spectateur et suscite ses réactions.