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FEUILLETON : Et si l’Ecole de Nice nous était contée ? - Chapitre 11 : Mise au point intéressante... Feuilleton bi-mensuel par France Delville pour Art Côte d’Azur

Après le point d’interrogation, le point d’exclamation, le point de suspension, le point final proposés par Alexandre de la Salle et Pierre Restany comme ponctuation à l’Ecole de Nice, il s’agissait, avec l’exposition au Musée Rétif, d’une offre de mise au point possible pour ceux qui voudraient s’y coller.

Les personnes sont là, les artistes vivants, mais encore une montagne d’archives, dispersée mais disponible, tellement riche qu’elle en est fascinante. Et celui qui s’y plongera en sortira très étonné de voir sa vision de départ totalement modifiée. Et affermie. Ce qui le fera résister à tout ce que draine le fantasme ambiant fait d’approximations, de rivalités tendant à évacuer l’adversaire, car l’appropriation de l’origine est une guerre, par laquelle il faut bien sûr tuer le père (sauf s’il est mort et qu’on puisse l’invoquer comme fondateur), et surtout les frères, les rivaux.

Tome 1 des « Chroniques Niçoises »

Mais au bout du compte le sigle, signe, signifiant « Ecole de Nice » est bien une aventure qui aura offert un somptueux patrimoine artistique aux Alpes-Maritimes, patrimoine remarquablement élaboré dans l’ouvrage en deux tomes édité par le MAMAC, et que j’ai déjà évoqué ici : « Chroniques Niçoises, genèse d’un Musée ».

La passion des Conservateurs des Musées, particulièrement Claude Fournet, conservateur en chef du patrimoine, directeur des Musées de Nice, et de toute une équipe, dont la rédactrice Jacqueline Péglion, assistée de Frédéric Altmann qui mit à disposition ses archives, fut le moteur de cette réalisation admirable. Le travail des artistes entrant dans la mémoire collective par leur talent, leur assiduité, mais il ne faut jamais oublier la masse des admirateurs autour d’eux (admirari voulant dire s’étonner, et celui qui s’étonne servant de miroir) qui inscrivent, divulguent, fixent, amplifient avec un porte-voix, les mêmes talent et assiduité.

Là aussi une foule de textes, témoignages, là aussi reconnaissance possible dans l’après-coup pour ces ouvriers de la mémoire lorsqu’ils sont toujours là après des dizaines d’années, fidèles au poste.

Frédéric Altmann

affiche de l’exposition d’archives au Club Antonin Artaud fin 1967

La liste de ces personnages est connue, leurs modes opératoires peut-être un peu moins. Ainsi de Frédéric Altmann à qui le 13 décembre prochain la Médiathèque Louis-Nucéra offrira la reconnaissance définitive de sa passion d’archiviste, de son travail de moine, de fourmi, dans l’amassement des traces. Lui qui était déjà présent fin 1967 au Club des Vaguants, dirigé par Jacques Lepage, pour une première exposition de documents, en passant par sa participation à l’exposition à la Fondation Sophia Antipolis « Ecole de Nice Documents de 1954 à 1997 » et par sa démarche en tant que directeur du CIAC, qui fut de retrouver les artistes un peu négligés par le discours dominant.

catalogue de l’exposition de la Fondation Sophia Antipolis

Claude Gilli

Et si les artistes vivants sont de vivantes archives, il a semblé utile d’aller interroger Claude Gilli (Arman, Klein n’étant plus là, Raysse ne voulant plus depuis longtemps entendre parler de l’Ecole de Nice) sur la nécessité d’une scansion du style « L’Ecole de Nice est morte, Vive l’Ecole de Nice ! » Et, répétons-le, par la mise à feu de la « Crèche de l’Ecole de Nice » de Jean Mas, le 4 décembre 2010 à 10h30, au Musée rétif, Vence.

page 31 du catalogue « Ecole de Nice, Documents de 1954 à 1997, Fondation Sophia Antipolis

Par ses réponses, Claude Gilli redéfinit ce qu’il entend par « Ecole de Nice », c’est-à-dire l’effervescence des années 60, dans les cafés, dans des ateliers qui n’en étaient pas, et sans se poser la question des sigles. Et Claude de préciser que ce cinquantenaire est l’affaire d’Alexandre de la Salle, son compte à lui, du temps et des participants, ce qui n’est pas nié par Alexandre et lui permet de s’expliquer sur sa propre conception : oui, une Ecole, un Mouvement sont par nature éphémères, au départ aléatoires, constitués d’individus qui se cherchent sans pour autant nécessairement s’institutionnaliser, mais, même si l’affirmation de Claude Gilli - que l’Ecole de Nice, caractérisée par le « cri » qu’elle a poussé dans les années 60, est déjà terminée en 1970 - lui paraît tout à fait recevable, il fallait bien quelqu’un pour la fixer dans un lieu, ce qu’il a fait lui-même en 1967 place Godeau à Vence.

œuvre de Claude Gilli dans le catalogue de l’exposition « Ecole de Nice ! » en 1977

Et quelqu’un pour la faire durer, le temps que le public s’aperçoive de son existence. Un moment crucial sera donc l’exposition de 1977 dans sa galerie de Saint-Paul l’année où Ben organise à Beaubourg « A propos de Nice ». Claude Gilli admettant que c’est à ce moment-là que tout commence pour le public. La faire durer sera donc un aspect essentiel de la démarche d’Alexandre, soutenue par Arman qui régulièrement scanda les expositions par des estampes adéquates. L’on peut donc se demander ce qui se serait passé si Alexandre de la Salle s’était contenté d’une exposition Ecole de Nice en 1967, quitte à exposer plus d’une cinquantaine de fois des artistes de l’Ecole de Nice de manière individuelle.

Dans ce cas, seraient-ils restés des artistes de l’Ecole de Nice ? Et cette importante exposition « L’Ecole de Nice à l’Œil écoute », à Lyon, en novembre 1966, avec Arman, Chubac, Deschamps, Farhi, Gilly, Venay (sic) Vialla (sic), et Gette, Malaval, Pavlos, Arman et Gérard Deschamps, joue un rôle différent dans l’Histoire car elle reste ponctuelle dans le parcours varié et éclectique de cette galerie. Dans le débat avec Claude Gilli, Alexandre soutient que jusqu’à 1997 au moins des artistes ont pu être par lui intégrés parce que leur travail lui semblait avoir un rapport avec l’esprit « Ecole de Nice ». Et s’il faut bien clore la liste des nouveaux venus, c’est que, comme le dit Claude, les générations actuelles n’appartenant plus au monde ludique des années soixante, trente glorieuses, pas de chômage etc. ce dont ils ont à témoigner ne peut plus être l’esprit Ecole de Nice, si ludique et insouciant, et que lui, Claude Gilli, aujourd’hui ne ferait certainement plus la même œuvre.

affiche de l’exposition « L’Ecole de Nice à l’Œil écoute »

Mais ce dialogue met en lumière le fait qu’il fallait un lieu pour réunir les recherches, un lieu où des gens pourraient les contempler, et démontrer (en 1967, à Vence) qu’une Ecole de Nice devenait concrète, matérielle, alors que jusque-là elle était restée dans l’ordre du discours : chez Claude Rivière en 1960 (Journal Combat), chez Sosno en 1961 (Sud-Communications) et aussi par exemple chez Otto Hahn, qui avait écrit dans le journal l’Express en août 1965 un magnifique article intitulé « Spécial Midi : L’Ecole de Nice », et dont voici le texte :

« Il faut détruire les oiseaux jusqu’au dernier. Le garçon qui parle a dix huit ans. Il est allongé sur la plage entre un peintre et un poète. A trois, ils jouent à se partager le monde. Celui qui entraîne aux rêves se nomme Yves Klein. Grâce à lui, Nice deviendra un de ces lieux privilégiés de l’esprit, à l’instar de Nantes, pôle magnétique du surréalisme depuis la rencontre d’André Breton et de Jacques Vaché.

Rien, pourtant, ne préparait le chef lieu des Alpes Maritimes à un tel destin. Entre la mer et le soleil, on y vit au rythme de 1900 : le legs Dufy des centaines d’œuvres dort dans des caisses depuis des années. Faute d’un domicile digne de lui, disent les uns. Jugé trop audacieux, disent les autres. Sans contact avec Paris, quatre artistes s’y sont révélés : Yves Klein, Le Clézio, Arman, Martial Raysse.

Maintenant, ce sont des vedettes internationales. Certains partagent leur temps entre New-York et la Côte d’Azur. Ils ont lancé l’Ecole de Nice. Comment un courant original a t il pu prendre naissance loin du bouillon de culture qu’est Paris ? Il fallait, au départ, qu’une personnalité serve de catalyseur. Ce fut Yves Klein. Excessif en tout, il voulut d’abord réussir en politique. Le succès n’arrivant pas, il se rendit au Japon dans l’intention d’être champion du monde de judo. Il ne fut que ceinture noire 4e dan. Il revint alors à la peinture pour réaliser des espaces absolus, tels qu’il les rêvait, allongé sur la plage, lorsqu’il voulait détruire les oiseaux qui trouaient le bleu du ciel sans nuages.

DALI.

Partant du principe qu’au monde nouveau devait correspondre un homme nouveau, il se détourna de la psychologie pour vivre la réalité du monde comme un émerveillement quotidien. Ce dynamisme communicatif donna l’impulsion à l’Ecole de Nice : ses membres ont en commun une avidité dévorante et une féroce volonté d’imposer leur sensibilité. Les personnalités hors série les fascinent : Dali réunit les suffrages de Le Clézio autant que ceux de Martial Raysse : il représente l’homme qui, ayant imprégné le monde de sa paranoïa, peut tout se permettre pour vivre la splendeur d’une existence qui ne tient ses lois que d’elle même.

Ayant suscité des vocations, Yves Klein fournit aussi la technique de la réussite : ne pas déduire son attitude des circonstances, rompre avec le bon sens, accepter de voir grand. Il fournit aussi la méthode : prendre possession de sa sensibilité et lui donner libre cours pour transformer sa vie en un voyage réalistico imaginaire où se réconcilie l’inconciliable ; se servir des forces élémentaires, l’eau, le feu, le vent ; peindre non des femmes nues, mais se servir d’elles comme pinceaux vivants. En architecture, il préconise des murs d’air, par pulsion d’air comprimé. Cette forme d’inspiration rejoint la définition valéryenne du génie : trouver l’analogie entre deux réalités d’apparence opposée.

L’HOTEL CHELSEA.

Sa vie fulgurante il est mort à trente quatre ans d’une crise cardiaque servit de détonateur et de modèle. Sur son passage, il libéra les énergies latentes à Düsseldorf, Milan, Tokyo. C’est lui qui donna l’impulsion décisive à Tinguely qui, jusque là proche de Calder, cachait la machinerie de ses sculptures en mouvement. Sur les conseils d’Yves Klein, Tinguely centre l’intérêt sur l’énergie et la machine elle même. Bien qu’ayant fait deux fois le tour du monde, Yves Klein n’établit que peu de contacts avec l’Amérique. Arrivé au plus fort de la rivalité Paris New York, il resta persuadé qu’il y avait un complot contre lui. C’est Tinguely son compagnon de voyage, secondé par le talent bilingue de l’ex couventine Niki de Saint-Phalle, qui établit les contacts avec John Cage, Rauschenberg, Jasper Johns. Tinguely fut le chaînon qui relia Nice à New-York. Le mouvement étant donné, Arman s’y rendit l’année d’après, et Martial Raysse en 1962 pour une exposition qu’Yves Klein lui arrangea à Los Angeles. Ce fut ensuite Benjamin Vautier en 1963, Le Clézio cette année. Tous, l’un après l’autre, s’installèrent au fameux Hôtel Chelsea, poste avancé de la colonisation européenne.

A la mort de Klein, ce fut Arman, son compagnon d’enfance, qui prit sa succession à la tête de l’Ecole de Nice. Champion de judo et de pêche sous-marine, c’est lui qui encourage, donne des conseils, organise des expositions. Au temps des vaches maigres, c’est chez lui que s’élaborait la stratégie à suivre lors de la visite d’un marchand, d’un collectionneur ou d’un critique. Maintenant, il habite une propriété remplie d’œuvres d’art et de masques nègres. Il achète les jeunes. Il passe, comme Martial Raysse, la moitié de l’année à New-York, où il possède un atelier. A Nice, où les vedettes sont ceux qui font du sous Picasso multiplié par dix, il est tranquille pour travailler. Ni lui ni Martial Raysse ne passent pour des artistes, mais pour des décorateurs travaillant pour le cinéma ou des fabricants d’articles de plage.

BRIC A BRAC.

Certains les soupçonnent de vouloir faire de l’art, mais c’est surtout pour leur téléphoner, de nuit, afin de les traiter de prétentieux, de faussaires et de peintres abstraits. Martial Raysse n’a acquis un peu de considération que depuis le jour où L’Expres a écrit qu’il était un des plus grand peintres français actuels. Le moindre recoin étant loué à des estivants, il est impossible de trouver un atelier à Nice. Martial Raysse travaille donc dans le garage capharnaüm d’Arman. Il fouille dans le bric à brac pour improviser un matériel de peintre avec ce qui lui tombe sous la main. Il essaie ainsi de recréer les circonstances de ses débuts, lorsque, dans cave de ses parents, il employait des moyens de fortune.
A chaque tableau il se force donc à réinventer une nouvelle technique. A Nice, le paysage est une peinture vivante, dit il. Sous un parasol mauve-vert orange, il y a une femme avec une serviette blanche à pois rouges. Jamais on ne fera aussi bien.

ALI BABA POP.

Martial Raysse est le plus jeune parmi ceux qui furent en contact direct avec Yves Klein. Avec une différence d’âge de douze ans, Jean-Marie Gustave Le Clézio n’a pas eu de rapport avec son aîné. Benjamin Vautier, dit Ben, admirateur de Duchamp et de Klein, fut l’intermédiaire. C’est le personnage le plus pittoresque de Nice. Il possède un magasin de disques d’occasion transformé en caverne d’Ali Baba Pop Art. Poète engagé dans de multiples activités, il hésite entre la peinture, le théâtre et l’acte gratuit. Ayant décidé que l’œuvre d’art ne réside que dans l’intention, c’est finalement de sa vie qu’il fait une œuvre d’art. Cette vie, il l’exposa une fois, durant quinze jours et quinze nuits, dans la vitrine d’une galerie de Londres.

SUR LA COQUILLE.

Parmi de multiples activités, il édite une revue : Tout, monte des happenings, distribue des tracts qui annoncent : Je signe les élections législatives, je signe les remises de décorations. Les escargots vivants signés Ben sur la coquille sont vendus avec brochure d’élevage. » Un jour, comme il avait annoncé qu’il authentifiait n’importe quoi comme fai¬sant partie du Tout, il eut des ennuis avec le syndicat des experts qui lui déniait le droit de délivrer des certificats d’authentification.
Ses idées de pièces de théâtre se résument à une situation dont le public fait souvent les frais : Une actrice fait du strip tease. On fait évacuer la salle par la police des mœurs. Annoncer un vol et fouiller systématiquement les spectateurs. Découvrir un resquilleur qu’on fera expulser. L’auteur annoncera que la pièce est trop mauvaise, qu’il a honte, qu’il refuse de la laisser jouer. C’est par Ben que Le Clézio a eu connaissance de John Cage, de Duchamp et des happeners américains du groupe Fluxus : George Brecht, La Monte Young, Ray Johnson, Dick Higgins, Bob Patterson, ces promoteurs d’une nouvelle sensibilité suscitée par une infime variation de perspective. Faire un happening, dit Le Clézio, c’est sortir un fait de son contexte : durant une promenade, voir les voitures non dans leur fonction utilitaire, mais comme un spectacle qui vous serait offert. C’est prendre conscience que le monde est un spectacle à l’intérieur duquel on est soi même spectacle. Sa méthode de travail s’inspire de l’éclosion du fait quotidien, et il ne comprend pas qu’on puisse élaborer un livre et l’écrire suivant un plan établi. Dans sa chambre, au coin du port de Nice, il improvise au jour le jour sans être incommodé par le bruit infernal de la circulation. L’unité de l’œuvre, c’est la personnalité, dit il. C’est là une formule très proche de Nietzsche et qui pourrait aussi être reprise par Yves Klein.

AU PISTOLET.

Le Clézio ne fréquente guère les peintres, qu’il considère comme des gens arrivés (les peintres pensent la même chose de lui). Mais il s’intéresse à la peinture : il en a fait un peu, naguère. Malgré le succès, il continue d’habiter sa chambre d’étudiant chez ses parents et poursuit une vie très rangée, comme tous ceux de l’Ecole de Nice, où l’eau minérale est plus à l’honneur que le whisky. De son voyage en Amérique il conclut : Je crois que je pourrais vivre à New York. Les vocations de peintres s’éveillent dans le sillage d’Arman et de Raysse. Parmi les plus jeunes, il y a Gilli, qui a pu réaliser ses projets le jour où Arman lui a donné sa scie électrique. Il fait des montages en contre plaqué, sorte de boîtes de souvenirs aux cou¬leurs industrielles. Venet Bernar, qui a fait son service mili¬taire avec Martial Raysse, assemble des plaques de carton qu’il peint au pistolet. Ses grandes surfaces géo¬métriques marquent un retour à l’abstraction. Gilli et Venet Bernar seront tous deux à la Biennale de Paris en septembre prochain. Ils représenteront la Nouvelle Ecole de Nice. (Otto Hahn)

Bernar Venet par Frédéric Altamnn
Bernar Venet par Frédéric Altamnn

Alors avant d’en venir à Bernar Venet qui, aujourd’hui, entre New-York et Le Muy poursuit son œuvre sur un mode international (à Nice deux œuvres géantes de lui structurent le paysage), à distance des « conflits locaux », et ayant, on s’en souvient, précisé avec beaucoup d’humour que, s’il faisait partie de l’Ecole de Nice, c’était sur le mode de « l’Ecole buissonnière », examinons comment dans le creuset niçois l’on continue de s’affronter, par exemple sous la plume de Ben dans sa dernière Newsletter :
La « performance » à Nice prend l’allure d’une maladie contagieuse entre l’épidémie et la grippe. Quelqu’un m’a dit « ça leur monte à la tête ». Mais à qui ? On m’a dit, Mendonça, Ruy Blas, Jean Mass (sic). Je ne suis pas d’accord, moi j’aime ce qu’ils font et ce qu’ils ont fait. Il faut remettre les pendules à l’heure, par rapport à l’enseignement officiel style villa Arson. Ruy Blas et Mas furent et sont encore des dérangeurs. L’art pompeux et académique conceptuel ne fait pas attention à eux. Il faut dire les choses comme elles sont, Ils sont snobés. Et je crois même que ça continue aujourd’hui.

Et ensuite :
L’école de Nice n’en finit pas de mourir au musée Rétif. L’école de Nice annonce sa dissolution et fait des vagues. Moi je suis pour les vagues, surtout les Tsunami, mais c’est de la vaguelette.
Mon cher Ben, comme nous, le malheureux public, la bande d’idiots, d’ignares, pas doués du tout que nous sommes, nous aurions aimé que les artistes de l’Ecole de Nice encore vivants nous offrent, au Musée Rétif, un… Tsunami… une révolution du style « arrivée de Maciunas à Nice »…Mais les Tsunamis, il y en a un ou deux par siècle, par exemple Duchamp et Schwitters ayant l’idée que l’art c’est la vie, et de faire des boîtes (après eux ça a été l’invasion des boîtes, Fluxus, un Tsunami de boîtes…), alors oui ils ont provoqué des raz-de-marée, des tremblements de terre qui ont produit des vagues et des vagues d’exploitants, au sens noble, comme on exploite un filon… le filon serait-il épuisé ? Non, il y a encore des performers sensibles, intelligents, ludiques et mêmes un peu philosophes : Jean Mas et Bruno Mendonça par exemple…
C’est bien que Ben aime Jean Mas (avec un seul s) et Bruno Mendonça, qui aurait participé à la « dissolution » de l’Ecole de Nice s’il n’avait pas eu un accident de moto, il a la jambe dans le plâtre. Et ils ne sont pas snobés par tout le monde, on les appelle d’un peu partout pour exercer leur art de performer. Et c’est vrai qu’ils dérangent toujours, car ils sont encore dans le vif de leur œuvre, dans leur « cri », qui se renouvelle, bien qu’ils aient eux aussi commencé il y a longtemps. Bruno Mendonça à la Médiathèque André-Verdet récemment, (archive 9, performance à la Médiathèque André-Verdet pour les 20 ans de StArt), sorte de cosmonaute SDF devint fou sous nos yeux de sa non-place dans la société, et Jean Mas, dont j’ai heureusement filmé une bonne douzaine de performas plus pointues les unes que les autres, avec sa « crèche », va sauver la situation le 4 décembre. Il a le courage d’affronter l’idée qu’on lui a lancée, cette fameuse « dissolution », il a accepté de jouer avec, de continuer à jouer, comme il l’a fait pour les « 20 ans de la Cage à Mouches » à la Galerie de la Salle un jour. Certains ont été dans l’absentéisme, le retrait ? Pas lui. Je le salue ici. Faire rire avec des choses tragiques, c’est le plus beau cadeau à autrui. L’Ecole de Nice, c’est parfois de l’amour, alors que ça peut être l’Ecole de N. comme haine. Vaguelette, cette prise de risque ? Vaguelette, ce rituel subversif lorsque, dans la crèche, l’enfant Jésus est un livre, Jean Mas le gentil Joseph, et Catherine Mas la vierge Marie qui veille aussi sur l’Ecole de Nice en lui donnant des vitamines ? Un jour Gilli a dit que l’Ecole de Nice devait beaucoup aux femmes. Bien sûr. Donc ça leur monterait à la tête parce qu’ils ont encore des idées, et encore envie de délirer, comme au bon vieux temps, et qu’il y a encore des gens pour aller les remercier de leur fabriquer des anti-corps face aux épidémies de Dépression ?

Bernar Venet

BERNAR VENET, lui, est un penseur. Mais en biais, comme dans le tir à l’arc. Né en 1941 dans les Alpes de Haute-Provence, son père étant instituteur puis chimiste, il participe à l’âge de onze ans au Salon de Peinture Pechiney à Paris.

Sa biographie est connue, à dix-sept ans il part pour Nice où il est refusé au concours d’entrée des Arts Déco, il suit alors une année à la Villa Thiole, puis est engagé comme décorateur à l’Opéra. Rue Tondutti il rencontre Ben qui lui montre un livre sur le Groupe Zéro, et cela va avoir une influence sur son travail. 1961. A l’armée (Carpiagne), il découvre une coulée de goudron, se fait photographier devant, va peindre au goudron avec les pieds, ou faire des dessins à l’encre de Chine en trois secondes, une pratique de l’éclair, comme dans la calligraphie chinoise. Une « performance dans les ordures » est photographiée par un camarade de régiment. Après l’Algérie, c’est la rue Pairolière, à Nice. Rencontre de Vicky Rémy. Peintures avec du sang bœuf aux Abattoirs. Découverte près du Ruhl d’un tas de gravier mélangé à du goudron, qui lui inspire « Tas de charbon ». Rencontre avec Arman et Restany, et, à Paris, avec des Nouveaux Réalistes. Travail sur des cartons d’emballage, des coulées de peinture très violentes, variations sur le Noir, impressionnantes. Livres noirs, collages, des noirs luisants, des boursouflures. De la matière et du concept en même temps. Biennale de Paris etc. Rencontre avec César, qui le soutient. En 1964, chez Jacques Matarasso, un multiple avec Gilli, cartons déchirés et cœurs violemment colorés. A New-York, vers 1966, découverte de l’art minimal. Puis travail sur des « Tubes ». Pour « Impact au Musée de Céret », un plan de tube va être un point de départ pour son goût des diagrammes, son œuvre conceptuelle. A New-York, où il part vivre, fréquentation de scientifiques de toutes sortes, il donne des conférences, en organise, les conférences deviennent des œuvres, il passe une soirée avec Marcel Duchamp. En mai 68 à New-York il réalise trois performances. Achat d’une toile par le MOMA. Rencontre avec Daniel Templon. Telles sont les prémisses d’une démarche très fouillée, où l’aléatoire est sur fond d’information scientifique, ce qui rejoint les mathématiques modernes, Gödel, l’indécidable, le Principe d’incertitude d’Heisenberg, et, d’après Robert C. Morgan l’un de ses biographes, en écho avec l’idée formulée par Barthes d’une disparition de l’auteur. Le projet de Venet rejoindrait alors une portée historique, voire mythique.

œuvre de Bernar Venet présente dans l’exposition Rétif, Photo Archives galerie Guy Pieters

Bernar Venet, présent dans toutes les expositions « École de Nice » d’Alexandre de la Salle, lui écrivit en février 2000 : « … travailler un concept, c’est en faire varier l’extension et la compréhension. C’est l’exporter hors de son lieu d’origine. C’est le contraire du bricolage à l’intérieur d’un schéma préexistant. C’est critiquer la notion d’état stable. L’état stable, c’est ce qui est contraire à la nature de la vie, à la réalité des événements qui nous entourent. L’état stable est un danger culturel, l’aliénation de la créativité. S’engager dans une activité artistique, c’est penser que le rationnel ne peut pas être universel, et que l’irrationnel ne doit pas être exclu ».

Sa forme de discours, se déployant de part et d’autre d’une ligne invisible séparant : pensée de la structure/pensée du sans-limite, je l’avais reliée à l’œuvre de Fritz Levedag, artiste du Bauhaus, dans un livre intitulé « La ligne illimitée de Fritz Levedag » (Feuer-Vogel Editions, 1998). Voici quelques extraits du texte qui lui est consacré : « Le sujet artiste nous apprend comment, contactant ses propres forces, il veut les inscrire dans l’ordre du monde, les faire entrer en écho avec la mesure de la Terre, les légitimer. L’artiste se veut fils du monde. Il va donc se faire géomètre pour que ses signifiants se soumettent aux lois de la Physique. Car les lois de la physique, en tant que signes reliés au psychisme humain, font partie du réservoir de signifiants de l’Humanité. Il va aussi se faire sémanticien pour qu’un vocabulaire fonde son système esthétique, le garantisse. Dans une interface entre subjectif et objectif, intériorité et extériorité. (…) Parfois un artiste peut jouer entre les deux versants. Bernar Venet est particulièrement dans ce paradoxe intéressant : en créant la « Ligne indéterminée », il la fonde également en tant que solution et en tant que signature. Consistance du nom. Figure à la fois définie (au sens où elle est passible d’une définition), même si, comme l’ellipse, elle a virtualité de filer vers les confins. Ouvert-fermé en même temps. Parlant de Bernar Venet (Rétrospective MAMAC Juin 93) Claude Fournet, maniant comme à son habitude le laser de la langue, met l’accent sur le mode « infinitif » du mouvement minimaliste. Effectivement le langage lui même a dû s’ouvrir à des genres, modes, temps, où la maîtrise n’a plus que faire. Le conditionnel est de cet ordre, et le neutre, et peut être l’inaccompli de la langue hébraïque, ou l’optatif grec.

Toutes formules exprimant virtualités, irruptions de l’incertain, souhaits... peut être encore le « qui je hante », « par qui je suis hanté » cher à Breton. En réalité : la fragilité du Sujet. Et Pierre Chaigneau parle à propos de Venet de « ligne dans toutes ses variantes », il déclare qu’avec lui les lignes « jusqu’à présent soumises aux règles strictes de la géométrie, vont prendre des libertés, se libérer ». Et que la « ligne indéterminée » apparaît alors. Déjà dans le procédé d’étaler du goudron sur une toile, de la tourner pour que le goudron coule au hasard, l’inachevé était recherché. « Le goudron ne sèche jamais, chaque été il redevient mou » expliquait Bernar. C’est aussi faire reculer la mort, à la manière de la flèche de Zénon. Enregistrer le bruit de ses pas sur le goudron, n’est ce pas pour réveiller le réel assoupi ? Les chercheurs en Physique apportent périodiquement des trésors d’information sur la dé formation du regard, sur les « modifications corollaires de notre représentation du monde », comme dit Barbara Catoir à propos de Venet. Le jeune Bernar déjà s’intéressait à leurs découvertes, et cette phrase de Kandinsky, citée par lui, évoque d’étranges noces avec les volcans cosmiques : « La fission de l’atome était pour mon âme semblable à la fission du monde en général ». Et lorsqu’en 1984, à Villeneuve d’Ascq, Venet présente « Volume, surface, ligne, points », c’est ouvertement en hommage à : « Points, Ligne, Surface » (1925), de Kandinsky l’éveillé...La diversité des techniques propres au Bauhaus ne fut pas étrangère à Venet qui rechercha sa vision des formes au travers de techniques diverses (peinture, sculpture, prises de son, théâtre, cinéma…) Il déploiera donc des variantes autour de la notion d’aléatoire et d’impermanence, l’objet ne sera plus « en soi », mais porteur de la fragilité des objets du monde.

Et il déclarera : « L’œuvre d’art ici subit une mutation, elle n’est plus cet objet figé et irremplaçable auquel on accorde une valeur fétichiste, mais elle situe plutôt son identité dans son propre renouvellement ». Compte aussi la résistance du matériau, le monde qui a son mot à dire, ouverture du dialogue pour que l’Autre puisse s’exprimer. « Indéterminé » veut dire que l’ego se retire. Et ce retrait est le principe même de la création dans la kabbale.

L’ambiguïté est là, le point de butée. (…) C’est entre ces deux tentatives, celle de saisir l’objet, celle d’accompagner la dérive de l’objet qui fuit, que semble se tenir le va-et-vient permanent entre solution et remises en question. Et comme si tout le discours se déployait de part et d’autre d’une ligne invisible séparant : pensée de la structure/pensée du sans-limite ».

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